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Histoire
par Sylvain Boulouque le 7 décembre 2025

PAGES D’HISTOIRE N°104

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Dans une biographie publiée d’abord en Allemagne, le philosophe Thomas Meyer revient sur la vie de l’une des politistes et philosophes les plus lues du XXe siècle dont l’œuvre qu’elle soit adulée ou décriée demeure incontournable.
Thomas Meyer est l’éditeur des œuvres complètes d’Arendt en allemand – soient au total, sous réserve d’autres inédits, treize volumes. Sa biographie, publiée en il y a deux ans en Allemagne apporte de nouvelles perspectives, la centralité de l’exil et des années parisiennes dans son œuvre.

Pour mémoire, Hannah Arendt est née en 1906 à Hanovre dans une famille de techniciens et de commerçant juifs. Orpheline de père à l’âge de 7 ans, elle grandit poussée par sa mère. Considérée comme une enfant particulièrement éveillée, elle passe son baccalauréat en 1924 avec un an d’avance et se lance dans des études de philosophie. Elle entretient avec son professeur de philosophie, Martin Heidegger, une relation amoureuse et clandestine. Sur les conseils de son maître et amant, elle est formée sur un plan philosophique par Karl Jaspers. À la fin des années 1920, elle épouse Günther Stren le futur Anders, l’une des principales figures de l’école Francfort. Parallèlement, dès le milieu des années 1920, elle participe aux activités de l’Union sioniste allemande. Chargée d’analyser la montée de l’antisémitisme en Allemagne, elle est obligée de fuir l’Allemagne après avoir été brièvement arrêtée en 1933. À Paris, le couple se sépare.

Arendt rencontre l’ancien militant conseilliste, Heinrich Blücher et fréquente assidûment le milieu des exilés installés dans le 15e arrondissement parisien autour d’Erich Cohn-Bendit et Herta David, les futurs parents de Gabriel et Daniel, Arthur Koestler ou Walter Benjamin et des réseaux en rupture de communisme autour de Willy Münzenberg. Arendt s’occupe alors des enfants Juifs qui s’apprêtent à partir en Palestine. Elle travaille en étroite collaboration avec Arnold Zweig, alors militant sioniste et antimilitariste – qui après 1945 ayant rompu avec le sionisme devient l’une des principales figures de la vie littéraire en RDA – estimant que le sionisme doit avoir une incarnation concrète. L’un des apports centraux de l’ouvrage est de montrer que contrairement aux légendes entretenues par ses partisans comme ses détracteurs, Arendt a participé au mouvement sioniste et a offert plusieurs articles aux revues sionistes et s’est rendu pour la première fois en Palestine sous mandat britannique. Il ajoute et montre en outre que si elle s’est montrée inquiète de l’avenir d’Israël, elle n’a jamais été antisioniste. Son exil parisien change la philosophe, elle devient particulièrement attentive aux phénomènes sociaux et parallèlement qu’elle est restée attachée à l’idée de bohème et de changement social, comme en témoigne son attention et son soutien par exemple aux groupes antiautoritaires dans la France de mai 1968 et aux réfugiés et aux déplacés, comme l’auteur le souligne en analysant ses notes à propos de la condition de l’homme moderne. Devenue citoyenne américaine en 1951, elle reste quelque part apatride et espère la fin des États-nations. Son second exil américain lui permet d’accéder à une certaine renommée. Sa trilogie sur le totalitarisme en est la consécration. Mais, contrairement à ce que pensent ses laudateurs, sa critique des régimes totalitaires contient aussi une vision exigeante de la démocratie, le volume sur le colonialisme en est un élément central : garantir les libertés s’applique à tous et pour tout… Réduire l’œuvre d’Arendt au dernier volume sur le totalitarisme (1) ou à Eichman à Jérusalem serait une erreur centrale dans la compréhension du personnage.
Cette stimulante biographie fondée sur des archives neuves amène à relire Arendt, en espérant que comme en Allemagne, les versions intégrales de ses œuvres soient traduites, en y incorporant les différentes variantes des textes.

Thomas Meyer
Hannah Arendt
Calmann-Levy 2025 544 p. 25,90 €

(1) l’un des meilleurs spécialistes de l’analyse des régimes totalitaires, Bernard Bruneteau vient de se voir offrir ses mélanges comme le veut une tradition académique ancienne (François Hourmant sous la direction de, L’Europe et le totalitarisme), Rennes, PUR, 2025 240 p. 24 €. L’ouvrage en question souligne la valeur heuristique du concept de totalitarisme. L’historien a publié plusieurs ouvrages essentiels sur le sujet allant de l’analyse de la dimension utopique des systèmes totalitaires à l’analyse du vêtement. L’intérêt du présent ouvrage est de montrer également son utilisation dans le cadre des voyages à propos des voyages des maoïstes pro-albanais à Tirana ou bien encore dans une dimension peu explorée dans les fictions que ce soit dans la littérature, le cinéma ou les séries. La notion a, comme il est possible de le voir à travers ce livre, une valeur certaine.



PAR : Sylvain Boulouque
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