L’avenir est notre poubelle

mis en ligne le 11 novembre 2010
Jean-Luc Coudray n’a qu’un défaut : ses livres, pourtant délicieux, n’attirent l’attention ni des grands éditeurs ni du grand public. Mais le goût des uns et de l’autre n’est peut-être pas toujours frappé au coin du bon sens. Peut-être s’apercevront-ils un jour que mêler, comme le fait Coudray, humour et fantastique, n’est pas un mince exploit. Consolons-nous en attendant ce jour heureux, et lisons ce que Coudray vient de produire dans le domaine politique : L’Avenir est notre poubelle, l’alternative de la décroissance (éditions Sulliver).

La gratuité
« Que reste-t-il de gratuit dans notre monde ?
L’amour maternel ? Mais la mère travaille et confie son enfant à une gardienne rémunérée. L’air ? Pollué, il coûte à notre santé. Les produits de la nature ? Ils sont trafiqués génétiquement et brevetés pour n’être accessibles que par contrat. Le don à autrui ? Il entre dans l’imposition qui régit les donations. Le sourire ? Il est récupéré par la publicité. La plage ? Elle est privée. L’eau ? On paie la dépollution. Le sommeil ? Agressé, il est assisté par des somnifères. Le bonheur ? Il coûte le prix des antidépresseurs. Uriner ? Impossible sans une pièce d’un euro. La contemplation de la nature ? Il faut débourser des litres d’essence. Des œuvres d’art ? Il faut régler l’entrée du musée. Mourir ? On finance maintenant à l’avance sa propre disparition grâce aux contrats sérénité. Naître ? Oui, c’est gratuit. On ne va pas entraver l’entrée dans un monde payant. »

Le choix de la bêtise
« La bêtise est toujours une absence de vue globale. Elle consiste à être fasciné par un objet sans tenir compte de ses relations avec son environnement. Elle relève de la pensée magique qui prête à un objet un pouvoir autonome, en oubliant qu’il est relié à un ensemble de causalités et de conséquences, qu’il n’est que la partie apparente d’un tissu plus complexe et que son maniement adéquat suppose une connaissance de ses liens avec le monde.
Bien entendu, la société de consommation, qui fétichise les objets, entretient un mode de pensée basé sur la bêtise. Mais la bêtise ne peut se réduire à un ensemble d’erreurs d’analyse. Elle est aussi un choix. En effet, face aux contraintes de la réalité, l’homme cherche une issue. Lorsque, par défaut d’éducation ou de spiritualité, les transcendances artistiques ou religieuses ne sont plus possibles, la bêtise reste une forme de transcendance. La bêtise est un moyen de dépasser les limites de la logique par le bas lorsqu’on ne peut le faire par le haut. Elle est une folie pour ceux qui n’ont pas les moyens d’un délire créateur. Elle mime la richesse de l’intelligence en la gaspillant dans le faux. Elle propose une respiration quand aucun autre oxygène n’est disponible.
Érigée en totems publicitaires qui tapissent nos paysages et travestissent la réalité, la bêtise promet le bonheur, la jeunesse, édicte sa morale de vie, répand son évangile.
Le moine se libère par le renoncement, l’imbécile par la démission. Un cheveu distingue les deux et fait que la bêtise mime la liberté. Déniant toute limite, la bêtise possède un infini et une forme de mystère. Comme la religion, elle a un ciel qui résiste à la compréhension. Elle fait partie des addictions actuelles, mais, contrairement à une drogue qui isole, elle est un poison qui rassemble.
La bêtise est la seule divinité qui reste dans un monde sans valeurs. »

La vraie rentabilité
« Le travail ne fait que transformer, en changeant une forme pour une autre. L’avantage procuré par le nouvel état se paie de l’énergie dépensée et du temps passé. Il n’y a pas de plus-value, mais un simple déplacement énergétique. La plus-value miraculeuse de la production capitaliste est en vérité artificiellement arrachée aux stocks de matière première ou aux efforts et à la bourse des travailleurs.
La vraie plus-value est la trouvaille intellectuelle dont le résultat est plus que la somme de ses parties. L’écrivain, le peintre, l’inventeur, le savant sont les seuls travailleurs véritablement rentables. Or, les créateurs sont méprisés par notre société qui ne jure pourtant que par la rentabilité. Les hommes politiques, jaloux et sans idées, miment les artistes en tentant, par tous les moyens, de devenir auteurs de quelque chose.
Ainsi, auteurs de la destruction de la forêt, de la pollution des mers ou de la réduction de la biodiversité, ils signent des œuvres dont l’irréversibilité leur assure une pérennité que n’auront jamais les œuvres d’art. »
Et quelques fragments :
« Si les machines peuvent de plus en plus remplacer les hommes, c’est parce qu’on a commencé par transformer les hommes en machines. »
« Le pavillon de banlieue est une maison nettoyée de tout passé dans un monde sans avenir. »
« En cherchant à nous distinguer par le superflu, nous reconnaissons implicitement que l’essentiel nous rapproche. »