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Actus anarchistes
par Juan Heredia le 17 mai 2025

Colette Durruti s’en est allée…

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Photo de novembre 2024 aimablement fournie par Yvon Marlot.

Colette Durruti, la fille de Buenaventura Durruti et d’Émilienne Morin, nous a quittés le 12 avril. Elle avait 93 ans, et avec elle disparaît un témoin discret de l’intense engagement de ses parents dans les combats révolutionnaires des années 1920 et 1930.

L’histoire débute à Paris en avril 1926. Le trio, composé de Gregorio Jover, Francisco Ascaso et Buenaventura Durruti, débarque dans la capitale après un long exil de deux ans en Amérique du Sud. Ils y retrouvent leurs comparses du groupe Los Solidarios, Juan García Oliver et Alfonso Miguel Martorell, arrivés pour leur part en 1925.

Émilienne Morin militait en 1923 dans le groupe du XVème des Jeunesses Syndicalistes de la Seine. Elle était proche aussi de l’Union Anarchiste de Louis Lecoin. Et il se trouve qu’elle s’engagera activement avec lui pour la libération de Jover, Ascaso et Durruti, arrêtés le 25 juin 1926. Ils étaient accusés de fomenter un attentat contre le roi d’Espagne, Alphonse XIII, dont une visite officielle était prévue à Paris. Une intense campagne de solidarité permit leur libération en juillet 1927. Ils échappèrent ainsi à l’extradition demandée par l’Espagne et l’Argentine, où ils étaient condamnés à mort.

Le 14 juillet 1927, jour de son anniversaire, et tout juste libéré, Buenaventura fera la connaissance d’Émilienne, dite Mimi, à la librairie internationale anarchiste de la rue des Prairies, à Paris dans le XXème. Elle confiera aux journalistes Pedro Costa Muste et Luis Artime (1) ,venus d’Espagne la rencontrer en 1977 à Quimper où elle résidait avec sa fille, que cette librairie vit le jour grâce à l’argent exproprié en 1923 à la succursale de la Banque d’Espagne de Gijón par le groupe Los Solidarios.

Tombés amoureux, Buenaventura et Émilienne décidèrent de vivre en couple dans une semi-clandestinité à Bruxelles, où beaucoup d’anarchistes espagnols avaient été expulsés.

Mon père ne reviendra pas


Colette naîtra le 4 décembre 1931 à Barcelone où ses parents avaient emménagé à l’avènement de la IIème République. Mais depuis son retour, Durruti subissait de plein fouet la répression policière. Les condamnations judiciaires pleuvaient sur lui et ses compagnons du fait de leurs activités révolutionnaires. Les années 1933 à 1935 furent très éprouvantes pour la famille. Buenaventura enchaînait les séjours en prison et la déportation dans plusieurs pénitenciers situés à l’autre bout de la péninsule, et même aux Canaries. De son côté, Émilienne travaillait en usine puis comme ouvreuse au cinéma Goya pour subvenir aux besoins du couple et de leur fille. Teresa Margalef [note] s’occupa souvent de la petite Colette, y compris en l’allaitant, lorsque sa mère était au travail.

Durruti ne bénéficiera que de courts moments de liberté hors des geôles républicaines pour vivre auprès des siens. Il ne sera définitivement libre qu’à la toute fin de l’année 1935. Âgée alors de quatre ans, Colette n’aura quasiment pas connu son père. En mai 1936, devant les menaces de coup d’État militaire et craignant pour sa sécurité, Buenaventura demanda à Émilienne de ramener la fillette à Paris, où elle fut confiée à sa grand-mère.

Nous avons aujourd’hui appris par Yvon, le fils de Colette, que sa mère avait un second prénom choisi par Émilienne :  J’ai toujours entendu maman se faire appeler Diana. Buenaventura ajouta celui de Colette pour faciliter son existence en France. Émilienne resta quant à elle en Espagne. Elle s’engagea dans la colonne Durruti, puis participa aux activités de la CNT-FAI à l’arrière.

Colette apprendra le décès de son père à Paris. Aux deux journalistes espagnols de la revue Interviú, Colette confiera : Le jour où papa est mort, j’étais à Paris, et ma mère à Barcelone. J’avais cinq ans. Je m’en souviens très bien : je jouais dans le jardin et une camarade française a franchi le portail et a dit à ma grand-mère de rentrer dans la maison. Pourquoi, me suis-je dit. Je les ai suivies et les ai entendues parler derrière une porte : « Durruti est mort ». Grand-mère m’a prise dans ses bras, en pleurant, et m’a couverte de baisers. Plus tard, peut-être en fonction d’une intuition sentimentale, j’ai douté de la version donnée de sa mort. Je n’ai jamais cru qu’il était mort accidentellement.

