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Nouvelles internationales
par Frédéric Pussé le 11 juillet 2022

Au Luxembourg, la lutte de l’OGB-L pour la préservation de l’index

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C’est en 1975 que le Luxembourg instaure l’indexation automatique des salaires sur le coût de la vie, afin de parer à l’inflation et de sauvegarder ainsi le pouvoir d’achat. Lorsque l’évolution des prix atteint le seuil de +2,5 %, alors les salaires et pensions suivent automatiquement et augmentent également de 2,5 %.
Ce que l’on nomme l’index au Luxembourg, est donc tout simplement un mécanisme destiné à compenser la perte de pouvoir d’achat.

Régulièrement remis en cause, par les gouvernements ou partis politiques de droite notamment, celui-ci se trouve aujourd’hui fortement menacé car, pour la première fois depuis très longtemps, le gouvernement luxembourgeois actuel (une coalition de la droite, des verts et des socialistes) a bloqué son déclenchement automatique qui aurait dû avoir lieu au 1er juillet dernier.
Des trois syndicats représentatifs du pays, à savoir la CGFP (Confédération Générale de la Fonction Publique), le LCGB (Confédération Luxembourgeoise des Syndicats Chrétiens, proche du CSV, parti politique de centre droit) et l’OGB-L (Confédération Syndicale Indépendante du Luxembourg), seul ce dernier à refuser de signer l’accord à la proposition faite par le gouvernement dans le cadre de la tripartite , proposition qu’il juge inacceptable car ne signifiant rien d’autre, selon lui, qu’un démantèlement social .




L’OGB-L, premier syndicat du Luxembourg avec ses plus de 72 000 adhérents et sa majorité absolue à la Chambre des salariés, fort de son statut de représentant du progrès social dans le pays, est entré dans un bras de fer, et compte bien mettre en œuvre tout ce qu’il lui sera possible afin d’éviter toute manipulation de l’index, et surtout, de le préserver.



La fausseté des arguments des adversaires de l’index
Prétendre que l’inflation au Luxembourg serait trop élevé est faux car celle-ci ne dépasse que légèrement la moyenne européenne, et son évolution, de l’ordre de 2 à 3 % par an, est considérée comme optimale par la plupart des économistes.
De même, affirmer que l’index alimente l’inflation et provoque une flambée des prix est faux, puisque si tel était le cas, alors l’évolution de l’inflation devrait être significativement plus élevé au Luxembourg que dans les autres pays européens, ce qui n’est pas du tout le cas. Ajoutons que ce sont les entreprises qui sont les premières à augmenter les prix, et que si elles ne le faisaient pas, nous n’aurions pas besoin de l’index pour mieux protéger nos salaires et notre pouvoir d’achat.
De plus, soutenir que les salaires sont trop élevés au Luxembourg est encore faux. En fait, depuis des années, la part salariale de la plus-value créée diminue : les salaires ont évolué moins rapidement que les profits et les dividendes des entrepreneurs et des actionnaires. Et le Luxembourg est même clairement en tête des autres pays européens dans ce dévoiement de la répartition entre capital et travail.
Et enfin, avancer que l’index n’est pas équitable socialement est toujours faux, étant donné que ce n’est pas la faute de l’index si l’équité des salaires et la répartition des bénéfices du travail sont si déséquilibrés, et même souvent injustes.

L’imposture de l’index plafonné

L’UEL (Union des Entreprises Luxembourgeoises), la principale organisation patronale du pays, et ses alliés politiques avancent que l’index n’est pas juste, car une tranche indiciaire de 2,5 % représente une augmentation beaucoup plus forte pour les hauts salaires que pour les bas salaires.
Mais de telles affirmations hypocrites et populistes empêchent toute discussion sérieuse. L’UEL refuse par exemple la proposition de l’OGB-L d’établir plus de justice fiscale par le biais de tranches d’imposition supplémentaires sur les hauts salaires.
En vérité, les seuls à profiter d’un index plafonné, c’est à dire progressivement moins élevé selon le salaire, seraient le patronat et les actionnaires, qui réaliseraient ici d’énormes économies. En aucun cas les catégories salariales à faible revenu n’en profiteraient, puisqu’ils ne verraient jamais la couleur de l’argent encaissée par le patronat et les actionnaires aux dépens des autres salariés. Et pire encore, car cette mesure ne ferait qu’augmenter la pression des organisations patronales sur les petits salaires.

