Quel avenir pour la Sécu ?

mis en ligne le 18 février 2010
Au moment de sa création, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la Sécurité Sociale a représenté une avancée sociale considérable, fruits d’années de luttes ouvrières et syndicales. Elle allait permettre au plus grand nombre de bénéficier des progrès de la médecine. À l’époque, les maladies infectieuses constituaient la première cause de mortalité : on était à l’aube de l’ère des antibiotiques, les réfrigérateurs étaient encore peu répandus, et l’espérance de vie dépassait tout juste la soixantaine d’année. Ce système devait se généraliser à l’ensemble de la population : ce projet n’a jamais été mené à son terme, puisqu’encore aujourd’hui coexistent des régimes dits particuliers, il y des caisses d’assurance-maladie différentes pour les salariés et les non-salariés, et qu’une partie de plus en plus importante de la population, privée de droits sociaux du fait de l’exclusion (ce qui en fait veut dire pauvreté en langage courant) bénéficie de la CMU (couverture médicale universelle). De paritaire à ses débuts, la gestion de la Sécu est devenue de fait gouvernementale ces dernières années : son directeur est directement nommé par le Conseil des ministres, qui lui dicte la politique à suivre. Son principal objectif est la réduction du déficit, ce fameux trou de la Sécu, dont personne n’a jamais pu voir le fond. Par le jeu des exonérations cumulées, des reports de charges et autres détournements, qui profitent largement aux patrons et aucunement aux travailleurs, l’État est devenu le premier débiteur de la Sécu : le recouvrement de cette dette permettrait de stabiliser les comptes. Régulièrement, la Cour des comptes établit ce constat : l’an dernier, elle a même calculé la somme que rapporterait la taxation sociale des stock-options, s’il venait cette idée folle au gouvernement qui, au lieu de taxer le travail, taxerait le capital ! Pour faire face à ce déficit, les ministres de la santé successifs depuis la loi Juppé de 1995 ont recours aux bonnes vieilles habitudes : augmentation et pérennisation de la CSG (contribution sociale généralisée) prélevée sur les salaires, diminution des remboursements, augmentation de la part payée par les malades : forfait hospitalier (qui est passé de 16 à 18 euros au 1er janvier dernier : 12,5 % d’augmentation !), franchises sur les consultations médicales et sur les médicaments, remise en cause de l’exonération du ticket modérateur pour les patients en affection de longue durée ; la liste des difficultés grandissantes pour se faire soigner s’allonge quasiment tous les jours. L’objectif inavoué est d’ouvrir le marché de la protection sociale et de l’assurance-maladie au secteur concurrentiel. La Sécu se bornerait à couvrir au minimum les patients les plus lourds (handicapés, personnes âgées dépendantes) et les plus pauvres : les autres, jeunes actifs en bonne santé, à qui on aura fait comprendre qu’ils payent pour les autres, auront la possibilité de s’assurer à leurs frais auprès de la société d’assurance qui leur fera la meilleure offre, compte tenu de leur risque calculé au plus juste, avec système de bonus et malus selon leur comportement. Et ceux qui seront dans l’incapacité de s’assurer attendront le dernier moment pour se rendre à l’hôpital public, qui sera a plusieurs kilomètres, mal équipé, avec un personnel réduit et débordé, qui leur fournira les soins minimums et qui essaiera de se faire rembourser par la Sécu. D’autre part, la raréfaction des médecins de ville, généralistes et spécialistes confondus, fera qu’il y aura de plus en plus de file d’attente : pour maîtriser les coûts, les assurances et la Sécu – du moins ce qu’il en restera – proposeront à ces médecins une forme de salariat, avec à la clé des objectifs de rendement et d’économie : pas plus de tant de dépense par an et par malade et par pathologie, sous peine de perdre le bénéfice de la convention…
Voilà à grand trait ce qui va se produire pour le système d’assurance santé français dans les années qui viennent : la substitution de la solidarité par l’individualisation et la responsabilisation. Ce qui rappelle furieusement la situation américaine actuelle, qui fait que près de 45 millions d’Américains n’ont aucune couverture de santé, que les dépenses de santé sont en progression constantes (16 % du PIB états-uniens, contre 11 % en France, 10,5 % en Allemagne et 9 % en Grande- Bretagne) dans un système inflationniste et gaspilleur, que les indicateurs de santé comme l’espérance de vie, la mortalité néonatale, les taux de diabète et d’obésité sont plus mauvais aux États-Unis qu’en Grèce, que déjà un État comme le Massachusetts a choisi pour ses fonctionnaires un système qui rappelle étrangement celui de notre bonne vieille Sécu d’avant sa mise à l’encan. Et puis l’administration Obama essaie de faire passer un programme de réforme du système de santé qui mettrait en place une assurance-maladie universelle et obligatoire, alimenté par un impôt solidaire qui mettrait les plus riches à contribution. Ce projet, dicté par le bon sens et par la prévision qu’en l’état le système actuel court à sa perte, se voit contesté par les tenants du marché dit concurrentiel, et surtout par la frange la plus idéologue de la droite conservatrice et réactionnaire qui, à chaque tentative de l’État fédéral d’apporter un peu d’égalité, brandit la menace une conspiration cryptocommuniste.
Ce qui se joue là est d’une importance capital pour notre propre organisation sociale. Des organisations comme l’OMS et l’OCDE, pas précisément connues pour leurs idées progressistes, font le constat qu’une organisation des systèmes de santé basés sur la solidarité et l’égalité d’accès aux meilleurs soins pour tous était le garant d’une société juste et durable. À méditer…
À votre santé !

Moriel

Sur ces questions, nous vous invitons à écouter l’émission « La santé dans tous ses états », chaque troisième lundi du mois, de 18 h 00 à 19 h 30, sur Radio libertaire (89.4 MHz en Île-de-France et sur internet partout ailleurs).
Un livre à lire, sur lequel nous reviendrons : L’égalité c’est la santé, de Richard Wilkinson, préface du Pr. Grimaldi, aux éditions Démopolis.
Signer et faites signer la pétition pour la défense de l’hôpital public :
http://www.petition-mdhp.fr/