Gardes civils, mossos, CRS, BAC, etc. : injurions les hirondelles

mis en ligne le 4 décembre 2013
Dans ma prime enfance, on voyait passer à vélo, deux par deux, les policiers en patrouille que l’on surnommait « hirondelles ». Pourquoi ? Parce que « Hirondelle » était la marque de leur engin à deux roues. Aujourd’hui, il y a de nouvelles brigades à vélo (qui vont par trois), mais la marque n’est plus la même. Exit, donc, l’hirondelle, le surnom de ces flics, ainsi, d’ailleurs, que les oiseaux du même nom qu’on ne voit guère dans le ciel parisien, même au printemps. Ne restent aux beaux jours que les martinets (les oiseaux, pas les anciens instruments de correction pour enfants pas sages). Les policiers ne sont pas dotés d’un autre genre de martinet, mais plutôt de matraques, ou tonfas, dont ils savent faire usage. Et quand ça ne suffit pas, l’état vient à la rescousse avec son arsenal juridique. S’il y a insuffisance de sanctions prévues, on allonge la sauce.

Hier
Comme, par exemple, en Espagne où, il y a plus d’un an, Cristina Cifuentes (députée de droite, et déléguée du gouvernement à la Communauté de Madrid) menaçait déjà d’utiliser tous les moyens légaux pour contrôler (entendez « affaiblir ») la contestation, trouvant le cadre actuel trop « permissif » avec le droit de réunion et de manifestation. Motif invoqué ? Il s’agissait de « rationaliser » l’usage de l’espace public, car, avec plus de 3 400 manifestations et rassemblements à Madrid pour l’année 2012, ça bouchonne un peu. Cristina Cifuentes en a rajouté une louche en déclarant que, dans ces rassemblements ou manifestations d’opposition à la politique de son gouvernement, se trouvaient des « putschistes et/ou des néonazis ». Détail piquant quand on sait qu’elle est membre du Parti populaire 1, créé par Manuel Fraga, ancien ministre de Franco.

Aujourd’hui
Une nouvelle loi, dite « loi de sécurité citoyenne », est présentée par Jorge Fernández Díaz, ministre de l’Intérieur du même gouvernement de droite. Son but avoué est de durcir les sanctions prévues contre ceux qui manifestent ou se rassemblent sans autorisation devant les bâtiments officiels de l’État, Cortes, Sénat, parlements… Il en coûtera désormais entre 1 000 et 30 000 euros d’amende pour les « fautes » légères, voire de 30 000 à 600 000 euros pour ce qui sera jugé comme un délit grave, qu’il s’agisse de membres de mouvements de défense des libertés collectives ou syndicales ou d’individus isolés.
Créer des embouteillages (manifs de taxis, chauffeurs routiers, etc.) : contravention. Brûler des poubelles sur la voie publique : contravention. Dégrader du mobilier urbain : contravention. Construire une barricade : contravention. Fréquenter des prostituées dans certains espaces publics : contravention (vous ne voyez pas le rapport avec les manifs et les barricades ? Moi non plus, mais passons…). Défiler en portant cagoule, casque ou tout vêtement rendant difficile l’identification du manifestant : contravention. Encore contravention, toujours contravention et peine carcérale dans la foulée, bien entendu. Même chose pour insultes, injures, vexations (?) envers les flics ou les gardes civils, ainsi que diffusion sur le Net de photos, vidéos de policiers présentant pour ces derniers motif à moquerie ou risquant de porter atteinte à leur sécurité.

Un projet bientôt réalisé ?
Inutile de dire qu’en plus des syndicats et partis d’opposition nombre d’associations ruent dans les brancards pour faire barrage à ce projet de loi. Ainsi, trois membres de Greenpeace sont parvenus à escalader le plus grand immeuble de la place d’Espagne, à Madrid, pour y déployer une énorme banderole où l’on pouvait lire : « Non à la loi antiprotestation. » De même, syndicats, indignés du 15M, comités antiexpulsions ont exprimé leur opposition à cette loi citoyenne d’autorité. La loi actuellement en vigueur, et également contestée, était due, elle, à José Luis Corcuera, ministre du précédent gouvernement (socialiste, celui-là). Elle était qualifiée de « coup de pied dans la porte », en raison des intrusions trop appuyées et trop fréquentes de la police. La nouvelle loi en projet est surnommée, elle, « coup de pied dans la bouche de la démocratie », en raison de l’évidente atteinte au droit de manifester.

