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par Philippe Diaz • le 17 mai 2025
LA DICTATURE DU DOLLAR – Deuxième partie : Sur la liberté d’expression des étudiants
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Nous avons vu dans la première partie, https://monde-libertaire.net/index.php?articlen=8360
comment l’État de non-droit, créé par la nouvelle autocratie présidentielle américaine, utilisait la dictature du dollar pour faire plier la presse. Encore plus inquiétante est la manière dont il utilise ce même outil pour limiter la liberté d’expression des étudiants. Les étudiants qui protestent pour la libération de la Palestine et contre le gouvernement israélien sont spécialement visés. Dans une autocratie, ce genre d’opposition à la politique définie n’est pas tolérée, surtout aux États-Unis, où de nombreux combats étudiants ont réussi à faire changer le cours de l’Histoire.
Pour ne prendre que quelques exemples, ces succès ont commencé à l’université Fisk en 1925. Le président de Fisk restreignit alors de nombreuses activités étudiantes. Après une manifestation pacifique, la police intervint violemment, ce qui fit basculer la situation en faveur des étudiants qui organisèrent un boycott de l’école, entraînant la démission de son président.
Le 1er février 1960, quatre étudiants noirs du North Carolina Agricultural and Technical College décidèrent de rester lorsqu’on leur refusa le service chez Woolworth, l’une des premières chaines de magasins et de restaurants aux États-Unis. Leur sit-in prit de l’ampleur et s’étendit à d’autres villes universitaires qui pratiquaient la ségrégation. Au cours de l’été, de nombreux commerces et établissements publics ouvrirent la porte aux noirs, y compris le Woolworth’s de Greensboro. Richard Nixon, élu en 1968, avait promis de mettre fin à la guerre du Vietnam, mais en 1970, les États-Unis envahirent le Cambodge. Des manifestations commencèrent dès le lendemain, notamment à l’université d’État de Kent. Le 4 mai, une manifestation de 3 000 personnes fut accueillie par une centaine de gardes nationaux qui ouvrirent le feu, tuant quatre étudiants et en blessant neuf autres. Une grève étudiante fut organisée dans tout le pays, avec près de 4 millions de participants… on connait la suite. Plus proche de nous, le blocus étudiant de 1985 de l’université de Columbia, qui exigeait que l’université se désengage des entreprises profitant de l’apartheid en Afrique du Sud, conduisit au désinvestissement de l’université et créa un précédent pour d’autres institutions.
Les étudiants des universités publiques ont le droit de participer à des manifestations pacifiques, pour autant qu’elles ne perturbent pas le fonctionnement de l’école. Les institutions publiques peuvent imposer des restrictions raisonnables sur le lieu, le moment et la manière dont les manifestations peuvent se dérouler, mais les restrictions imposées doivent être neutres, c’est-à-dire qu’elles ne peuvent pas être fondées sur le message exprimé ou sur les convictions des manifestants, ce qui est ici essentiel. Des décennies de décisions de justice montrent clairement qu’un campus universitaire public est un « forum public traditionnel ». La protestation étudiante sur les campus est une tradition américaine.
Donc rien à faire de ce côté-là pour empêcher les étudiants de manifester pour la Palestine, sauf en utilisant l’arme du dollar. Le procédé est très simple : si les universités n’empêchent pas les manifestations, elles perdent leurs financements du gouvernement fédéral. Voici donc quelques-unes des sommes que les universités vont perdre si elles ne se plient pas aux demandes de l’administration Trump : l’université de Harvard, 9 milliards de dollars ; l’université Brown, 510 millions de dollars ; l’université de Cornell, 1 milliard de dollars ; l’université de Columbia, 400 millions de dollars ; l’université de Pennsylvanie, 175 millions de dollars (celle-ci en réaction à la participation sportive d’un athlète trans en 2022) ; l’université de Princeton, 210 millions de dollars auxquelles s’ajoutent les universités George Washington ; Johns Hopkins ; New York, Northwestern ; Berkeley et Los Angeles.
Et voilà le résultat : l’université Northwestern a récemment publié une liste de mesures qu’elle avait prises pour lutter « contre l’antisémitisme », ce qui correspondait étroitement à une liste de demandes que l’administration Trump avait adressée à l’université Columbia. Cela fait suite à cette dernière acceptant de durcir sa politique disciplinaire, sa politique d’admission et d’autorisation des manifestations ! Les autres universités sont en train de négocier de la même manière, à l’exception de Harvard, qui intente un procès au gouvernement.
Cela va avoir pour conséquences que les universités vont abroger, ou en tout cas limiter fortement, le droit des étudiants à manifester. Ceux qui braveront cette interdiction seront donc arrêtés, entrainant pour les Américains une inscription sur leurs casiers judiciaires dans le meilleur des cas, et pour les étrangers une expulsion des États-Unis. Trump a récemment déclaré que son administration étudiait également la possibilité d’arrêter des citoyens américains et de les expulser vers les prisons du Salvador ! Il semble clair qu’une telle mesure serait tout à fait illégale et rejetée par la Cour Suprême. Mais comment faire revenir les Américains emprisonnés au Salvador ? Un bon exemple est celui de Kilmar Abrego Garcia qui vivait légalement aux États-Unis avant d’être arrêté et déporté au Salvador. Il fut emprisonné sans procès dans la prison de haute sécurité réservée aux terroristes salvadoriens. La Cour Suprême a jugé cette déportation illégale et a ordonné au gouvernement de « faciliter » son retour, ce que Trump a, jusqu’à aujourd’hui, refusé !
Le 7 mai, environ 80 militants propalestiniens ont été arrêtés lors de l’occupation de la bibliothèque de Columbia par la police de New York. Cela fait suite à l’incarcération de nombreux étudiants vivant légalement aux États-Unis, tel que Mohsen Mahdawi, 34 ans, un étudiant palestinien, arrêté alors qu’il se trouvait dans un bureau d’immigration à Colchester en train d’obtenir la nationalité américaine. Son interlocuteur a quitté la pièce et des agents masqués et armés sont alors entrés et l’ont arrêté ! Quelles manières dans une démocratie ! Son crime est d’avoir organisé des manifestations sur le campus et cofondé le syndicat des étudiants palestiniens avec Mahmoud Khalil, un autre Palestinien, résident permanent aux États-Unis et étudiant diplômé, qui a été arrêté en mars. Mahdawai a passé 16 jours dans une prison du Vermont avant qu’un juge n’ordonne sa libération le 30 avril. L’administration Trump a déclaré que Mahdawi devrait être expulsé parce que son activisme menace ses objectifs de politique étrangère ! Mahdawi a accusé l’université de Columbia d’éroder la démocratie par sa gestion des manifestations sur le campus contre la guerre entre Israël et le Hamas. Il a ajouté qu’il a « l’intention d’assister à la remise de son diplôme parce qu’il s’agit d’un message… C’est un message qui dit que l’éducation est un espoir, que l’éducation est une lumière, et qu’il n’y a aucune puissance au monde qui puisse nous en priver ».
Espérons qu’il ait raison !
Par Philippe Diaz / « L’autre Voix de l’Amérique » pour « Le Monde Libertaire »
www.philippe-diaz.com
PAR : Philippe Diaz
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