Loppsi 2 ou la fièvre sécuritaire

mis en ligne le 13 janvier 2011
1618LOPPSIDe fait divers en fait divers, le gouvernement attise l’émotion et la peur. Ainsi l’opinion publique est-elle amenée à soutenir, voire à exiger, une politique toujours plus répressive. Sous nos yeux se fabrique une société à la fois « disciplinaire » et du « contrôle ». Il est plus que temps de contrer cela, car nos espaces de liberté et d’expression se rétrécissent.
La Loi d’orientation et de programmation de la sécurité intérieure (Lopsi), promulguée en 2002, a réorganisé les services de la police nationale et de la gendarmerie. Le nombre de leurs sbires a été considérablement augmenté, ainsi que leurs moyens financiers. De nouvelles peines se sont abattues sur les mendiants, les gens du voyage, les squatters, les prostituées. Les pouvoirs des forces dites de l’ordre se sont élargis avec davantage de latitude pour les gardes à vue qui se sont alors multipliées. Les fichages Stic de la police 1 et Judex de la gendarmerie 2 se sont généralisés, jusqu’à se banaliser.
Poursuivant dans cette direction, le gouvernement criminalise toujours davantage les déviants, les divergents, les refusants, les désobéissants et ceux qui tentent de survivre dans la pauvreté, la précarité. Un arsenal est progressivement mis sur pied pour agir à l’encontre des milieux que les nantis appelaient, aux siècles passés, les « classes dangereuses », autrement dit « la canaille ».
Ainsi, depuis trois ans, au ministère de l’Intérieur, on concocte la Loppsi 2, la Loi de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. Son contenu s’est profilé lors du discours liberticide et xénophobe de Sarkozy le 30 juillet à Grenoble 3. Votée comme projet en première lecture au Sénat le 16 février 2010, ses dispositifs ont été renforcés après une seconde lecture le 8 septembre au Sénat et des votes au Parlement les 14 et 20 décembre. En janvier 2011, elle sera à nouveau soumise à l’avis du Sénat 4. Alors ferons-nous entendre nos voix ?
Si nous prenons bien en considération la stratégie manipulatrice du gouvernement, le terme de « performance » arrimé à celui de sécurité prend tout son sens. Il s’agit de développer les compétences, de multiplier et d’aggraver les peines encourues afin de rassurer la population. Celle-ci, sous l’effet de la surmédiatisation de la violence, est conduite à vouloir une plus grande sévérité envers les délinquants, sans trop se soucier du prix à payer.
Notons que, en outre, même si certains articles en ont parlé, les médias grand public informent peu sur les dispositions prévues par cette loi fourre-tout. Il n’y a là rien de surprenant, trop en dévoiler pourrait susciter réflexions, interrogations et oppositions.
Or, cette loi touche à la fois la justice des mineurs, aux logements non enregistrés et aussi à la vidéosurveillance, à internet. Ainsi, nous sommes tous concernés, mais, pas bien nombreux à être informés et conscients des enjeux.
Action, réaction ! C’est ainsi qu’en matière de sécurité, le gouvernement légifère. Alors, après avoir sensibilisé l’opinion au sujet du décès d’une policière municipale en mai 2010 et des attaques contre des policiers, en particulier durant l’été, il prévoit l’allongement de la période de sûreté à trente ans pour les auteurs de meurtres de personnes dépositaires de l’autorité publique. Le Sénat a tenté de circonscrire cette peine aux auteurs de meurtres commis en bande ou lors d’un guet-apens. Mais la Commission des lois a donné raison au gouvernement qui ne voulait pas en limiter la portée.
Dans un registre similaire, le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, dans son article 3 bis, instauré par la Commission des lois à l’initiative du gouvernement, prévoit une déchéance de la nationalité pour tout individu l’ayant acquis depuis moins de dix ans et condamné pour meurtre ou violences ayant entraîné la mort dans l’intention de la donner contre des représentants de l’autorité publique. De plus, si un dépositaire de l’autorité publique, dans le cadre de son exercice professionnel, craint une contamination, la personne incriminée pourrait avoir à se soumettre à un dépistage VIH, au détriment du droit à la confidentialité. Par conséquent, certains seraient de nationalité aléatoire, donc auraient des droits aléatoires. La vie de quelques autres aurait une valeur ajoutée, dans la mesure où la loi stipule que l’atteinte à leur personne entraîne des peines alourdies. Que dire d’un régime qui inscrit au sein même de son code juridique une hiérarchie parmi les citoyens ? Bien sûr, les anarchistes savent bien que l’égalité placardée aux frontons de nos mairies n’est qu’un vain mot dans les démocraties qui se disent représentatives.
