Bien fait pour vos gueules !

mis en ligne le 19 février 2015
C’est pas quand on a fait dans sa culotte qu’il faut serrer les fesses. Je m’évertue à le seriner à un petit garçon d’un an de mes relations, mais il n’a semble-t-il ni la sagesse ni la fortune de Gad El Maleh ; ce qui n’est sans doute pas plus mal. Misère des riches qui viennent de se faire attraper avec les doigts dans le pot de confiture. Rien en cela d’étonnant pour nous, le plus étonnant, c’est que ça n’étonne qu’eux-mêmes. Mais défions les lois de la syntaxe et de la répétition : comment vont-ils donc s’en remettre ?
Vous vous en foutez sans doute, et vous avez en cela bien raison, moi aussi. Juste retour des choses que ce qui vient d’arriver.
Et pourtant les affaires des riches sont parfois comme celles des religions, elles sont bien les nôtres. Ils nous les imposent, nous contraignent presque même à nous y intéresser, un peu comme si nous y pouvions quelque chose et qu’un peu de tendresse et d’empathie de notre part pour la chose était de nature à adoucir leurs vilains tourments.
Eh bien non ! Bien fait pour vos gueules en toute sincérité, car, enfin, ce n’est tout de même pas rien.
Ce « Swissleaks », c’est eux qui appellent ça comme ça, donne tout de même le vertige. Les enjeux sont énormes. Plus de 180 milliards d’euros auraient transité sur les comptes de la banque britannique HSBC entre novembre 2006 et mars 2007. Cette fraude massive concerne plus de cent mille clients et vingt mille sociétés offshore et doit, on peut le penser, son retentissement à la présence parmi ces arsouilles de haut vol de célébrités du show-business du calibre de Tina Turner, David Bowie ou, je le disais plus haut, Gad El Maleh. Ce dernier, non content de regarder sous les jupons des princesses, voire d’y balancer goulûment la louche, nous avait prodigieusement agacés en faisant du matraquage publicitaire pour un vestige des débris du Crédit lyonnais de sinistre mémoire, cet « humoriste » donc avait planqué allègrement quatre-vingt mille euros, ce qui, aux dires journalistes, était une somme dérisoire. Il y a des sommes dérisoires dont d’aucuns voudraient bien pouvoir bénéficier. Mais ces banquiers suisses n’ont aucune morale et aucun état d’âme. Ils étaient en outre prêts à aider un homme d’affaires libano-belge condamné depuis pour son implication dans un trafic de diamants en Afrique et la liste de leurs clients longue comme le bras d’un basketteur s’étend au roi du Maroc, au roi de Jordanie, au cousin de Bachar el-Assad, au sultan d’Oman, toujours gavés et jamais repus et dont les conditions d’existence de leurs fidèles sujets font l’admiration, la jalousie et l’admiration de la planète entière. Ces révélations commises par Le Monde se sont malgré tout assorties de la part des dirigeants du quotidien d’un bémol. Les trois lumineux philanthropes bien connus que sont Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse, patrons de gauche avérés et toujours à l’affût du moindre progrès social, ont déclaré, fiers donc du travail d’investigation de leur journal de toutes les tendances : « Il est vrai qu’il y a un juste équilibre à trouver entre le fait de divulguer des informations d’intérêt général, d’intérêt public et le fait de ne pas tomber dans une forme de maccarthysme fiscal et de délation. » Ces bons faux-culs, bah ce sont des patrons de gauche ! Ils n’ont guère de conseils à nous donner et pourront sans doute être bien avisés d’en recevoir un : celui de changer de métier. Car c’est bien le principe même de la presse d’investigation, ce précieux et nécessaire principe, qui a trouvé et prouvé une fois encore par toutes ces révélations sa légitimité et son efficacité. Que les dirigeants et propriétaires ne s’étonnent plus dès lors que les journalistes fassent leur travail. Ces trois individus seraient sans doute bien inspirés de s’occuper à réapprovisionner en timbales les machines à café des salles de rédaction plutôt que de donner de bien méchantes leçons de vertu à leurs salariés.
C’est en l’occurrence Matthieu Pigasse qui est à la manœuvre. Ancien du ministère de l’Économie et des Finances, il est directeur général délégué de la banque Lazard en France et vice-président de Lazard en Europe, ainsi que propriétaire et président du magazine Les Inrockuptibles, et administrateur civil actionnaire du journal Le Monde donc et du Huffington Post, diplômé de Sciences-po, et de l’ENA., proche de Dominique Strauss-Kahn, membre du conseil d’administration de la Fondation Jean-Jaurès, tête bien faite et bien pleine qui affirme, non sans postillonner, que la très large majorité de ses revenus est imposée en France, que la très étroite minorité lève le doigt, et dont la tête bien faite et bien pleine donc n’aurait sans doute pas son mot à dire dans un panier de sciure. Peut-être craint-il que la délation, ben, ça lui retombe dessus ? On peut le penser et de surcroît en ricaner par avance. Comme je le laissais supposer en début d’article, il ferait bien de serrer les fesses avant de…
Les hommes fascinés, j’allais dire fascisés, par l’argent, le pognon, la caillasse et j’en passe n’ont décidément aucun scrupule. Tout ce qui les passionne, tout ce qui les motive, c’est avec un euro en gagner mille. Peu importe la méthode et peu importent les scrupules. Ils seraient bien avisés de se méfier de ceux qui n’auront, eux, aucun scrupule à récupérer ce qui les a fait prospérer, et ils auront raison.