Sur les assemblées générales

mis en ligne le 4 novembre 2010
Depuis un petit moment, un débat critique s’est engagé sur la notion d’assemblée générale, comme forme indépassable de la démocratie directe. Chez les libertaires, qui ont toujours prôné le droit et la capacité des personnes à s’organiser par elles-mêmes sans intermédiaires, le débat ne porte à mon sens pas tant sur le principe assembléiste en lui-même, que sur certaines fausses évidences « démocratiques » dans les modes de déroulement desdites assemblées générales.
Pour résumer ce que j’en pense, je dirais ceci.
J’aime bien le mot « assemblée », qui m’évoque des gens ressentant à un moment donné le besoin, l’envie de se retrouver pour s’organiser, qu’il s’agisse de se coordonner pour monter un projet, d’être plus forts pour résister à une attaque du pouvoir, ou encore – et ça aussi c’est super important – se mettre un peu de baume au cœur en constatant que même si on est jamais d’accord à 100 %, au moins il y a des gens qui ressentent les mêmes choses et sont dans une dynamique d’entraide.
J’aime un peu moins le mot « générale », qui évoque une coloration plus politicienne de l’assemblée (et pas forcément plus « politique » au sens positif). À mon sens, une assemblée ne devrait pas chercher à appliquer des solutions, des décisions « générales » : tant mieux si c’est le cas et si un consensus est trouvé. Sinon : tant mieux aussi ! Ça signifie juste que certaines personnes (et quelque part, c’est rassurant) pensent autrement et veulent expérimenter autrement… La démocratie anarchiste, selon moi, ça devrait aussi ressembler à du palabre, du plaisir dans l’élaboration de tactiques (je parle bien au pluriel), tactiques toujours perfectibles si l’intelligence collective fonctionne réellement, et enfin (et surtout) la coordination ou fédération de ces tactiques coexistantes, c’est-à-dire une association aussi libre et souple qu’efficace, de sorte que nul ne cherche à en dominer d’autres, ni à contraindre à se tenir à quoi que ce soit.
Or la plupart des assemblées générales habituelles ont pour forme et même pour but – et ce, par le vote majoritaire (qu’on ne discute généralement pas… alors même que la révolution se trouverait sans doute aussi dans sa critique !) – de décider d’actions globales.
Ce qui donne, hélas, dans les faits, pour divers chefaillons triomphants après un vote victorieux, le prétexte rêvé d’une légitimation de leur condamnation politicienne des options minoritaires demeurant en désaccord, et donc leur capacité renforcée d’imposer un pouvoir à tout le monde. L’histoire abonde de ces prises de pouvoir « démocratiques », par des léninistes notamment, sur les mouvements populaires afin de les contrôler.
Les assemblées générales ressemblent souvent en fait, même sous la forme « libertaire » de « l’autogestion » donnant la parole à tous, à des mini-parlements de notre démocratie représentative, bref à des espaces de luttes d’influence pour idéologues partidaires. Les amphis des facs sont un bel exemple de ce genre de laboratoire pour politiciens en herbe en quête de manipulation des foules, d’autant plus néfastes malgré eux qu’ils sont généralement tous convaincus et pétris de bonnes intentions.
Je me méfie de la décision globale, irrévocable, qui donne aux adeptes du pouvoir sur la masse le prétexte fallacieux de la démocratie pour imposer leur domination. Je ne suis pas pour les partis, dont le but est d’exercer un pouvoir global : je suis pour des organisations en réseau, en coordination.
À mon sens, la démocratie libertaire c’est donc certes l’assembléisme, certes aussi le mandat impératif et révocable, mais c’est aussi (et je diverge sur ce point d’avec les partisans du plateformisme chez les libertaires) le refus du centralisme décisionnel, ce qui implique le refus du droit d’une majorité quelle qu’elle soit à imposer des décisions globales.
C’est peut-être ce conflit de conceptions de la démocratie, ce dissensus tactique entre partisans du scrutin majoritaire (qui serait, par la décision globale et unitaire, gage d’efficacité par son côté « masse ») et partisans de l’élaboration en réseau (qui serait, par la décision multiple et la coordination des options, plus efficace par son côté « guérilla »), qui s’est joué dans certaines facs lors de la LRU, où des assemblées générales ont été « chahutées ».
Et à mon sens, ce n’est pas en calomniant, ni en rejetant les uns et les autres avec mépris, qu’on progressera en efficacité. Personnellement, je comprends et respecte aussi, y compris chez les libertaires, les gens persuadés d’une plus grande efficacité de l’unitaire sur le réseau, même si j’ai une conviction inverse.
Tant qu’on ne cherche pas à me contraindre par le prétexte du « majoritaire » !

John Rackham