Quand les preuves n’en sont plus
En Catalogne, seul le nom des flics change : il s’agit des mossos de escuadra, dont les matraques indépendantistes ne font pas moins mal que celles de l’État espagnol. Un de ces mossos un peu trop zélé avait copieusement tabassé un indigné le 15 mai 2011, à Barcelone. Le hasard a voulu que cet indigné soit un député d’un petit parti catalaniste (Candidature d’unité populaire), qui a porté plainte contre le flic, vidéo à l’appui. Le procès vient seulement d’avoir lieu et l’a débouté. En effet, un non-lieu a été accordé au policier, car même si on le voit sur la vidéo frapper le manifestant qui était assis par terre, le juge a estimé que, d’abord, c’est le refus des indignés de quitter la place qui a « obligé » les mossos à intervenir et que, ensuite, rien n’indique qu’il s’agissait d’un usage « démesuré » de la force de la part de ces mossos, ni que les coups portés étaient dirigés sur des « zones vulnérables du corps ». Le juge a donc estimé qu’il avait été fait un « usage progressif de la force ». Fermez le ban ; la crainte d’une condamnation faisant jurisprudence est écartée au grand soulagement du gouvernement catalan (Generalitat), car des centaines de plaintes attendent derrière ce cas.

Et chez nous ?
En France, l’arsenal juridique est également bien fourni, mais nous avons mieux : la bavure policière. À la base, nous avons l’abus d’autorité. Assister à un contrôle d’identité sans rien faire d’autre que regarder ce qui se passe semble être insupportable pour un représentant de l’ordre, qui va soudain juger sa sécurité menacée. D’où le fameux périmètre de sécurité à géométrie très variable que le policier va fixer lui-même. Circulez, y a rien à voir, ou éloignez-vous à cinq, dix, vingt mètres ou plus, ça sera encore mieux. Vous ne bougez pas assez vite ? On vous pousse. Vous résistez ? Rébellion. Une injure sort malencontreusement de votre bouche ? Outrage, menottes, garde à vue, rappel à la loi devant le juge. ça, c’est l’interpellation soft. Pour une version plus hard, vous avez le choix. Au hasard, par exemple, les interpellations à Trappes cet été, suite aux affrontements entre habitants et forces de l’ordre dans la nuit du 19 au 20 juillet.
D’abord un jeune de 20 ans arrêté qui se retrouve avec un traumatisme crânien et quarante-cinq jours d’incapacité totale de travail, mais qui est poursuivi pour rébellion et violences sur policiers. Sans doute a-t-il dû se frapper tout seul le crâne ? Mieux, le même soir, un autre jeune (14 ans) a perdu un œil après un tir présumé de flash-ball. Présumé ? Sans doute s’est-il crevé l’œil tout seul ? Sans parler des bavures mortelles : de 2002 à 2012 pas moins de dix-huit 2 ; et dix-huit de plus, rien que pour l’année 2012. Conséquence évidente de la misère, du chômage, des inégalités toujours plus grandes dans cette société capitaliste qui veut nous faire payer sa crise économique. Aucune imagination pour stopper les fermetures d’entreprises et les licenciements qui en résultent, pour combattre le chômage… Aucun des gouvernements successifs (de gauche ou de droite) ne s’est jamais attaqué aux causes de la violence, mais à ses conséquences. Tous ont misé et investi dans plus de sécuritaire : caméras de surveillance à tout va, développement des techniques et des armements des différentes et nombreuses unités d’intervention des forces de l’ordre, des CRS aux BAC.

Qui n’est pas en sécurité ?
D’où vient, donc, ce sentiment de malaise que l’on peut ressentir à la vue d’uniformes au cours d’une manifestation pacifique ? Peut-être au fait qu’en cas de « problème » la bavure policière n’est jamais très loin, et que la majorité des plaintes déposées contre la police ne débouchent sur rien ou presque. En 2006, seulement huit plaintes pour violences policières ont abouti. Huit sur… six cent trente-neuf !
Ce n’est pourtant pas le budget du ministère de l’Intérieur et de l’Immigration, Asile et Développement solidaire (c’est le même ministère, ne l’oublions pas) qui est le plus mal loti. Pour 2012, il lui a été alloué 25,5 milliards d’euros et 280 534 ETPT 3. Mais on constate, en voyant la répartition des postes, que 17,06 milliards sont consacrés à la sécurité seule, alors qu’il n’y a que 660 millions d’euros (et non milliards) pour la partie immigration/asile/développement solidaire. Cherchez l’erreur et, quand vous l’aurez trouvée, signalez-la à notre cher Valls, ça sera votre B.A. de la semaine.


1. Malgré son nom, ce parti n’a rien de populaire. Créé en 1989, il a servi à recycler tous les déchets franquistes après la Transition démocratique.
2. Voir les chroniques de Maurice Rajsfus sur le site « Observatoire des libertés publiques ».
3. Unité de décompte servant à mesurer l’activité du personnel. Exemple : un agent à temps plein (100 %) toute l’année = 1 ETPT ; un agent à temps partiel (80 %) toute l’année = 0,8 ETPT ; un agent à temps partiel (80 %) présent six mois de l’année = 0,4 ETPT.