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Cinéma

par Mireille Mercier et Daniel Pinós • le 18 octobre 2025
Muganga. Celui qui soigne
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Quand le cinéma répare aussi les âmes
Denis Mukwege, médecin congolais et futur Prix Nobel de la paix, soigne, au péril de sa vie, des milliers de femmes victimes de violences sexuelles en République démocratique du Congo. Sa rencontre avec Guy Cadière, chirurgien belge, va redonner un souffle à son engagement.
De la barbarie à l’humanité
Marie-Hélène Roux a choisi d’ouvrir le film sur une scène de viol insoutenable d’une femme blanche devant son mari et ses deux enfants. Une scène d’une violence inouïe.
« On ne peut pas parler de guérison sans affronter ce qui doit être réparé... En choisissant une famille blanche, j’ai voulu contourner le « kilométrage émotionnel » et créer une identification immédiate. À travers deux femmes — l’une blanche, l’autre noire — j’exprime une vérité : partout, dans le monde, la femme est la première victime des conflits. » – Marie-Hélène Roux
Les vagins sont souvent déchirés par des objets tranchants, des bâtons, des couteaux, des morceaux de fer sont introduits dans le corps des femmes par des soldats.
Ces images projettent le spectateur dans l’horreur de ce que les femmes, Didier Muganga et son équipe, affrontent chaque jour au sein de l’hôpital Panzi.
Ballottés de la colère à l’émotion, de la barbarie à l’humanité, c’est l’urgence de réparer les victimes qui va très vite s’imposer. Les femmes accueillies à l’hôpital de Panzi, détruites physiquement et psychologiquement, s’en remettent à l’équipe médicale qui va pratiquer sur elles une technique de réparation des corps.
Réparer les corps
La réalisatrice ne nous épargne aucune étape de leurs souffrances. L’enjeu est que nous comprenions et regardions en face la portée de ce qui se passe dans cet hôpital hors norme où des femmes attendent d’être opérées. On les suit jusqu’au bloc opératoire. Si Marie-Hélène Roux tient à nous montrer les techniques chirurgicales, ce n’est pas seulement par souci de provoquer chez le spectateur une immanquable empathie, mais aussi pour saluer un travail de reconstruction difficile, expliqué à la manière d’un cours de médecine. On ne peut que saluer le travail cinématographique pédagogique de ce film, nécessaire, oserions-nous dire, pour que nous saisissions l’incroyable parcours que ces femmes mutilées endurent.
Si parfois le film frôle le pathos, c’est la générosité de l’intention et l’humanité qui se dégagent qui prendront immanquablement le dessus. Happés par la force de chaque scène, le cœur et la raison accrochés, c’est la réalité de la situation, évoquée avec talent par les actrices et les acteurs, qui bouleverse. Il faut dire que tous jouent avec une générosité et un engagement hors du commun. Électrochoc visuel nécessaire ? Certains d’entre nous seront tentés de dénoncer des séquences proches d’une esthétisation de la violence ; les avis seront inévitablement partagés.
Le viol comme arme de guerre
« Ce que m’a expliqué le docteur Mukwege, c’est que le viol est devenu une arme de guerre parce qu’il est à la fois peu coûteux et redoutablement efficace. Une balle, dans un pays où le salaire moyen est d’un dollar par jour, coûte cinq dollars. Le viol, lui, ne coûte rien — et il détruit tout : les corps, les familles, les communautés, la société. Il provoque l’exode des populations, détruit les villages et installe la peur. Et derrière, ce vide laissé par la terreur permet aux groupes armés d’accéder plus librement aux ressources naturelles. »
– Marie-Hélène Roux
Les milices font la loi. Les soldats sont chargés de faire fuir les familles qui occupent un territoire d’une richesse hors du commun. Il s’agit d’exploiter les terres rares, celles qui regorgent de ces composants indispensables au fonctionnement de nos portables et de nos batteries électriques, mais ne nous égarons pas dans la dénonciation et dans la complexité de ce trafic à l’enjeu économique considérable ; l’enjeu du film, lui, est avant tout de sensibiliser le spectateur au parcours hallucinant de ces femmes.
