CFDT : de 68 à nos jours

mis en ligne le 11 mars 1982
À voir Edmond Maire, secrétaire de la CFDT, exiger une pause dans les réformes, on pourrait croire que la confédération du square Montholon manie depuis longtemps la politique de partenaire « responsable » d'un gouvernement de gauche. En a-t-il toujours été ainsi ? La CGT aurait-elle pu taxer, après 1968, la CFDT de collaboration de classes ?
Revenons un peu en arrière... Il y a déjà des anciens combattants de Mai 68. Des « vieux » qui ont connu les barricades du Quartier latin, la nuit de la rue Gay-Lussac, l'occupation de la Sorbonne, du Théâtre de l'Odéon avec les drapeaux noirs claquant au vent de la révolte !
C'est sur cette révolte que la CFDT s'est forgée une image de marque révolutionnaire. Dans les grèves et occupations d'usines, la CGT et la CGT-FO tenaient leurs troupes en main ou leur laissaient la bride sur le cou. La CFDT avait joué la carte de l'autonomie à la base et apparaissait comme une organisation révolutionnaire où chacun avait son mot à dire. Ce qui lui permit, dans les années 70, d'élargir son audience, d'augmenter le nombre de ses adhérents, de mener des grèves dures et, peu à peu, de se poser en concurrent face à la CGT. Au niveau confédéral, des dirigeants comme E. Maire laissaient entendre plus ou moins explicitement que la CFDT voulait prendre, sur l'échiquier syndical, la place historique de l'anarcho-syndicalisme 1. Il est vrai qu'à l'époque, la CFDT méritait bien, à première vue, son adjectif de démocratique. L'interprofessionnel n'était entravé par aucune lourdeur bureaucratique : certaines UL et UD menaient une existence quasi autonome, intervenant avec leur propre politique dans le domaine social... entrant par là en concurrence avec les partis politiques !
Mais il y eut bientôt à l'horizon de « grands desseins », l'Union de la gauche, les Assises pour le socialisme (où les fichiers CFDT furent largement utilisés...), alors il fallut reprendre les choses en main ! La « suspension » 2 de l'UD de la Gironde, les exclusions dans les chèques-postaux de Bordeaux, la dissolution de l'UL 8/9 à Paris, l'exclusion de la section de Lyon-Gare, celle d'Usinor-Dunkerque, de la BNP Paris, etc. La liste est longue de ces coupes sombres dans la CFDT pour mettre au pas toutes les sections de base et syndicats qui n'allaient pas dans le chemin désigné par les augures confédéraux : la voie vers le socialisme parlementaire avec un sens unique obligatoire, en rangs serrés derrière le PS !
Le vieux rêve élaboré par ceux qui, hors de la production, sont depuis longtemps protégés des coups du patronat 3, prenait forme : le PS retrouvait (sic) une base ouvrière apportée sur un plateau par la CFDT. Cher Edmond Maire, quelle ne dut pas être son angoisse lors de la « désunion » de la gauche ! Tant d'efforts pour ça ! Immédiatement, les gradés confédéraux développèrent le nouveau thème : les travailleurs ne devaient pas, déçus par les déboires sur le plan du socialisme électoral, se retrancher derrière l'anarcho-syndicalisme. Un ponte confédéral de la région Rhône-Alpes parla même du danger du « spectre de l'anarcho-syndicalisme » !
Qu'est-ce que tout cela signifiait ? La « centrale autogestionnaire », celle de Lip, qui voulait en 1973 « prendre la place de l'anarcho-syndicalisme », prévenait maintenant les travailleurs contre celui-ci. On trouve la réponse dans les textes de la CGT-PC: « L'anarcho-syndicalisme, en disant que le syndicat est la seule organisation des travailleurs, casse le relais indispensable vers le parti ; il est la négation du rôle dirigeant de celui-ci ».
Alors que les dirigeants de la CFDT administraient petit à petit aux travailleurs l'idée que le syndicat avait ses limites, qu'il fallait « autre chose », que la voix des travailleurs devait se faire entendre au Parlement, quelques années plus tard, à peine la victoire de l'éléphant rose annoncée, Edmond Maire se rua vers l'Elysée, disant à sa sortie que tout était drôlement chouette. Accord complet PS-CFDT ; essai transformé, ouf, ça s'est bien terminé ! « Tu pourrais nous dire merci, François, auraient pu dire les non-alignés exclus des beaux rouages de la courroie de transmission de la « rose au poing » !
Maintenant, ça ne transmet plus, ça freine et ça tape sur la CGT. Priorité au gouvernement, tout ce qu'il fait est bien. Quand on pense que la CFDT osait prétendre reprendre la place de l'anarcho-syndicalisme... Aujourd'hui, ça serait plutôt l'humanisme clérical ! De toute façon, les intérêts des travailleurs sont à chercher ailleurs que dans le parlementarisme ou le cléricalisme !




1. À cette époque, des militants syndicalistes sincères croyaient que la CFDT était leur organisation et qu'il n'y avait pas lieu de s'organiser autrement. Où êtes-vous, camarades ?
2. Comme ils ne pouvaient dissoudre cette Union départementale, ils l'ont « suspendue », question de vocabulaire !
3. La spécialité de la CFDT étant de prendre de brillants sujets ex-universitaires et de les parachuter permanents syndicaux.