Le G20 nous Pittsburgh le mou

mis en ligne le 8 octobre 2009
Quand un fanatique du marché avoue sa déception, il ne le fait pas à moitié. Le 26 septembre, pissant sa copie dans un édicule appelé Le Monde, Pierre-Antoine Delhommais, corrobore notre assertion. Voyez plutôt : « Les dirigeants du G20 ont préféré se consacrer au symbolique (bonus, paradis fiscaux) et à l’institutionnel (réforme des quotes-parts du FMI) plutôt que d’essayer, pendant qu’il est encore temps, de prévenir l’éclatement de nouvelles bulles qui sont en train de se former sous nos yeux, et d’empêcher le déclenchement des guerres monétaires qui se profilent. » Le bougre nous offre une goutte de lucidité là où habituellement il déverse des bassines de sornettes.
Quoique, s’agissant du « symbolique », le mot cosmétique conviendrait beaucoup mieux si l’on songe que :
- relativement au plafonnement et à l’encadrement des bonus des traders, la liberté est laissée aux états et aux régulateurs (lire les pseudo-gendarmes des marchés financiers) pour assainir les pratiques de ces lascars ;
- l’opération « blanchiment des paradis fiscaux » s’est bien passée. En effet, à peine 5 % d’entre eux ont signé des accords de coopération…, mais ces accords ne font pas obstacle aux opérations menées par les banques et les fonds spéculatifs pour favoriser la fraude et l’évasion fiscale, le tout sur fond d’omerta, il va sans dire ;
- magnanimes, les grandes puissances qui occupent les fauteuils du FMI élargiront les strapontins accordés aux pays émergents. Mais cette modification des droits de vote ne changera en rien le paradigme du FMI, c’est-à-dire l’invariable de son discours basé sur des politiques « d’ajustements structurels » (lire : favoriser l’expansion du marché au détriment de la sphère publique et des populations frappées par ces mesures) ;
- beaucoup de vent a été brassé à propos du changement climatique. Mais, pour ce qui est de l’adoption de mesures concrètes, les moulins à paroles du G20 renvoient leurs prises de décision au futur sommet sur le climat de Copenhague.
Quant au sujet « éclatement de nouvelles bulles », perspective que semble redouter (à juste titre !) le sieur Delhommais, nous avons à dire ce qui suit. Il est exact que, d’ores et déjà, toutes les conditions sont réunies pour la survenue d’un nouveau big-bang dans la sphère financière et, conséquemment, pour la reproduction de son onde ravageuse dans l’économie réelle, au grand dam des tenants d’un capitalisme autorégulé, ou « moralisé » (pour les niais pensant qu’on peut demander à un tigre de devenir végétarien). En effet, des mèches reliées à des fausses nouvelles montagnes d’explosifs sont toujours allumées. Les marchés de gré à gré et les hedge funds continuent de bénéficier d’un feu vert permanent. Pour leur part, les produits dérivés et la titrisation ignorent le mot encadrement. Dit autrement, tous les mécanismes financiers opaques autant qu’incontrôlés qui ont concouru au déclenchement de la crise actuelle sont toujours en place. Pareillement, si ce n’est du bout des lèvres, et d’ailleurs sous une forme édulcorée, la taxation des transactions financières est à peine suggérée ici ou là.
Approfondissons nos observations. L’architecture du système financier est en elle-même une véritable boite de Pandore. à cet égard, écoutons ce que nous dit Frédéric Lordon (interview à Télérama n° 3115) : « Parmi les tares qui ont coproduit le désordre financier et ses suites dans l’économie réelle, il en est deux notoires qui tiennent à la taille des établissements financiers et à leur “déspécialisation”. La crise de 1929 avait conduit à une stricte séparation des banques de marché et des banques commerciales (c’est le Glass-Steagall Act) pour éviter que les premières ne contaminent les secondes et ne diffusent leurs effets dans toute l’économie réelle. » Et d’enfoncer encore le clou : « En cas de gamelle, non seulement ces banques mettent en péril la masse de leurs dépôts mais transmettent le choc financier à l’économie réelle via le canal du crédit, resserré à mort pour rétablir au plus vite leur situation financière. » Or, sachant que le taux de rendement des capitaux des départements « banque d’investissement » monte communément à 40 % (contre 15 à 20 % pour les grandes entreprises industrielles du CAC 40), on comprend bien (toujours F. Lordon) « que l’industrie financière se batte jusqu’à la dernière goutte de sang pour protéger ce paradis ». Rajoutons que le paradis en question a ses gardiens zélés. Eh oui, pour leur plus grand profit, les élites financières et politiques ont inventé le mouvement perpétuel entre les institutions financières ou bancaires et les lieux de pouvoir « annexes », c’est-à-dire les instances où siègent les politiques.
Au final, après s’être goinfrées des milliards prêtés par la puissance publique pour restaurer leurs comptes, les banques – via leurs traders – continuent de faire joujou avec des placements à haut risque pour la collectivité mais aux rendements faramineux pour elles-mêmes. Bien entendu, à la prochaine déflagration qu’elles provoqueront, elles offriront le « paquet cadeau » de leurs actifs toxiques (anciens et futurs) à leurs différents États, tout en leur enjoignant de ne pas se montrer… interventionnistes.
Parallèlement, les États s’efforcent d’apporter des vitamines à une économie anémiée. Comment s’y prennent-ils ? En creusant les déficits publics et en accroissant leur dette. Dit plus prosaïquement, en multipliant les cadeaux aux entreprises d’une part, et en continuant de dépecer les services publics d’autre part, sans compter tous les mauvais coups qu’il inflige en continu au monde du travail.
Un proverbe dit : Quand le vin est tiré, il faut le boire. Là c’est un NON catégorique car le GVin pue par trop le plus infâme vinaigre.

Sami Chemin