Le viol

mis en ligne le 27 octobre 1977
Les dossiers de l'écran nous ont présenté mardi soir, un télé-film américain tiré d'un fait-divers authentique. Le film mettait en relief l'idée de salissure physique et morale que ressent la femme violée, l'objet sali qu'elle devient aux yeux de son propriétaire de mari et enfin la solitude. D'autres viols l'attendaient, légaux ceux-là, ceux de la prétendue Justice. Ce film a été suivi d'un débat tentant, pour le moins, une récupération manifeste : le violeur ne pouvait être qu'un individu affligé d'une maladie innée mais guérissable, un déviant en quelque sorte. Et il était rassurant que le représentant, présent dans le studio, de ces « violeurs guéris », ne fut pas français. En aucun cas, ce débat ne pouvait être un dialogue compte tenu du choix des invités. Un psychiatre-sexologue, le docteur Zwang qui tente de minimiser le viol et lui trouve même des vertus thérapeutiques. Pour lui, après un viol, certaines femmes découvrent l'amour, quant aux autres, elles n'ont qu'à oublier leur mésaventure auprès d'un prince charmant. Il symbolise l'idée, exprimée ou non par beaucoup : « elles aiment ça, un viol n'est pas possible sans leur consentement. »
Face à ces aberrations, il suffisait de regarder Anne dont le procès venait de se dérouler pour avoir envie de hurler qu'elle n'aimait pas ça. Elle n'est pas la seule : de nombreux témoignages téléphoniques sont venus appuyer le sien : « j'ai été violée à 7 ans, à 40 ans je ne me suis pas encore remise »...
Aller seule au cinéma, se promener, faire de l'auto-stop, sans la protection d'un homme, sont dans la société actuelle, une provocation au viol ou à ses corollaires : sifflements, frôlements à caractère sexuel. Le droit à l'autonomie n'est pas reconnu à la femme ; toute femme qui passe outre cette loi tacite est passible du droit de cuissage au nom de la virilité régnante. La « maladie » du violeur est située dans sa mentalité et non dans une dégénérescence congénitale.
Les propositions féministes dans l'immédiat, semblent se baser uniquement sur la publicité faite autour des procès pour viol. Elles revendiquent la suppression du huit clos, le droit pour les associations de se porter partie civile au procès, l'affichage de la condamnation du violeur à la mairie et sur le lieu de travail, la suppression des enquêtes de moralité et autres examens psychologiques « qui contraignent la victime à se justifier », assimiler l'attentat à la pudeur à un viol. Mais d'une part ce qu'elles préconisent ne nous apparaît pas suffisant quant au changement des mentalités, d'autre part une justice pratiquée dans un contexte patriarcal et bourgeois ne peut apporter à ce problème aucune solution réelle et définitive.
Bien que nous ne reconnaissions aucune valeur à l'appareil judiciaire dans sa totalité, comme certainement les femmes des mouvements féministes, s'il est actuellement le seul moyen de dénoncer l'ignominie d'un tel acte, et s'il permet aux femmes violées ou battues de ne plus se sentir coupables et que se développe une solidarité, nous ne pouvons qu'apporter notre soutien.
C'est par une lutte quotidienne au niveau du couple, du travail, et de groupes spécifiques que les hommes apprendront à ne plus considérer les femmes an tant qu'objet et que celles-ci apprendront à se voir comme des êtres humains à part entière dans toute l'acceptation du terme.
Mais ces luttes ne peuvent pas être séparées d'une prise de conscience politique pour une transformation totale de la société.
Isoler une action spécifique telle que la lutte contre le viol et vouloir y trouver une solution sans remettre en cause la société elle-même, ce n'est que déplacer un problème et provoquer des réactions comme celle de cette femme de 57 ans pour qui le viol n'étant que le résultat d'une misère sexuelle, qui préconise la réouverture des maisons closes pour permettre aux hommes de se soulager.
Une société où subsisterait la moindre parcelle d'autorité et de dépendance ne conduira en aucun cas à une réelle égalité des hommes et des femmes.

Commission Femmes de la Fédération anarchiste