L’offensive de la Filpac-CGT

mis en ligne le 21 novembre 2013
Le 8 novembre 2013, le comité général de la Fédération CGT des industries du livre, du papier et de la communication (Filpac) a rédigé, depuis Cognac, une résolution dite « pour la construction d’un mouvement social ». De quoi susciter l’intérêt de tout syndicaliste en rupture avec les politiques et les démarches démobilisatrices des directions des grandes centrales. Retour sur un texte qui, enfin, injecte un peu de radicalité dans le monde, pour l’heure mollasson, du syndicalisme français.

Bilan de un an et demi de socialisme libéral
Le texte, intitulé Nous ne pèserons que par nos luttes ? Alors, construisons-les !, se veut le premier colporteur d’une annonce « prometteuse » : le lancement, au niveau national, d’une campagne fédérale pour la construction « d’un mouvement social général ». Avant de plancher sur les objectifs et les modalités de ladite campagne, le comité général de la Filpac dresse un bref bilan du mandat présidentiel de Hollande. Et si, lors de la campagne de mai 2012, les instances confédérales de la CGT avaient ouvertement appelé à voter pour le candidat socialiste, la Filpac affiche, plus de un an après, et tout aussi ouvertement, son dégoût d’une politique socialiste qui n’en a que le nom. Sans détours, la Filpac explique la crise sociale actuelle par « la politique de Hollande qui laisse faire et encourage les agressions patronales, concentrées sur les besoins élémentaires (emploi, salaire, logement, santé) ». Des 20 milliards d’euros accordés au patronat, le 6 novembre 2012, via le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi à la signature, le 11 janvier 2013, d’un accord national interprofessionnel (ANI) offrant aux patrons la possibilité de licencier beaucoup plus facilement qu’auparavant (c’est dire…), le gouvernement a toujours fait montre, depuis qu’il est élu, d’une servilité parfaite envers le Medef. Et, au final, les seuls changements – rares, mais utilisés par le gouvernement pour vernir sa politique économique libérale – n’ont pas été sociaux, mais sociétaux (mariage homosexuel, promesse de débats sur le droit à la mort, sur le droit de vote des étrangers, etc.).
Outre le désastre économique de la politique de François Hollande, la Filpac pointe aussi, avec inquiétude, le retour en force de l’extrême droite. Pour la Filpac, cette montée est due à la récupération, par les organisations fascistes, d’une colère sociale désespérée qui, ne sachant plus où regarder pour trouver de l’aide, peut parfois ouvrir ses bras à l’extrême droite. D’où la nécessité, selon la Filpac, de « contribuer à bâtir le mouvement social et d’en clarifier les objectifs de façon à éviter l’impasse et le renoncement après une colère éphémère ». On pourra aussi ajouter à cette analyse la banalisation du discours xénophobe dans la plupart des médias, lequel s’est particulièrement répandu ces dernières semaines autour de l’affaire dite Leonarda (sans parler des injures racistes récemment reçues par Christiane Taubira). Cette « dédiabolisation » du discours de l’extrême droite laisse croire à ceux qui le portent qu’il existe pour eux et leurs idées une certaine tolérance. Se croyant tout permis, ils peuvent aller jusqu’au meurtre, comme ce 5 juin 2013 où un décervelé des Jeunesses nationalistes révolutionnaires a assassiné notre camarade antifasciste Clément.
Enfin, à l’heure où Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, vante partout le patriotisme économique, le consommons français et autres conneries tricolores, et où François Hollande appelle à l’union nationale face à la crise (entendez : « plus de lutte des classes, s’il vous plaît »), la Filpac tient à préciser que « c’est ce nationalisme qui fournit au libéralisme économique son enveloppe idéologique. Un marché et un patronat tout puissants, dotés de tous les pouvoirs, tendent aux salariés le drapeau national en guise de consolation et de dérivatif, telle est la manœuvre en cours ».
Crise économique et sociale, montée du fascisme, pour la Filpac, il demeure impossible « d’attendre un hypothétique changement d’orientation de la part d’un gouvernement qui agit contre nous ». La seule sortie de la crise, c’est la construction d’un mouvement social national, capable de briser non seulement l’isolement des luttes (qui existent bien), mais aussi, et surtout, les « pièges » tendus aux travailleurs avec les départs volontaires et les plans sociaux qui, en individualisant les licenciements (puisqu’au final il s’agit de cela), enrayent toute velléité de mobilisation réellement collective.

