Syndicalisme rassemblé ou compromis ?

mis en ligne le 28 mars 2013
Eh bien, ça y est ! La CGT a vécu son cinquantième congrès. L’événement, somme toute peu médiatisé comme on se doit de l’attendre des professionnels de l’information aux ordres d’une classe vivant du travail des autres, a été conclu par la bouche de son nouveau secrétaire général avec la promesse d’une organisation syndicale qui restera « exigeante » et ne « lâchera rien » pour éviter « d’aggraver les conditions faites au monde du travail ». Ouf, revenez les journalistes ! Restez, les riches ! Il n’y a rien à craindre puisque la CGT promet la poursuite de sa politique dans le renoncement à rompre avec le système marchand.
On pourrait se satisfaire d’un poulet de quelques lignes sarcastiques pour évoquer dans nos colonnes cet énième congrès de l’organisation syndicale la plus ancienne et la plus représentative. Mais il semble nécessaire d’être plus consistant pour réfléchir aux enjeux auxquels sont confrontés les syndicats en général, et la CGT en particulier. Quitte à revenir sur le sujet dans de futures publications du Monde libertaire.

La logique capitaliste
Le capitalisme est en crise ? C’est structurel et cyclique ! Cela s’observe aisément sans pour autant revenir sur les Canuts lyonnais, sur le krach de 1929, ou sur le New Deal, ni même sur les Trente Glorieuses… Depuis les années 1970, avec le taux de profit à la baisse (rémunération du capital), les capitalistes n’ont pas cessé de faire un sort mauvais au monde du travail par le gel des salaires dans les années 1980, l’intensification du travail, le new management et la terreur du chômage de masse pour retrouver, en 1990, un taux de profit très avantageux. Mais cela n’a toutefois pas engendré un nouveau cycle d’investissement dans l’appareil productif. Bien au contraire, le marché solvable se saturait et l’énorme masse financière des profits s’est investie dans les produits financiers. En parallèle, les banques étaient devenues les créanciers incontournables des États renonçant au recours à leur banque nationale et souvent à la planche à billets. Les États ont été conduits, de fait, aux privatisations, à la destruction des services publics et à une politique d’austérité. On sait le résultat en 2008 : avec l’éclatement des bulles financières, la classe politique, pour le secours d’une minorité d’accapareurs de richesses et de commis d’État, transformait la dette de ces derniers en remboursement exigible de la plus grande partie de la population dépourvue des richesses qu’elle produit. C’est toujours sur le plus gros troupeau qu’on tond le plus de laine.
Enfin, avec en parallèle la mondialisation du capitalisme (production et échanges) et les déréglementations prodiguées par le FMI, le G7, Davos et compagnie, la course à la meilleure profitabilité des actionnaires souvent incarnés par des fonds d’investissement ou de pension a continué d’agir sur la variable d’ajustement privilégiée par les capitalistes : les salaires.
Pour le confirmer, on sait que les investissements des entreprises non financières du CAC 40 ont baissé de 0,2 % en 2012 alors que les dividendes versés augmentaient de 5 % pour atteindre 40,9 milliards d’euros.

