Entre nos mains : un film de Mariana Otero

mis en ligne le 4 novembre 2010
C’est possible ?
Cette question nous ramène des années en arrière. Lip, avec l’arrivée des montres à bas prix vendues en supermarché, était en liquidation. Les ouvrières et les ouvriers avaient décidé qu’il en serait autrement et « c’était possible » ! Quelques années plus tard, Entre nos mains de Mariana Otero nous met en contact avec cet enthousiasme premier, nous confronte aux interrogations essentielles à propos de notre travail, de notre métier, de notre engagement dans la création – ici la lingerie fine – et en tout cas avec les limites de ce que nous rêvons et de ce que nous osons vraiment. De vieux mots d’ordre reviennent ainsi à l’esprit : osons lutter, oui, osons vaincre, au moins dans l’intention.

Flashback
À la gare de La Rochelle arrive une joyeuse bande : des femmes débarquent dans le rire et la complicité. On sent le collectif bien rodé. Les gens se connaissent, s’apprécient, s’apostrophent. Treize femmes et un homme – cadre commercial – présentent ensuite le film avec Mariana Otero, certes réalisatrice, mais ici transformée en une des ouvrières de cette entreprise où la lingerie de charme occupe toutes les mains. C’est amusant de voir les cadres masculins faire allègrement valser les petites culottes pour voir comment cette lingerie de charme, le textile et la création de nouveaux modèles se marient le mieux possible. Faire connaissance avec toutes ces femmes et les rares hommes est l’enjeu du film. Leur expérience est communicative et le public de La Rochelle leur a fait une ovation.
Les chansons, écrites et chantées ensemble, cet aspect « comédie musicale » a été inventé selon le désir de tout le monde. C’est une tentative de revenir à une légèreté et à une joie communicative, pour ne pas donner l’impression d’être effondrées après cette tentative qu’on pourrait aussi appeler un échec, puisque l’usine a dû fermer, finalement. Tout cela ravit les spectateurs et des questions arrivent ; les réponses fusent. Parmi les ouvrières, il y a cinq Vietnamiennes qui ont fait le voyage, elles sont les plus timides pour parler. Une femme noire insiste sur ses choix faits en pleine indépendance. L’expérience a donné des ailes à tout le monde, même si le rêve d’une coopérative autogérée s’est brisé. Aucune des ouvrières de plus de 50 ans n’a retrouvé du travail. Toutes les jeunes ont fait des choix : créations de petites structures ou faire d’autres métiers. Seuls les cadres commerciaux ont pu se caser ailleurs, mais l’expérience de cette lutte est considérée par tout le monde comme précieuse et inoubliable.

Le lendemain
C’est avant leur départ qu’elles vont répondre à une question, la même pour toutes: « Que vous a apporté cette expérience ? » Les réponses fusent : une aventure humaine extraordinaire; une expérience unique; être ensemble, parler ensemble; créer ensemble et se référer constamment aux autres (« Je ne peux plus concevoir de ne pas parler avec Nadine et toutes les autres »); apprendre à nous exprimer; dire nos craintes ; prendre confiance en notre force; la caméra, on ne la voyait plus; Mariana [Otero, la réalisatrice], elle était avec nous, elle était des nôtres…

Un entretien dans l’urgence, sur le quai de la gare
Heike Hurst : Une rencontre difficile, mais finalement heureuse… [Rires.] Vous connaissiez les ouvrières de cette usine ?
Mariana Otero : Pour y être allée ? Non, en fait, j’ai cherché une coopérative. J’ai d’abord rencontré le réseau des scops, les différentes directions régionales qui existent en France en leur disant : «Voilà, je voudrais filmer la naissance d’une coopérative, dès que vous avez des salariés qui vous contactent pour créer une coopérative, vous m’appelez et j’arrive.» Et puis comme ça, je suis arrivée dans cette entreprise. J’en avais vu plusieurs avant, mais c’est celle-là qui m’a le plus intéressée.
H. H. : Passer de l’histoire d’un secret, d’un film très intime et de votre reportage sur les écoliers à une coopérative, c’était pour vous un mot magique dans un monde où les choses vont dans le sens opposé ?
M. O. : Oui, aller voir des gens qui essaient de faire autrement, de changer l’institué, de remettre en cause les règles, qui fonctionnent autrement. J’en avais un peu assez de faire des films sur des gens qui finalement sont coincés par un cadre. Certes, qui essaient de donner le meilleur d’eux-mêmes. Mais qui sont coincés. J’avais envie de voir des gens qui essaient de changer les choses. C’était ça, pour moi, une coopérative.
H. H. : Vous avez envie de faire sauter les cadres ?
M. O. : Oui, d’une certaine manière, ça me plaît bien de voir des gens qui s’engagent dans quelque chose de différent.