Discrimination rime avec volontarisme répressif. Certains amendements adoptés par le Sénat en septembre 2010 étendent, de manière encore imprécise, le champ d’application de dispositions antérieures. Les peines planchers, par définition incompressibles et invalidant le principe d’individualisation des sanctions, s’appliqueraient maintenant à des primodélinquants. Celles – entre six mois et deux ans de prison – pour des violences aggravées pourraient passer entre trois et dix ans. Qu’en sera-t-il dans la rédaction finale ? L’instauration d’un couvre-feu pour les mineurs de moins de 13 ans est prévue, couplée à une menace de placement si les parents sont injoignables après 22 heures. Des peines seront aggravées pour toute une série de délits (cambriolages, violences contre des personnes âgées). Des mineurs, déjà condamnés dans les six mois précédents, seraient jugés via une procédure proche de la comparution immédiate ; ce qui signifie, le plus souvent, une « justice » expéditive. Bâcler les procédures, c’est bien le risque de l’utilisation préconisée des vidéoconférences pour les prévenus en correctionnelle et les personnes en centre de rétention, sous prétexte de désengorger les tribunaux.
« Performer la sécurité » implique davantage de moyens pour « garantir l’ordre public ». Les pouvoirs des policiers municipaux seront accrus et, parmi eux, des gradés pourraient établir des milices policières. Il est envisagé que ces « réserves civiles » aient tout loisir de retenir votre permis de conduire et de vous obliger à vous soumettre à des examens médicaux. Ces auxiliaires de police aideraient des victimes tout en assurant la surveillance du voisinage. Une « société de contrôle » nécessite une collaboration de civils délateurs. Officiels, ils pourront, flattés de leur statut, jouir de leur pouvoir.
Pour mieux surveiller, bien entendu, il y a la technologie. Une systématisation du fichage se dessine par le croisement des différents fichiers. Si vous demandez une rectification dans le contenu d’une de vos fiches et qu’elle vous est refusée, aucun recours ne pourra vous être proposé, car aucun n’est envisagé 5.
Nous garder à vue dans les lieux publics avec une large couverture de la vidéosurveillance, dénommée vidéoprotection pour tranquilliser le quidam, est à l’ordre du jour. Les communes seront subventionnées pour ces installations qui représentent un juteux marché pour des entreprises privées.
Chez nous, à travers nos ordinateurs, nous pourrons être davantage observés, surveillés, censurés, au nom des luttes contre la cybercriminalité, la pédopornographie et les délits issus des nouvelles technologies.
L’exécutif veut avoir la main sur le filtrage du net. Sans la supervision d’une autorité judiciaire, un site serait filtré par simple notification administrative. Ceci est inefficace contre les sites pédophiles puisque bloqués, il suffit de les remplacer. Mais un tel dispositif présente un danger de surblocage : un site est bloqué et tous ceux hébergés par le serveur peuvent être alors affectés 6.
Le filtrage à partir d’une liste noire serait établi sans aucune possibilité de remise en question. Nous pouvons craindre qu’il s’étende à des registres tels que l’injure contre le drapeau, la nation, la République, la police, l’armée, l’offense envers des ministres, le président… Selon Félix Tréguer, chargé des affaires juridiques et institutionnelles à La Quadrature du net : « De telles mesures constituent une violation patente de la liberté d’expression et de communication, notamment dans le cas d’inévitables censures collatérales, et contreviennent à la séparation des pouvoirs. 7 »
En outre, l’article 23 prévoit des « logiciels espions » et des « cyberperquisitions ». Avec l’accord d’un juge, un mouchard pourra être placé sur l’ordinateur, vérifiant nos comptes, cherchant à savoir quels sont nos engagements auprès des sans-papiers par exemple, dans les mobilisations, etc. Une forme de violation de domicile, une intrusion certaine !
Et pour parachever le tout, un délit d’« usurpation d’identité » serait puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Un procès pourrait nous être intenté pour avoir utilisé un pseudonyme.
L’article qui, pour l’instant, a fait le plus réagir, le 32 ter A, élargit la lutte contre les camps illicites des Rroms, devenus particulièrement indésirables depuis le fait divers de juillet 2010 (attaque d’une gendarmerie à Saint-Aignan) à tous ceux, qui, pour des raisons économiques ou par choix, n’habitent pas dans un logement conformiste.
Il a déjà été adopté avec le soutien du gouvernement dans sa version du Sénat. Les habitations hors normes comprennent : campements, bidonvilles, mobile-home, maisons sans permis de construire, yourtes, tipis, cabanes, caravanes. L’objectif est de renforcer les mesures contre des installations illicites « en vue d’y établir des habitations », c’est-à-dire des résidences durables et non des résidences mobiles, sauf si elles ont été transformées dans le but d’établir un habitat sédentaire. Seront visées toutes les installations illicites placées sur un terrain privé ou public présentant « un risque grave d’atteinte à la salubrité, à la sécurité, à la tranquillité publiques ». Or, les notions de « sécurité » et de « tranquillité publique » sont subjectives et donc susceptibles d’interprétations diverses.
Sont menacés par ce nouvel article de loi tous ceux installés sur un terrain, quel que soit le propriétaire et les relations qu’ils entretiennent avec lui. D’ailleurs, un propriétaire s’opposant à l’expulsion sera redevable de 3 750 euros d’amende s’il ne fait pas cesser l’atteinte à la salubrité, à la sécurité et à la tranquillité publique.
