L’exhortation du poète

mis en ligne le 24 décembre 2007
Il pleuvait et personne n’a voulu raccompagner tes paroles à la berge. Quelqu’un a trouvé du scandale à tes mots sans excuse. L’un, les a badigeonnés d’indifférence, l’autre a désiré les ignorer. Alors le poème est tombé dans la trappe, il s’est mû en effluve, en ange exterminateur
Il s’est arraché en lambeaux de la feuille de papier et il s’est dit à lui-même :
Sur cette tombe transparente, les mots en aveuglette ont le droit de sortir et de tricher avec le soleil.
Le poète s’agenouille devant une grande vasque qu’il appelle poème et il en sort des mots, capsules d’étincelles et de rêves. Il dit : l’eau s’est transformée en caillou et vous aussi pouvez avoir l’allure de cailloux ordinaires qui tapisseraient le corps de l’homme. Vous ne demandez qu’à être réveillés. Alors, témoignez de vos transparences aveugles. Un cri, une pensée
vous porteront. Sortez du dictionnaire, logez vous dans un corps et tant pis si ce corps parle une langue anxieuse comme une bête.
Si vous transitez par l’estomac ou par le sexe. D’où sortez-vous sinon d’un homme ou d’une femme ? Soyez vivants, témoignez pour eux que leur condition soit misérable ou honnête. Témoignez, racontez  comment vous sortez de leurs tripes parfois, d’un verre de vin ou d’une délicieuse contemplation ? Retenez-vous à leur souffle, à leur respiration, à leur bégaiement. Soyez humains et pas trop déguisés, s’il vous plaît. Loin des couverts et des tables bien mises, retrouvez votre fonction première, celle d’exprimer les cris, les chuchotements, les tremblements de corps qui s’insurgent contre la censure, qui crient pour trouver un peu d’air tout simplement. N’attendez d’autre reconnaissance que le bonheur d’avoir pu sortir d’un homme ou d’une femme, dans le cheminement, les buissons, les épines, les clairières de leurs voix.
Ainsi dit le poète qui se débarbouillait le visage dans une grande vasque.

Evelyne Trân