éditorial du n°1384
L'indispensable travail de mémoire tant plébiscité ces jours-ci n'est pas une tâche aussi simple que les médias le laissent penser. Pour exemple, la France d'après-guerre n'a voulu voir qu'une facette bien réductrice de cette horreur. Les seuls récits accessibles étaient alors ceux des hommes de la Résistance. La France devait se reconstruire... Il a fallu attendre les années soixante-dix pour parler du génocide des Juifs et encore quelques années plus tard pour évoquer celui des homosexuels et des Tsiganes, pour reconnaître depuis peu l'implication de l'État français dans la Shoah.
La date du 27 janvier 1945, libération du camp d'Auschwitz-Birkenau, où furent exterminés près d'un million de juifs, a été choisi pour commémorer la Shoah. L'État d'Israël n'a pas choisi paradoxalement cette date. Il lui a préféré une autre date en avril correspondant à l'insurrection du ghetto de Varsovie. Il préférait l'image de résistants juifs s'élévant contre la barbarie que celle d'un peuple humilié, gazé et brûlé dans les fours crématoires. La raison est légitime mais aussi instrumentalisée puisque, pendant les années cinquante, choix de cette date de commémoration, l'État d'Israël était en pleine construction dans une région hostile, l'image positive de combattants étant alors plus adéquate. Lire à ce sujet le livre d'Idith Zertal, intellectuelle israëlienne, La nation et la mort, La Shoah dans le discours et la politique d'Israël aux Editions La Découverte.
Si elle n'est pas laissée aux seuls historiens pour la construction d'un savoir désintéressé, la mémoire a ceci de complexe qu'elle devient alors la cible de multiples intrumentalisations du pouvoir en place. Les démocraties actuelles ne nous protègent en rien de cette instrumentalisation. Elles se sont montrées à de multiples reprises défaillantes ou complices des régimes autoritaires. Elles ont pu elles-mêmes revêtir le masque de l'horreur contre les peuples.