Considérant que toutes les dénonciations de la barbarie sont bonnes à prendre dans un monde où l’appât du gain déshumanise au-delà de l’entendement, nous ne pouvons que saluer chaleureusement ce collectif de travail cinématographique qui réussit à nous plonger dans le pire comme dans le meilleur de l’humain.
La rencontre entre ces deux médecins, l’un athée et l’autre profondément croyant, est impressionnante d’humanité. Une séquence montre les divergences entre les deux chirurgiens. L’avortement est interdit en RDC. Une des victimes, incarnée magistralement par Déborah Lukumuena, implore avec désespoir qu’on lui enlève cet enfant qu’elle ne pourra jamais aimer. Le film bascule.
Un film grand public, émouvant, profondément humain, servi par une équipe cinématographique généreuse et talentueuse. Un cinéma utile, dirons-nous. Que de grands acteurs comme Isaach de Bankolé et Vincent Macaigne contribuent à son succès en salle, on ne peut que s’en réjouir.
Mireille Mercier et Daniel Pinós
Un film d’Hélène Roux, coécrit avec Jean-René Lemoine.
Avec Isaach de Bankolé, Vincent Macaigne, Manon Bresch, Babetida Sadjo & Déborah Lukumuena.
Sortie au cinéma le 24 septembre
1h45 France Belgique
A savoir
Selon un rapport d’Amnesty International publié en février 2023, 40 000 enfants travaillent toujours dans les mines. La Chine dirige aujourd’hui 15 des 19 mines industrielles de cobalt du sud-est congolais, la majorité des usines de raffinage du minerai, et contrôle aujourd’hui 75 % du stock planétaire de cobalt. Depuis 2015, la Chine se positionne en première ligne pour la production de véhicules électriques et fournit aujourd’hui les trois-quarts des batteries vendues grâce à plus d’une centaine de « giga-usines » dédiées, soit dix fois le nombre d’usines européennes et américaines réunies.
Ces violences sexuelles sont clairement une stratégie pour contrôler les ressources minières du Congo. La question qui reste posée est celle de la responsabilité. Le docteur Mukwege ne se contentera pas de soigner les victimes, mais s’acharnera à dénoncer publiquement l’inaction internationale. L’hôpital Panzi devient, dès les années 2000, un centre holistique (médical, psychosocial, socio-économique, juridique). Menacé de mort, Didier Mukwege survit à une tentative d’assassinat en 2012 et est exfiltré avec l’aide du Dr. Cadière. Suite à la mobilisation des femmes de Panzi, il revient au Congo en 2013.
Lauréat du Prix Nobel de la Paix en 2018, il poursuit son combat. À nouveau menacé, il vit sous haute protection. En 2024, il développe le modèle « One Stop Center » pour les victimes à travers l’Afrique. En 2025, il reçoit le Prix Aurora, mais vit désormais en exil après la prise de l’hôpital de Panzi par le M23 et l’armée rwandaise. Il ne cesse d’alerter la communauté internationale.
Une occasion de rappeler l’existence d’un documentaire qui retrace le combat de ce médecin congolais, sorti en 2015 : L’homme qui répare les femmes - La colère d’Hippocrate de Thierry Michel et Colette Braeckman, produit par Les Films de la Passerelle.
Également, les livres écrits par Denis Mukwege : citons L’homme qui répare les femmes , La force des femmes et Réparer les femmes – un combat contre la barbarie , coécrit avec le docteur Guy Bernard Cadière.
Le docteur Mukwege soigne aujourd’hui des femmes d’Ukraine et du Moyen-Orient.
PAR : Mireille Mercier et Daniel Pinós
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