La meilleure défense, c’est l’attaque
Quels objectifs la Filpac donne-t-elle, dans sa résolution, à ce mouvement social général qu’elle appelle de ses vœux ? Ils ont le mérite d’être clairs et pragmatiques, à défaut d’envisager fondamentalement, à terme, une rupture radicale d’avec le capitalisme.
Alors que les quelques directions syndicales encore opposées à la politique du gouvernement Hollande ne conçoivent l’activité syndicale que comme une défense des acquis sociaux, la Filpac, elle, appelle plutôt à non seulement les défendre, mais aussi à en conquérir de nouveaux. Ce qui ne manque pas de pertinence. Car si, aujourd’hui, le syndicalisme français est moribond, c’est bien parce qu’il ne sait plus – ne veut plus ? – passer à l’offensive. À la remorque des politiques gouvernementales, il attend les réformes pour, éventuellement, s’y opposer. Il n’est à l’initiative de plus grand-chose et préfère s’enliser dans la préservation du passé plutôt que d’inventer et construire un autre futur. Dans cette logique, la Filpac entend obtenir le gel des licenciements et des plans sociaux, la sauvegarde automatique des emplois et des sites menacés de fermeture (loi M Real) et, surtout, le droit du comité d’entreprise à un recours suspensif contre les licenciements, fermetures et restructurations. Bref, de quoi dynamiter l’ANI. Elle réclame également une réévalutation à la hausse du salaire direct, une défense « bec et ongles » du salaire social et une politique fiscale « juste, progressi[ve], corrigeant les inégalités par un barème adéquat ».
Mais comment mobiliser ? La Filpac avance plusieurs idées, et notamment l’organisation régulière, « patiente et obstinée », de rassemblements dans des lieux publics (elle évoque notamment les occupations de places de ces derniers mois dans d’autres pays). Elle insiste aussi sur l’inutilité des journées d’action organisées par les directions confédérales, précisant qu’« on ne réglera rien par des journées trop courtes, des manifestations trop touristiques, des rituels revendicatifs tant formels qu’imprécis ». Et, de fait, elle insiste sur l’impérieuse nécessité d’une « intense préparation, de façon que les savoir-faire se transmettent, l’endurance se cultive, le soutien de masse soit établi ». Et de conclure : « L’objectif des syndicats de la Filpac-CGT est bien de préparer ce conflit pour gagner. »

Oui, mais…
Assurément, lire une telle résolution émanant d’une fédération syndicale de la CGT fait un bien fou, surtout en ces temps bien mornes où le radicalisme à la mode est celui de la droite. Mais si on ne peut que saluer les ambitions de la Filpac, et notamment sa définition de quelques revendications claires et précises, on est toutefois en droit de se demander s’il ne s’agirait pas, au fond, que d’une déclaration d’intentions. D’autant que, outre des rassemblements publics, la fédération ne mentionne jamais la nécessité de s’en prendre directement à la production pour voir les choses bouger vraiment. Car, pour sûr, le pouvoir des travailleurs est moins dans la rue que dans les entreprises où ils travaillent. Et sans attaquer l’appareil productif, on risque rapidement de reproduire ces fameuses « manifestations trop touristiques » que, à juste titre, la Filpac dénonce. Quid de la grève, donc ? Ces quelques réserves exprimées, on attend de voir les initiatives à venir, desquelles, bien sûr, on vous tiendra informer.