Ces clowns que l’on croit connaître

mis en ligne le 16 janvier 2014
Suffit-il de se mettre un nez rouge pour devenir un bon clown ? Trop simple. C’est ce que nous raconte Tout va bien (1er commandement du clown), le film coréalisé par Pablo Rosenblatt et Emilie Desjardins, tourné au Samovar, une école de formation de clown située à Bagnolet, dans la région parisienne. Nous accompagnons pendant quatre-vingt-dix minutes le parcours initiatique de dix filles et quatre garçons qui, durant deux années, vont tenter de « chercher leur clown ». Le Monde libertaire était invité à le découvrir, avant sa sortie sur les écrans le 19 février 2014.
Une nouvelle « brigade » d’élèves arrive au Samovar. Une rentrée des classes. Classique. Le directeur de l’école les accueille et les invite à se présenter. Certains d’entre eux ont fait le choix de couper court à une activité professionnelle qui ne leur correspondait pas, ou devenue trop contraignante. La caméra va donner corps à l’identité et à l’histoire de chacun, de chaque prénom.
C’est ce garçon formaté au parcours du parfait élève des grandes écoles qu’une première expérience dans le monde du travail a échaudé.
Une infirmière spécialisée dans un hôpital pour enfants atteints de maladies graves, qui a choisi de prendre une bouffée d’air frais durant un congé individuel de formation.
D’autres sont plus jeunes, en majorité des filles, qui, pour la plupart, ont refusé d’entrer dans un monde convenu et ennuyeux, où le seul but à atteindre serait de suivre un long fleuve plus ou moins tranquille, celui d’une carrière banale contre une rémunération sans paillettes.
Quand pour d’autres, c’est spontanément qu’ils tentent l’aventure : ils ont toujours voulu être clowns.
Alors des professeurs (majoritairement clowns) vont les accompagner, quelle que soit leur histoire, dans cette longue initiation envoûtante, non sans tumultes ni passions.
Il s’agit d’abord de se déconstruire. Spectateurs, nous participons à cette remise à nu qui consiste à abandonner ses acquis, ses automatismes sociaux et ses convictions jusqu’à redevenir vierges.
Accompagnant la caméra de Pablo Rosenblatt, nous regardons ces scènes qui se succèdent, s’enchevêtrent. Imperceptiblement, les numéros qu’Émilie Desjardins a attentivement sélectionnés à notre attention, parfois comiques, parfois tendres ou encore très durs, nous feraient regretter de ne pas en être, nous aussi. On aimerait accompagner ces apprentis artistes dans les étapes les plus difficiles du métier.
Par exemple, comment déclencher le rire du public (qui n’est encore, à ce stade de l’apprentissage, que composé des profs et des autres élèves) ? En recyclant ce qui peut faire rire en société, ou avec ce que l’on tente de cacher le mieux possible au plus profond de soi ? En acceptant de grossir ses défauts ? Ou un peu de chaque ? En tout cas, la tâche est ardue.
Après la théorie, la pratique : l’élève entre en scène. Il doit faire rire, tout tenter pour ce faire, recommencer si c’est raté. Ne jamais renoncer. Et la technique, la mécanique, entrent pas à pas en lui. Pour devenir, un jour, automatismes. Tout va bien est un film formidable.
Il nous révèle que devenir clown relève d’un art. Un art qui ne peut faire l’impasse de l’apprentissage des bases et dans lequel chaque individu doit plonger au fond de ses peurs pour les vaincre.
Car, on comprend que le clown évolue toujours au cœur du danger. Un danger potentiel enfermé en lui.
Quel bonheur de voir des élèves arriver à en rire, mais surtout à accepter d’en faire rire !
Car la magie consiste bien à transformer la souffrance et le doute en bonheur. Pris dans cette spirale, on s’attache aux personnages, tous différents et tellement hauts en couleurs.
Après avoir maîtrisé ma peur des clowns, je croyais en pressentir la mécanique, puisque j’avais grandi. Je sais maintenant, grâce à Tout va bien, qu’en fait j’en ignorais tout.
J’ai ri et j’ai pleuré avec eux. Je ne les verrai plus jamais comme avant, je les regarderai toujours de l’intérieur. Je pressentais confusément que nous avions tous un clown caché en nous, à présent c’est une conviction.
Bravo pour le clown ! Bravo pour ces jeunes qui ont réussi à l’extirper d’eux. Même si leur quotidien est d’endosser les habits du mauvais rôle, celui de l’idiot.
C’est un don qui se travaille. Et en ne démordant pas de sa bêtise souvent grossière, le clown ne remet-il pas en question l’ensemble de nos comportements sociaux, si restrictifs et formatés ?
Un film immense, éclairé et sensible, dont on n’a pas fini de parler…