Cette proposition d’un index plafonné n’a pas pour but de parvenir à plus de justice salariale ou sociale. Au contraire, le véritable objectif qui se cache derrière cette proposition est clairement de réduire le plus grand nombre de salaires possible, et à partir de là, leur pouvoir d’achat. Ce qui par ailleurs ne manquerait pas de diviser encore davantage les salarié.es entre eux/elles.
L’index plafonné n’est rien d’autre qu’une étape préliminaire à l’abolition complète du système d’indexation. Voilà en quoi il est une imposture.

La manipulation de l’index par le gouvernement
Lors de la dernière réunion tripartite qui a eut lieu fin mars dernier et qui s’est étalée sur plusieurs jours de négociations, le gouvernement luxembourgeois campa sur ses positions et refusa même toute avancée significative.
Il proposa, qu’en plus du report de la tranche indiciaire normalement due pour cet été, que soit également retardé à chaque fois d’au moins un an d’éventuels déclenchements supplémentaires de l’index qui pourraient encore advenir en 2022 et 2023.
En outre, il balaya d’un revers de main une large partie des propositions constructives faites par l’OGB-L, notamment celle portant sur une adaptation du barème fiscale à l’inflation.
Et pour finir, cerise sur le gâteau, les propositions financières de compensation du gouvernement, principalement une augmentation du crédit d’impôt pour les salarié.es et pensionné.es, sont restées largement en-dessous de tout compromis envisageable pour quiconque serait attaché à une justice salariale et sociale.




Le refus de l’OGB-L de signer l’accord tripartite
C’est pour toutes les raisons évoquées au paragraphe précédent que l’OGB-L, contrairement aux deux autres syndicats représentatifs du Luxembourg, a refusé de signer un accord qui, à ses yeux, ne signifie rien d’autre qu’une manipulation de l’index et qu’un démantèlement social.
Le principal syndicat du pays a ainsi tout bonnement refusé, selon lui, de vendre le salariat, car son objectif est de renforcer le pouvoir d’achat des salarié.es, des pensionné.es et de leurs familles, et non de l’affaiblir.
Pour l’OGB-L, il est profondément regrettable que le gouvernement se soit agenouillé face au patronat, et manipule le système d’indexation des salaires et pensions qui est pourtant l’un des garants de la paix sociale au Luxembourg.
Le syndicat souligne encore qu’il est pourtant resté ouvert à la discussion tout au long des négociations et qu’il n’a cessé de faire des propositions en vue d’un accord équilibré.
Enfin, l’OGB-L affirme bien qu’il a refusé de donner son accord à ce qu’il considère comme une vaste opération de redistribution inversée (du bas vers le haut), consistant à aider toutes les entreprises, sans distinction aucune, avec le pouvoir d’achat des salarié.es, des pensionné.es et de leurs familles.

Entretien avec Michelle Cloos, secrétaire centrale et membre du bureau exécutif de l’OGB-L





Voici un résumé de ses propos concernant nos premiers échanges sur la question actuelle de l’index au Luxembourg.

