L’internat et l’internement des pauvres

mis en ligne le 16 septembre 2010
Ainsi une nouvelle fois, le gouvernement et Sarkozy nous font le traditionnel « coup de la rentrée scolaire ». Sans doute pour éloigner le spectre d’une grève de l’éducation qui démarrerait le jour même de la rentrée, la communication gouvernementale (qui n’a pas été avare cet été) n’a pas oublié l’école.
Les mêmes recettes s’appliquent toujours ; en guise de réel intérêt pour l’école, Luc Chatel se donne aussi comme mission et comme urgence d’y lutter contre les incivilités et les mauvais comportements des élèves.
On cherche à brosser les profs dans le sens du poil. Alors, aucun temps n’est oublié : le signalement, le fichage, le placement et bien entendu la pénalisation des parents, comme la formation des enseignants au conflit (en attendant les stages communs avec la police).
On promet un fichier national (encore un, Bases Élèves vient pourtant d’être sévèrement « condamné ») pour recenser les décrocheurs, et bien sûr de réprimer, le cas échéant, leurs parents, ou plutôt de les « responsabiliser ».
Une nouvelle fois, nous découvrons le curieux emploi des mots que fait le gouvernement, à commencer par le président de la République. Mais nous commençons à y être habitués.
Les élèves en échec massif et en souffrance à l’école seraient des décrocheurs, et s’ils ne sèchent pas encore suffisamment de cours ils sont en danger de l’être ou de le devenir. Pour leur passer l’envie de quitter l’école, on va les en sortir de force pour les mettre dans des internats !
Pourquoi l’omniprésence dans les discours de ce terme de décrocheur (un peu alambiqué comme concept ; c’est quoi un décrocheur, au fait ?) pour désigner des élèves en échec, en révolte, en souffrance, en difficultés sociales, éducatives, psychoaffectives, qui justement n’ont pas trouvé à l’école ce qu’ils étaient en droit d’y attendre (accueil, respect, acceptation du niveau réel, une relation éducative de qualité) ? Sans doute que la vertu et la fortune du terme de décrocheur viennent de ce que celui qui en fait l’objet paraît intégralement fautif et responsable de la situation qu’il subit (il n’avait qu’à pas décrocher ou risquer de le faire). Le décrocheur est ainsi une fiction commode qui dédouane l’institution et qui exprime que le destin scolaire des uns et des autres réside au fond dans la qualité intrinsèque et interne des individus.
Cependant, le décrocheur a aussi un complice tout désigné – ses parents, bien entendu –, ce qui permettra de pénaliser la solidarité intrafamiliale, car il est évident que le jeune en révolte ne doive bénéficier d’aucun soutien (d’aucune excuse), fût-ce celui de ses parents.
Ainsi, quand des parents de bonne société soutiennent les études, les affaires, la carrière, les loisirs de leurs enfants, et partout dans le monde, c’est admirable ; c’est beau, la famille. Par contre, le soutien des parents pauvres vis-à-vis des enfants pauvres est injustifiable, intolérable, et doit être pénalisé.
C’est là qu’intervient l’annonce des nouveaux internats dits de réinsertion scolaire. Qui aurait jamais pu croire qu’il restait encore de la place pour inventer de nouveaux internats ! On avait déjà ceux de la deuxième chance, ceux de la réussite éducative, et n’oublions pas, dans un registre voisin, les CER et les CEF (et les EPM).
L’internat est un invariant de la pensée répressive. En son temps (quand elle était ministre de l’Éducation nationale), Ségolène en créait elle aussi.
Ce qui est curieux avec l’internat c’est son contresens historique. Nous savons que ce type de structure ne crée en soi aucun bénéfice ; c’est la croyance magique à la manipulation des individus en les coupant de leur milieu. C’est aussi un contresens logique : ce n’est pas en sortant un enfant de son établissement, de sa famille, de son quartier qu’on lui permet d’être mieux socialisé ou intégré.
Ce qui est étonnant aussi, c’est que l’internat, quand il est destiné aux pauvres, est indifféremment une punition ou une récompense. Si vous êtes méritant, vous irez à l’internat de réussite éducative, si vous êtes coupable, dans celui de réinsertion. Le pauvre doit toujours guérir de son milieu, de sa famille, comme d’une sale maladie.
De quoi s’agit-il encore ? On entretient l’opinion publique dans les bonnes vieilles idées répressives qui font florès dans les cafés du commerce. On offre un hochet aux profs et aux instits au bord de la révolte pour leur promettre des élèves bien sages. On connaît ce genre de procédé. Mais il y a une autre finalité à tout cela : en créant des petits nombres de structures ou mesures hautement symboliques, on donne l’impression d’agir, de construire, de créer alors que l’ensemble de l’entreprise gouvernementale va plutôt vers la destruction. Cette année se confirme la disparition des postes et structures d’aide aux élèves en difficulté ; les Rased (Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté) sont en voie d’élimination. On ne forme plus pour ces postes, on répartit ceux qui restent, on les renvoie à l’enseignement ordinaire. À la place, on maintient l’inutile soutien scolaire discriminant et stigmatisant. Il en est de même, d’ailleurs, des « classes relais » qui produisaient un travail éducatif sérieux (sans internat, encadré par des éducateurs) avec le public aujourd’hui visé par ces nouveaux établissements.
Le temps scolaire se réduit, les enfants sont de plus en plus renvoyés à l’inégalité de leurs moyens d’existence, mais on parle dans tous les médias de sport, de « rythme scolaire » et d’emploi du temps à « l’allemande ».
L’éducation spécialisée, la tradition des véritables internats éducatifs encadrés par de vrais éducateurs spécialisés est en voie de disparition ; on promet quelques caricatures à la place, comme ces internats de réinsertion scolaire…
Bien entendu, il en sera de ces nouvelles structures comme des écoles de la deuxième chance ou des internats de réussite éducative ; leur existence, leur nombre, leur impact sera dérisoire, car leur fonction est ailleurs : elle est purement idéologique.