Y’a bon l’eau ! Capitalisme ravageur

mis en ligne le 17 novembre 2011
Deux derniers rapports dressent un bilan alarmant sur les ressources mondiales en eau douce. Tout d’abord, selon un rapport des Amis de la Terre, dans un monde ayant des ressources naturelles limitées pillées par les besoins d’une croissance économique exponentielle, notamment des pays de l’Union européenne, les ressources mondiales en eau douce s’épuisent inexorablement. En Europe, la consommation « intérieure », ou « directe » en eau est évaluée à environ 1 500 litres par personne et par jour, plaçant le Vieux continent derrière l’Amérique du Nord (4 350 litres), l’Océanie (2 350 litres) et même l’Asie (1 600 litres).

4 750 litres d’eau par jour par Européen
Ces quantités extraites d’eau douce sont utilisées en premier lieu pour les opérations de refroidissement dans le domaine de l’énergie (45 %), pour l’agriculture (22 %), l’approvisionnement public en eau (21 %) et pour le secteur industriel (12 %). Mais, entrons plus dans le détail. En prenant en compte la consommation « indirecte » des nations européennes, c’est-à-dire l’eau utilisée dans la production de marchandises et des matières premières importées, le volume obtenu excède la consommation intérieure (ou directe). Selon les Amis de la Terre : « Les Européens utilisent indirectement plus d’eau par la consommation de produits qui en exigent pour leur fabrication, que directement pour le nettoyage, la baignade et la boisson. 140 litres seraient ainsi exigés pour produire une tasse de café. » En moyenne, la consommation (directe et indirecte) quotidienne et par personne en Europe atteindrait 4 750 litres d’eau ! Selon le rapport, cette valeur est principalement déterminée par la consommation de nourriture et produits de l’agriculture qui nécessitent de grands volumes d’eau pour l’irrigation.
Paradoxalement, beaucoup de pays présentant de faibles ressources naturelles utilisent une grande partie de leur approvisionnement en eau pour la production d’exportations en direction de pays riches. Ainsi, l’Afrique qui a une consommation directe d’eau évaluée à 650 litres par jour et par personne, affiche une empreinte de l’eau six fois plus importante, estimée à près de 3 350 litres. Cette situation qui risque d’être amplifiée ces prochaines années si rien n’est entrepris, pourrait avoir des conséquences désastreuses sur les pays du Sud. D’autant que selon les projections de l’OCDE, la population mondiale devrait passer de 6 milliards d’individus aujourd’hui à 8 milliards dans vingt-cinq ans. Or, cette croissance démographique interviendra principalement dans les pays qui connaissent déjà des problèmes d’approvisionnement en eau. C’est le cas par exemple de l’Éthiopie, dont la population, actuellement de 62 millions d’habitants, devrait plus que doubler d’ici à 2025 pour atteindre 136 millions d’habitants, soit environ la moitié de la population actuelle des États-Unis.
Démographie et réchauffement
L’urbanisation rapide qui accompagne cette explosion démographique – au cours des vingt-cinq prochaines années, les pays du sud devraient compter 2,5 milliards de nouveaux citadins – ne fera qu’accentuer les graves problèmes d’approvisionnement en eau. Les infrastructures en place sont déjà fortement sollicitées et l’extension des services imposera un coût financier gigantesque. Il faudrait probablement 1 000 milliards de dollars d’investissements nouveaux pour que les habitants des villes des pays pauvres bénéficient de conditions d’assainissement convenables. Cela paraît d’autant plus difficile qu’il faudra pour cela affronter la concurrence des pays riches, où des investissements seront également nécessaires pour moderniser ou remplacer les installations existantes.
D’autant que la pénurie en eau sera encore impactée par le réchauffement incontestable de la planète (malgré ce que peut en dire le pathétique Claude Allègre). Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, la Terre devrait en effet connaître une élévation des températures comprise entre 1,5 et 3 degrés au cours du siècle prochain. La consommation d’eau, de boissons et le besoin d’irrigation augmenteront donc d’autant, mais le pire à venir est plutôt le résultat des effets indirects, plus difficiles à maîtriser, comme la hausse des pertes par évaporation et la moindre réalimentation des nappes phréatiques. De plus, l’apparition plus fréquente d’événements météorologiques extrêmes comme les orages entraînera une surcharge des réseaux d’épuration et les modifications des zones climatiques et des saisons aura des incidences prononcées sur l’approvisionnement en eau. Même dans les régions où le volume total des précipitations annuelles ne changera guère, des problèmes risquent de se poser si ces précipitations sont concentrées en hiver ou si elles délaissent les zones agricoles.

Qui connaît le prix de l’eau ?
Et pourtant ceci n’est qu’un vague aperçu de ce que révèlent comme catastrophes à venir les deux études, si continue la surenchère de la consommation, le gaspillage dû à l’agriculture intensive et le développement de l’industrie nucléaire. Mais, à part quelques militants « cassandres », convaincus par l’utopie de la décroissance et en dehors des rares périodes de restriction de l’arrosage de leurs jardins et du lavage de leurs voitures, la plupart des usagers des pays riches ne prêtent que peu d’attention à la manière dont ils utilisent l’eau, et encore moins à son coût réel et à sa provenance. En effet, le coût de l’eau explose depuis les années 1970 et rien que depuis 1990, il a quasiment été multiplié par trois, quand l’inflation n’a atteint que 50 % ! De plus si les résidents d’une maison individuelle ont la possibilité de décortiquer leur facture d’eau annuelle, en revanche, pour les 44 % de Français habitant dans un appartement, la réponse est autrement plus difficile à trouver : en l’absence de compteurs individuels, il faut demander au syndicat de copropriété de présenter la facture adressée à l’immeuble. Un véritable parcours du combattant, qui n’incite pas vraiment à réduire sa consommation pour faire des économies. On assiste ici et là, à quelques initiatives isolées comme celles menées par la Fondation France Liberté, 60 millions de consommateurs et Owni, qui ont par exemple organisé l’opération d’extériorisation des données afin de diffuser l’information et d’ouvrir les résultats aux consommateurs. Mais il ne s’agit pas de s’en contenter : il serait en effet grand temps que nous imposions enfin nos convictions sur la réappropriation de tout ce qui nous appartient, à commencer par l’eau !