Travail trop cher
Le travail aurait un coût trop élevé pour l’économie et pour la pérennité des entreprises. Les médias assènent cet axiome, et les exploités le répètent. La délocalisation s’est ajoutée à la politique du chômage structurel de masse pour mieux amener l’évidence d’une baisse des salaires et d’une simplification du Code du travail. Le chantage à l’emploi sous-payé est accompli ou presque dans la signature scélérate de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 par la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC.
Dans les années 1970, la classe politique faisait entériner l’allégement des cotisations sociales pour favoriser les « emplois jeunes » sous prétexte de forte exposition au chômage de cette catégorie d’âge de la population active. Dans les années 1980 et 1990, les socialistes Mauroy, Rocard, Bérégovoy ont créé les TUC et des catégories de statuts sous-payées. La flexibilité était introduite par la loi Aubry des 35 heures en annualisant le travail avec les forfaits jour des cadres. Le CPE et le CNE n’ont constitué que des pistes « tests » de réactivité des organisations syndicales sur le terrain du statut et de la rémunération du travail. Actuellement, les employeurs sont exonérés de cotisations sociales jusqu’à 1,7 fois le smic. On comprend mieux la pression maintenue sur les bas salaires et sa fabrication de l’équilibre « alarmant » des caisses sociales.
La dégradation de l’emploi au nom de la rentabilité s’est traduite par le concept du recentrage sur le cœur de métier des entreprises pour imposer l’externalisation et la délocalisation. Aujourd’hui, la règle d’embauche n’est plus le contrat à durée indéterminée, mais celle de la précarité avec les contrats à durée déterminée (pour le meilleur des cas) ou l’intérim. La sous-traitance apportant main-d’œuvre aux entreprises (souvent du prêt de main d’œuvre illicite) est autant offerte par des sociétés que par des travailleurs ayant statut d’auto-entrepreneur. Le tertiaire et l’industrie prospèrent sur ces producteurs sans repère de classe qui abdiquent leurs garanties sociales présentes et futures.
Le dernier ANI va aggraver la précarité et la répandre sur l’ensemble du salariat. Sa transformation en loi sur la flexibilité va permettre aux employeurs de baisser ou d’augmenter le temps de travail, de réduire les salaires, de recourir plus facilement aux licenciements sans s’exposer aux juges et de raboter les recours des salariés aux prud’hommes.

Syndicat aux pieds d’argile
Le chantage à l’emploi des employeurs facilité légalement par gouvernements et parlements successifs impose des pressions terribles aux travailleurs. La désaffection pour l’engagement syndical trouve sa source dans une conscience sociale trop peu répandue et conjuguée avec une peur de se « griller » en se syndiquant. Si le renoncement de la CGT à rompre avec la société marchande est ancien, la désyndicalisation est un agent actif du réformisme pour la survie institutionnelle.
L’année 1936 marquait, avec les accords de Matignon, le début de l’institutionnalisation de la CGT, alors forte de quatre millions de syndiqués. Mais nous gagnions alors des conventions collectives, des congés payés et la semaine de quarante heures. Après la Seconde Guerre, la mainmise complète du Parti communiste sur la direction de l’appareil CGT – qui conduisit à l’union sacrée avec les camarades au gouvernement en 1981 – accélérera la décroissance des cégétistes. En 1992, Louis Viannet, aux commandes du secrétariat, tentait d’inverser cette décrue d’effectifs calquée sur celle du Parti communiste. De 2,5 millions d’adhérents en 1968, l’organisation passait à 2 millions « officiels » en 1980, puis à 630 000 en 1997 pour remonter aujourd’hui à 692 000. La CGT passait d’une posture antipatronale au « dialogue responsable entre partenaires sociaux ». La CGT quittait la FSM pour lorgner du côté de la CES (Confédération européenne des syndicats). Bernard Thibault n’aura été qu’un continuateur fidèle et énergique de cette transition réformiste.
Il y a eu volonté d’incarner tout à la fois la revendication historique et de supplanter la CFDT dans sa position inamovible d’interlocuteur privilégié du patronat et du pouvoir politique tout en cultivant sa proximité.
Sarkozy l’avait bien compris : en entreprise comme dans n’importe quelle relation sociale, il est utile de trouver un bon challenger pour affaiblir son partenaire privilégié en vue de mieux dominer et de mieux faire passer ses exigences. La direction de la CGT répondait présent et était élue à ce rôle. Même si toutes les organisations représentatives se sont compromises au moins une fois en signature d’accords interprofessionnels traduits en droits sociaux régressifs, la CGT s’est bien distinguée pour gagner une pole position ! De fait, nombre de cadres fédéraux et confédéraux sont davantage des experts de la négociation que des acteurs de la lutte des classes.
La volonté d’en être avec le Medef et le gouvernement, tout en prônant une résistance de sabre de bois avec l’alliance avec la CFDT, aura consisté en beaucoup d’essoufflement des bases mobilisées par des balades en ville (ne touchons pas à l’entreprise !) sans jamais appeler à la grève pour des sujets aussi graves que les retraites.
La faillite idéologique du PC n’a pas fait perdre les réflexes autoritaires en interne, si bien que certains bonzes ne sont peut-être plus communistes, mais demeurent staliniens. Il était indispensable pour eux de garder la mainmise sur un appareil syndical. À la différence d’une CFDT très centraliste, l’autonomie syndicale prévalait dans la CGT, même si l’autonomie consistait plus en baronnies et moins en enclaves syndicalistes révolutionnaires. La volonté de contrôle centraliste s’est portée sur le nerf de la guerre, l’argent. À cet effet, la réforme des cotisations (Cogétise) a été majeure pour faire en sorte que les cotisations syndicales affluent directement à la confédération qui en rétrocède une part aux organisations territoriales et aux fédérations qui les redistribuent ensuite aux syndicats. La victoire contre l’autonomie syndicale est quasi obtenue sous prétexte d’efficacité organisationnelle. Frachon en rêvait, Thibault l’a fait !

