Okupations : collectifs contre les expulsions (Barcelone, la belle rebelle)

mis en ligne le 26 janvier 2012
L’Espagne compte aujourd’hui trois millions de logements vides (anciens, neufs ou non terminés), mais aussi de plus en plus de gens à la rue ou mal logés : cherchez l’erreur. Il faut savoir qu’actuellement 300 familles sont expulsées chaque jour, conséquence d’une crise qui n’en finit pas de ravager ce pays. La plupart des emprunts (85 %) l’ont été à taux variable. Avec l’augmentation démesurée de ces taux, plus moyen de rembourser, les banques récupèrent les logements et les emprunteurs se retrouvent à la rue, en étant toujours redevables de la dette contractée auprès de ces banques. Devant cette situation générale, des collectifs se sont mis en place pour lutter contre les expulsions et/ou recaser des familles dans des squats. Les plus connus de ces collectifs sont Okupa, Miles de Viviendas (Des Milliers de logements) 1, 500 x 20 qui tire son nom de sa principale revendication à savoir obtenir 500 logements au loyer inférieur à 20 % des revenus de leurs habitants. Ces mouvements se sont développés depuis les années 1980, avec une certaine efficacité. Au départ, il s’agissait simplement d’occuper des édifices ou des locaux vides, qu’ils soient publics ou privés, à l’instar des squats qu’on peut connaître dans d’autres pays. Mais ces quatre ou cinq dernières années, le mouvement s’est amplifié avec la crise (entre autre immobilière) subie par l’Espagne.
Les collectifs dont nous parlons s’opposent régulièrement à toutes les expulsions avec un certain succès, malgré les interventions policières qui donnent lieu à des affrontements. Quant à ceux qui se retrouvent malgré tout à la rue, les collectifs les aident à trouver et à occuper des espaces vides, abandonnés provisoirement ou définitivement. Ils dénoncent par la même occasion l’abandon de ces bâtiments pour des buts souvent spéculatifs. La forme d’occupation n’est pas anodine : elle est principalement autogestionnaire et entend préfigurer les rapports qui s’instaureront au sein d’une population dans une future société, non capitaliste. C’est pourquoi presque systématiquement, on voit se créer dans ces squats des activités politiques et culturelles, allant de l’organisation de débats théoriques à des représentations théâtrales, ou de danse, à des concerts ou récitals poétiques etc., tout ceci s’inscrivant dans la tradition des athénées libertaires.
Devant la prolifération des occupations, la législation espagnole s’est « enrichie » en 1996 d’une nouvelle notion sous le nom de « délit d’usurpation ». Mais rien n’y a fait, les occupations ont continué et se sont développées tout naturellement en même temps que la crise produisait de nouveaux « sans-logis ». Ce qui explique aussi la sympathie certaine de la population vivant dans les quartiers où sont situés ces nombreux squat (ou centres sociaux pour parler okupant), c’est le fait que désormais on n’y trouve plus seulement des militants squaters, mais aussi des familles entières que les services sociaux, complètement débordés, ne peuvent plus reloger dans des « hôtels d’urgence » (qui ne peuvent de toute façon les héberger que trois jours maximum).
À Barcelone, dans le quartier de Ciutat Meridiana, comptant 11 000 habitants, ce sont 400 familles qui sont menacées d’expulsion : les locataires payaient leur loyer au propriétaire qui, lui, ne remboursait pas son emprunt à la banque. Résultat, la banque expulse tout le monde. Les voisins solidaires se rassemblent et s’opposent aux forces de l’ordre. Dans d’autres quartiers comme Nou Barris, les habitants cuisinent et partagent une « paella populaire citoyenne » et relogent des familles avec le soutien de la Maison des jeunes, l’Athénée populaire de Nou Barris, l’Association de voisins, etc. Dans le quartier de Poble Sec, trois manifestations sont organisées autour de trois thèmes : la première vers l’université du Raval (concernant l’éducation), la deuxième vers l’hôpital del Mar (concernant la santé), et la troisième vers le quartier Nou Barris (concernant le logement).
Depuis 1989, on a dénombré 445 centres sociaux (immeubles occupés) dans Barcelone et sa banlieue. À cet effet, un bureau d’okupation a été créé, qui entend être un outil politique dont le but est de rassembler et d’échanger les informations, expériences, besoins, de répertorier tous les cas d’expulsion ou de mal-logement, ainsi que les avocats plus ou moins sympathisants de cette forme de résistance, et regrouper aussi les jugements rendus. Tout ceci facilitant et popularisant cette pratique d’okupation qui développe l’entraide.
Élément nouveau : à Barcelone, le 7 novembre dernier, une décision de justice a reconnu comme légitimes les occupations d’immeubles vides liées « au chômage des jeunes, au difficile accès au logement, à la spéculation urbanistique et aux alternatives autogérées » (je souligne évidemment cette ultime formulation du juge d’instruction). Cette décision découlait de l’article 47 de la Constitution qui déclare que : « Tous les Espagnols ont le droit de jouir d’un logement digne et adéquat. »
Malgré ces envolées lyriques à faire baver d’envie notre DAL hexagonal, la réalité est rude, le chômage continue d’augmenter contrairement aux salaires (minimum mensuel garanti pour un salarié espagnol : 641 euros), les coupes budgétaires succèdent aux coupes budgétaires… Nous sommes toujours dans le monde merveilleux du capitalisme. Encore longtemps ?






1. Voir le Monde libertaire n°1647 : Squat le Koala, et n°1648 : Squat, la ville est à nous.