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Histoire
par Sylvain Boulouque le 17 avril 2023

Page d’histoire (20)

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Dans ses mémoires Maurice Joyeux évoque la figure de Raymond Patoux « Patoux, vieil anarcho-syndicaliste et secrétaire de l’Union départementale Force ouvrière de Maine-et-Loire » qui lui avait trouver une collection complète de congrès syndicaux que Joyeux gardait dans sa bibliothèque (Souvenirs d’un anarchiste, éditions du Monde libertaire, Paris, 1986, p. 208).
En effet, Raymond Patoux a été un proche du mouvement libertaire, ami de Suzy Chevet et Maurice Joyeux. Entre 2003 et 2007, il a rédigé ses mémoires - Mémoires d’un syndicaliste libre et libertaire - avec l’aide de sa nièce Nicole. Ils sont aujourd’hui publiés par l’association des amis de Robert Bothereau, préfacé par sa fille et introduit par Gérard Da Silva, le président de l’association. C’est heureux vu le rôle et l’importance du personnage.

Raymond Patoux est né le 1er novembre 1913 à Angers d’une mère piqueuse en confection et d’un père jardinier. Issu d’un milieu catholique peu pratiquant, il se détache rapidement de l’emprunte religieuse en entrant dans la vie active [note] . Il participe au scoutisme laïc des éclaireurs de France, adhère un temps à la SFIO entre 1936 et 1937 et surtout participe à la vie syndicale dans les PTT.
Comme de nombreux syndicalistes, il refuse la Charte du travail [note] , rejoint le Cercle d’études technique économique et syndical. Il en devient l’un des relais à Angers où il retrouve notamment un militant libertaire du bâtiment Auguste Chevrollier, qui devient secrétaire de la Bourse du travail. Il fonde « action PTT » et rejoint le mouvement Libération nord dont il est le responsable pour le Maine-et-Loire. Très discret, il évoque modestement la fabrication de tract et de journaux et la collecte d’information.
À la Libération, il remet sur pied l’organisation syndicale. Comptant avec talent les événements de la Libération, il explique une vive altercation avec Michel Debré – le futur bras droit de De Gaulle – alors commissaire de la République. Il s’agissait pour Patoux de contrer les agissements de l’ancien secrétaire de l’Union départementale passé à la collaboration qui tentait de se faire blanchir. Peu après, il rencontre De Gaulle en tant que responsable syndical, notant cinquante ans après avec amusement « j’opposais un refus [suite à l’appel de la préfecture]. Je dois dire que je me pose encore la question. […] à cause d’une allergie personnelle à rencontrer un chef d’État galonné ». Devant les autres militants syndicalistes, il a alors expliqué pour ne pas perdre la face que son refus était motivé par la présence de la CFTC, les syndicalistes chrétiens. Patoux participe finalement à la réunion et obtient satisfaction sur les revendications syndicales.
Organisateur hors pair, l’UD reconstituée dépasse rapidement les 15 000 adhérents. Le 1er mai 1945 lui a laissé de beaux souvenirs. Une manifestation de près de 10 000 personnes dans Angers, conduite par les ardoisiers aux traditions libertaires affirmées.
Élu secrétaire par le congrès, il représente l’UD aux quatre coins de la région, bénéficiant de l’aide des frères Roger et Pierre Pantais, deux vieux militants de la CGT-SR et de la FALF [note] – version année 1930 – qui depuis l’aide à l’Espagne avaient ouvert un garage et d’Albert Perrier, ouvrier du bâtiment, ancien communiste devenu libertaire, qui a fait passer de nombreuses armes en Espagne pour la CNT-FAI, avant de rejoindre la Résistance. Perrier sera après la guerre un des responsables du groupe anarchiste de Trélazé.

Il explique également la dureté des affrontements avec les communistes qui tentent de faire main basse sur le mouvement syndical, Patoux étant qualifié de « serviteur des trusts et de la réaction ». La majorité des syndiqués de l’UD du Maine-et-Loire, refusant les diktats communistes, suit Patoux. L’année suivante, ils fondent la CGT-FO pour préserver l’indépendance du syndicalisme. En 1948, avec quelques autres dont des militants de la CNT, Patoux lance le manifeste d’Angers déclaration s’inspirant des principes du syndicalisme révolutionnaire prônant l’occupation gestionnaire des entreprises. La proximité entre les militants de la CGT-FO et de la CNT a été importante. Les militants pouvant avoir la double appartenance syndicale, avant que les membres de la CNT du département ne rejoignent l’UD du Maine-et-Loire de la CGT-FO.
Ils se lancent régulièrement dans des actions de solidarité internationale pour les victimes des dictatures communistes ou fascistes. L’action syndicale reposait également sur la défense des revendications des ouvriers et des salariés de la région.
Patoux raconte avec moult exemples les conflits sociaux dans le textile, la chaussure ou le cinéma.

En 1956 et jusqu’en 1963, il quitte le département pour la région parisienne. Outre son activité syndicale, Patoux décrit ses relations avec Suzy Chevet et Maurice Joyeux sa fréquentation de la librairie du Château des brouillards [note] et les galas de soutien au Monde libertaire.

Dans FO, il organise l’opposition à la guerre d’Algérie, le refus de la Ve République, la lutte contre l’extrême droite et l’OAS et surtout la défense des intérêts matériels et moraux des ouvriers.
C’est avec le même esprit que Patoux anime ensuite les UD de Seine-Maritime puis du Loiret jusqu’en 1990 date de son départ à la retraite.

Des mémoires passionnantes, qui illustre la vivacité de la tradition syndicaliste libertaire.

Sylvain Boulouque


Mémoires d’un syndicaliste libre et libertaire
, Raymond Patoux. L’Harmattan 2023 236 p. 26 €



PAR : Sylvain Boulouque
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