Un congrès sans perspective
Les médias l’ont attendu pendant un an. La succession au poste de secrétaire général est faite. Habemus secrétaire général de la CGT ! Que dire de Thierry Lepaon au sujet duquel il se dit beaucoup de choses ? Des rumeurs, il en circule mais une chose est vérifiable : sa participation au Conseil économique, social et environnemental en tant que représentant CGT a fait preuve d’une très bonne volonté « à bien faire les choses » dans le sens de la privatisation du rail…
Que dire de plus du congrès ? Si ce n’est que le millier de congressistes était en grande partie passé au filtre du consensus pour être délégués. L’exemple calamiteux de la délégation de la fédération du commerce en atteste caricaturalement. Il s’y est débattu un besoin de réorganisation territoriale pour mieux coller aux réalités économiques et salariales afin de déboucher sur des intentions. Tout comme est revenue la nécessité de syndiquer davantage de salariés avec les sempiternelles injonctions aux militants de base de mieux s’adresser aux salariés pour les convaincre, comme si les militants et militantes ne connaissaient pas leurs collègues… Même l’idée d’une fondation pour former des syndicalistes a été évoquée. Allons-nous vers un syndicalisme professionnel à l’américaine pour résoudre la difficile implantation des syndicats ?
Certes, la tendance « lutte des classes », qui fait fantasmer la presse, a pu exprimer de nombreuses critiques virulentes et fondées à la tribune. Nous ne sommes tout de même plus à la Grange-aux-Belles ! Certes, on sent aussi que, compte tenu des enjeux, les bases sont loin d’être toutes sur l’alignement au dialogue brandi par une direction renouvelée en têtes mais pas en intentions collaborationnistes. Le verrouillage de la délégation a fait que les voix étaient au rendez-vous de l’assentiment à une continuité du réformisme et du « syndicalisme de rassemblement » réaffiché surtout avec la scélérate CFDT.

Renoncer ou se battre
À l’évidence, ce congrès de la CGT n’engage pas à sourire à un paradis syndical promis. Dans un contexte où les plans de licenciement s’accélèrent sans raison économique valable, la barbarie capitaliste n’a pas fini d’envoyer par dizaines de milliers la population à la misère.
Nous avons affaire à des prédateurs sociaux, à des psychopathes qui ont la violence de l’État avec eux. La croyance ou l’espoir vaincu dans des sauveurs issus de la classe politique est toujours un carcan dans l’esprit de la plupart des exploités. Ce qui est certain, c’est que, même si le capitalisme ne nous envoie pas tout de suite à la guerre pour régénérer son cycle, ceux qui vont refuser isolément la domestication patronale exigeant le degré ultime de l’exploitation, la pauvreté, vont subir une répression sans nom et masquée de la vue d’une société déjà terrorisée par la menace économique.
Travailleur actif ou privé d’emploi, s’organiser en syndicat est une nécessité indispensable, quitte à dépasser les structures le moment venu pour rompre avec le système. C’est le nombre sur le terrain qui fera la différence. Nous ne lâcherons rien !

Kintpuash
Groupe Albert-Camus de la Fédération anarchiste