Michelle Cloos : Les adversaires de l’index trouvent des arguments, faux la plupart du temps, pour le contrer.
Une compensation est proposée à la place du report de l’augmentation de 2,5 % des salaires et pensions qui aurait dû avoir lieu ce mois-ci. Mais celle-ci est insuffisante, par rapport à la hausse des prix surtout. Et les classes les plus modestes, et aussi les classes moyennes, ne le recevront pas ou qu’en partie. Cette compensation est encore plus injuste pour les ouvriers et les personnes qui travaillent en horaire décalé car leurs suppléments de salaire ne seront pas indexés. Il s’agit encore d’un moins pour les gens et d’un plus pour les entreprises.
Pour les patrons, l’index n’est pas social car tout le monde le reçoit. Et ils se servent de cet argument pour encore diviser le salariat : ceux qui l’auront perdu ne se battront plus. Et ceux-là, se seront les plus hautes salaires, puis progressivement, les moins hauts salaires. Les entreprises gagneront donc beaucoup d’argent en payant moins d’index, d’autant que la compensation proposée ne sera pas payer par elles, mais par le gouvernement, donc par nous, les salarié.es et pensionné.es.
L’OGB-L demande, non seulement que l’on ne touche pas à l’index, mais aussi une compensation supplémentaire pour les plus bas salaires et les classes moyennes afin de faire face à la hausse des prix des produits de première nécessité et de l’énergie. Nous sommes dans un pays ou la redistribution des bénéfices du travail et très mal répartie. Nous voulons que les travailleurs et les travailleuses reçoivent le juste retour de leur travail. Nous voulons que la redistribution se fasse du haut vers le bas, et non le contraire, comme cela devient malheureusement de plus en plus le cas. C’est une situation inacceptable dans un pays riche comme le nôtre.

Le Monde libertaire : La situation semble, pour le moment, bloquée. Comment peut-elle évoluer ?
MC : Les seules choses qui pourraient la débloquer sont les actions syndicales, telles que nous les menons actuellement. Nous parvenons déjà à bien mobiliser, mais devons arriver à mobiliser encore plus massivement. Il nous faut créer un rapport de force encore plus intense, surtout en vue des prochaines élections communales et législatives qui se dérouleront l’année prochaine au Luxembourg, ce qui nous permet de mettre dès maintenant la pression sur les partis politiques.

Le ML : La coalition gouvernementale (droite + verts + socialistes) est-elle unie dans sa position sur l’index ?
MC : Les trois parties sont très unis sur l’index, alors que le LSAP (socialiste) défendait l’index dans son programme, et que les verts étaient, à la base, pour sa préservation également. Et en plus, en 2018, le programme gouvernementale de cette coalition, prévoyait de ne pas toucher à l’index.

Le ML : L’OGB-L revendique une reforme fiscale allant vers plus de justice sociale et une meilleure redistribution des richesses. Mais, ne faudrait-il pas réformer le capitalisme, si c’est possible, ou l’abandonner progressivement ?
MC : Nous sommes un syndicat et pas un parti politique. Nous avons, à l’OGB-L, des gens de pratiquement tous les partis politiques. Cela dit, nous visons un idéal d’une société sans exploitation.
Il est clair que le système fiscal actuel est très inégalitaire. Les gens qui travaillent créent la richesse, et nous agissons pour qu’ils/elles reçoivent les fruits de leur travail, ainsi que pour une redistribution des richesses la plus juste possible.

Le ML : As-tu un dernier mot et/ou un message pour les lecteurs et lectrices du Monde libertaire ?
MC : Le plus important dans toutes les luttes sociales, c’est la solidarité, aussi bien au niveau salariale, mais aussi au niveau international. Il est très important de garder le lien entre les différents syndicats et avec la société civile.

La lutte qu’a entamé seul, le syndicat OGB-L, ne fait peut-être que de commencer, et il est pour le moment difficile d’en pronostiquer une quelconque issue. Mais soyons sûr que le premier syndicat du Luxembourg ne lâchera pas le morceau, d’autant plus que la mobilisation devrait encore s’amplifier dans les semaines à venir, et que l’opinion publique luxembourgeoise, majoritairement très attachée à l’index, pourrait faire basculer la balance de son côté.
Cette lutte reflète malheureusement bien la tendance économique et politique mondiale actuelle, qui va vers toujours plus d’austérité pour les populations, et toujours plus d’accaparement des richesses pour les nantis de cette donne inique que nous impose les dominants, les possédants et les exploiteurs.

Frédéric Pussé
Le 11 juillet 2022



PAR : Frédéric Pussé
Fédération Anarchiste, Moselle/Luxembourg
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