Louise Michel en Nouvelle Calédonie
mis en ligne le 28 avril 2011
Souvenirs et aventures de ma vie. C’est sous ce titre que La Vie populaire a publié en 1905 un feuilleton sur la déportation de Louise Michel au bagne de Nouvelle-Calédonie. Docu-fiction avant l’heure, ce document à la gloire de l’héroïne de la Commune de Paris, figure de proue de l’anarchisme, a été réédité pour la première fois par les éditions Maiade.C’est peu dire que Louise Michel (1830-1905) eut une vie mouvementée et exemplaire. Son vif engagement lors de la Commune de Paris lui valut d’être déportée en Nouvelle-Calédonie en 1872. Elle y resta jusqu’à l’amnistie générale décrétée en 1880. C’est cette période qui est brossée dans le récit publié dans La Vie populaire à peine quinze jours après sa mort, le 9 janvier 1905, des suites d’une pneumonie. « Journal hebdomadaire de romans », La Vie populaire offrait gratuitement le premier numéro du long feuilleton à suivre tous les vendredis.
Entre contes, poèmes, mémoires, conférences, articles, etc., Louise Michel avait la plume facile. Néanmoins, des doutes planent sur l’auteur ou les auteurs du feuilleton post-mortem. À cours d’argent, Louise Michel correspondait par exemple avec un certain Arnould Galopin, auteur de romans d’aventures à épisodes comme la Belle Époque en produisait. Certes, nous retrouvons là des faits historiques incontestables, mais ils côtoient à l’occasion des récits probablement inspirés par les faits divers de l’époque. Quoi qu’il en soit, la qualité de cette œuvre romanesque a sans doute compté en son temps pour renforcer l’aura de Louise Michel, une femme légendaire déjà de son vivant.
Présenté par l’éditeur de 1905 comme « le journal vécu d’une femme de cœur », ces souvenirs comportent trois parties : « Les journées rouges de la Commune », « Les jours noirs de l’exil », « Le triste exode anarchiste ». Un avertissement prévient les lecteurs : « Ceux qui liront ces pages émouvantes pourront se convaincre que le but de toute la vie de la Grande Proscrite n’a été que de diminuer les haines entre les hommes, et qu’elle n’a jamais rêvé autre chose que la grande concorde et la fraternité universelle. »
L’histoire commence avec l’entrée des Versaillais dans Paris le 21 mai 1871. Un massacre. Trente mille morts selon Lissagaray. C’est la Semaine sanglante. Suit une litanie de procès truqués et expéditifs. On emprisonne des innocents, on sépare mères et enfants, on fusille même des aveugles. Pour ses juges, Louise Michel est une « louve avide de sang ». « Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi ! » leur cria-t-elle. Le Conseil de guerre la condamna à la déportation. Commença un terrible périple carcéral. Satory, Versailles, Arras, Versailles encore, Auberive, La Rochelle… La matricule 2182 raconte que les bourgeois versaillais bien habillés venaient visiter les prisonniers comme on va au zoo. Sales et affamés, les communards agglutinés sur des tas de paille souillés étaient vus comme des fauves.
C’est à bord de La Virginie que Louise Michel arriva en Nouvelle-Calédonie après cinq mois de voyage. La pétroleuse n’avait pas fini de se frotter à l’arbitraire des gardes-chiourme. Pour son bonheur, en plus des retrouvailles avec d’anciens compagnons, elle devait faire la connaissance du peuple canaque, ces « nègres d’Océanie » selon le vocabulaire d’alors. Face à la férocité de l’administration pénitentiaire, le choix de Louise fut simple. Aux gardes-chiourme décrits comme des hommes civilisés, elle préféra évidemment se prendre d’affection pour les Canaques présentés comme des sauvages.
Louise voulut mettre sa fibre d’institutrice au service de ses nouveaux amis. Les autorités voyaient d’un très mauvais œil l’amitié qui naissait entre cette quasi-sorcière et une bande d’anthropophages. De rudes guerriers qui la protégeaient parfois des surveillants en lui faisant une garde d’honneur. Les cours se faisaient donc à l’abri des regards sous les arbres, dans les grottes. À Nouméa, les Canaques préféraient braver l’interdiction, donc subir le fouet, plutôt que de rater la classe. On reprochait à la combattante de mettre des idées ridicules d’émancipation dans la tête des indigènes.
Le récit écrit à la première personne fourmille d’événements poignants (les tentatives de belles avortées, les supplices infligées aux communards, la révolte des Canaques réprimée dans le sang, les trahisons, les bras de fer avec l’administration, l’évasion d’Henri Rochefort, l’exploitation coloniale, le marché noir, les exécutions capitales…), de combats pour défendre tous les naufragés de la vie (humains, mais aussi chiens, chats, albatros, pigeons…), d’anecdotes cocasses. Mêlons à ça l’univers que nous avons aperçu dans le film de Solveig Anspach consacré à Louise Michel et nous obtenons un roman d’action exotique et lyrique de belle facture. Les passages qui relatent les liens qui unissaient Louise à sa mère, qu’elle vouvoyait tendrement, ne sont pas les moins attachants.
Des larmes, de rage ou de peine, la bonne Louise a dû en verser des litres sur la cruauté des hommes. Elle en versa aussi probablement, paradoxalement, en quittant la Nouvelle-Calédonie. Déchirée entre la tristesse de quitter des êtres chers et la joie de retrouver les anciens. C’est ce que le feuilleton suggère. Ces vrais-faux souvenirs qui auraient été écrits pendant la tournée de conférences que la rebelle donna en Algérie sont à lire au moment où l’on commémore l’anniversaire de la Commune de Paris (18 mars-28 mai 1871). L’ouvrage a passionné des lycéens limousins qui lui ont décerné un prix. Bravo. Mieux vaut en effet avoir Louise l’insoumise comme héroïne plutôt que telle ou telle starlette à deux balles. Vive la Commune !