Il n’est plus question de trêve hivernale. Finis les délais, les actes d’huissier, le préfet peut employer la procédure d’exception dans un délai de 48 heures. Une sanction financière s’appliquerait à ceux qui n’obtempéraient pas assez vite. De plus, leur habitation et leurs biens à l’intérieur seront alors détruits. Une telle mesure met à mal le droit à une procédure dans laquelle chacun peut s’expliquer devant un juge.
Un amendement du député Étienne Blanc, approuvé par la Commission des lois, propose de punir « le fait de séjourner dans le domicile d’autrui sans l’autorisation du propriétaire ou du locataire » d’une peine pouvant atteindre un an de prison et 15 000 euros d’amende. Les squatters sont ciblés.
L’ensemble de l’article est emblématique de la volonté, à travers Loppsi 2, de réprimer marginaux et pauvres et d’imposer un mode de vie normé. Il s’attaque, d’ailleurs, à des personnes ayant opté pour une vie simple. Les personnes dont les revenus sont trop faibles pour acquérir un logement décent, adapté à leurs besoins, les victimes de la crise du logement, sont aussi des cibles potentielles. Le mal-logement progresse et ce dispositif témoigne de l’orientation du gouvernement, préférant la répression à la mise en œuvre d’une politique offensive en faveur de l’habitat social. Pas de doute que l’application de cet article de loi mettra à la rue bon nombre de gens. Et ceci, alors que, la loi de réquisition des logements vides, datant de l’ordonnance du 11 octobre 1945, est ignorée, et que le bilan de la loi sur le logement opposable (Dalo) est loin d’être concluant. Par ailleurs, le gouvernement augmente les taxes sur les HLM et ne fait pas appliquer la loi SRU (solidarité et renouvellement urbain) obligeant les villes à avoir un cinquième de logements sociaux.
Et pour criminaliser davantage ceux qui cherchent à joindre les deux bouts, un amendement prévoit un délit de vente à la sauvette comme faisant partie des « crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique ». Ainsi, au lieu d’une contravention de quatrième classe de 750 euros, la peine encourue sera de six mois de prison et 3 750 euros d’amende. La vente à plusieurs serait assimilée à une action commise en bande organisée, et donc la peine d’emprisonnement et l’amende seraient aggravées.
Loppsi 2 apparaît comme une étape d’accélération et d’aggravation d’une politique liberticide et d’une mise à mal de la séparation des pouvoirs au bénéfice de l’exécutif. Elle a mobilisé contre elle, surtout depuis décembre. Des associations, le Syndicat de la magistrature, des avocats ont contesté l’ensemble de la loi ou, plus particulièrement, certains de ses articles. Des rassemblements se sont organisés dans de nombreuses villes et des comités de lutte autonomes se sont constitués. Ce mouvement va-t-il se renforcer ? Il est primordial de décrypter les textes de loi, de nous informer, d’expliquer, de dénoncer, de s’opposer. Il est aussi nécessaire d’apprendre à se protéger, dans la mesure du possible.

Agnès Pavlowsky
Groupe Louise-Michel de la Fédération anarchiste


1. Ce fichier de police recense toute personne ayant participé de près ou de loin à une infraction. Il a été créé en 1994 alors que Charles Pasqua était ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, mais il n’est entré vigueur qu’en 2001. En janvier 2009, la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) comptabilisait 28 millions de personnes ainsi fichés.
2. Judex (Système judiciaire de documentation et d’exploitation) regroupe les informations émanant de la gendarmerie à propos des auteurs d’infractions. Mis en place en 1985-1986, ce fichier est l’équivalent pour la gendarmerie française du fichier Stic pour la police nationale.
3. À la suite de différents « événements » durant l’été 2010, dont des tirs à balles réelles sur des policiers, et à l’occasion de l’installation officielle du nouveau préfet de l’Isère, Nicolas Sarkozy, à Grenoble, annonce une série de mesures sécuritaires que nous trouvons intégrées au projet Loppsi 2.
4. Les lois ne sont définitivement votées qu’après une première lecture à l’Assemblée et au Sénat, puis une deuxième lecture à l’Assemblée et au Sénat, et éventuellement, après l’avis d’une commission mixte paritaire. Le besoin d’un décret d’application n’est pas certain ici ; des amendements peuvent être déposés tout au long de la procédure.
5. La Cnil a indiqué que 83 % des fiches traitant des infractions constatées dans le Stic contenaient des informations erronées.
6. La solution serait, selon l’Ange bleu, l’association d’information et de prévention sur la pédophilie, d’obtenir le retrait des sites incriminés des serveurs qui les hébergent et d’améliorer la coopération internationale.
7. La Quadrature du net, « Loppsi : censure administrative du Net, adoptée, les pédophiles sont tranquilles », publiés le 15 décembre 2010 sur laquadrature.net