En mai 1938, très occupée par son travail au sein de la délégation de la CNT-FAI à Paris, Émilienne se propose de rédiger « un petit papier » pour Mujeres Libres, qui paraîtra dans le numéro 12 de la revue. Elle y écrit : Je pense aussi faire un portrait de ma Colette et vous dédier la photo de « la petite Durruti ». Vous serez étonnées de l’extraordinaire ressemblance de mon bébé avec notre grand disparu. En guise de légende sous un dessin représentant Colette, on lit : Mon père ne reviendra pas !

Après la défaite


Début 1937, Émilienne rentra définitivement en France où elle continua de militer dans les réseaux d’entraide de la SIA (Solidarité internationale antifasciste).
La même année, la CNT réalisa le documentaire 20 de noviembre avec en dédicace : El comite nacional de la CNT en ofrenda a Emiliana Morin y a la pequeña Colette Durruti. Le 21 novembre 1938, à la Mutualité à Paris, Émilienne présida un meeting de l’Union anarchiste commémorant la mort de son compagnon. Entre décembre 1938 et juin 1939, elle signa aussi plusieurs articles sur la situation en Espagne dans le journal de la SIA, sous le nom d’Émilienne Durruti (2) .

Dans le numéro 13 du 9 février 1939, en écho à la chute de la Catalogne, Émilienne rédige un papier prémonitoire quant à la guerre à venir, intitulé : « Tout n’est pas perdu ! Leur exemple demeure » :

Après ces jours d’angoisse et de désespoir, nous nous ressaisissons et, tristes mais non résignés, nous faisons le bilan de notre défaite. Je dis bien de notre défaite, car nous nous identifions entièrement aux vaincus de là-bas. Puisque le prolétariat français n’a rien fait pour enrayer la catastrophe, il subira, qu’il le veuille ou non, le contrecoup de son indifférence. Le fascisme qui, chez nous, agit plus ou moins ouvertement depuis 1934, montre maintenant un peu plus le bout de l’oreille et deviendra plus insolent que jamais après la reconnaissance de Franco par notre gouvernement.

Plus loin, elle évoque les collectivités d’Aragon, de Catalogne et du Levant :

Pour l’édification du prolétariat international, les rudes paysans d’Aragon ont construit, en peu de mois, une économie dirigée qui pourrait bien servir de modèle à bien des théoriciens en chambre.

L’auteur de ces lignes a contacté Luis Artime en septembre 2020 pour évoquer des aspects particuliers de sa rencontre avec les deux femmes en 1977. Luis reviendra ainsi sur une confidence que lui fit Émilienne. En 1940 devant l’imminence de l’arrivée des Allemands à Paris, elle et Colette reçurent la promesse de pouvoir embarquer à Marseille sur un bateau en partance pour le Mexique. Un tour de passe-passe sur les billets favorisa deux autres personnes plus influentes. Elles se retrouvèrent bloquées dans le Midi de la France avec, pour seules affaires, une paire de valises dont l’une contenait le « maigre héritage de son mari ». Ainsi s’envola l’espoir d’une nouvelle vie loin de cette Europe en guerre.

Les dernières pages de l’histoire


A la Libération, Émilienne resta proche du mouvement libertaire et entretint des relations suivies avec des réfugiés espagnols de la CNT, dont Ricardo Sanz, successeur de Durruti à la tête de la colonne devenue la 26ème Division de l’armée républicaine. De son côté, Colette travaillait comme sténographe. En 1953, elle épousa Roger Marlot, qu’elle avait rencontré dans un camp d’été organisé dans l’après-guerre par les Auberges de Jeunesse. Elle acquit ainsi la nationalité française.



Ce portrait de Colette réalisé à Casablanca dans les années cinquante se trouvait dans l’entrée dans sa maison de Maureillas.
Le couple vécut à Casablanca jusqu’en 1956, puis revint en France. A sa retraite en 1966, Mimi s’installa à Quimper à proximité de sa fille.

Du côté de la branche espagnole, Manuel Durruti reste aujourd’hui le dernier témoin vivant de cette période. Fils de Benedicto, l’un des frères cadets de Buenaventura, Manuel est le cousin de Colette. Il m’a confié ne l’avoir rencontrée que deux fois dont l’une à Paris, dans les années 1973-1974. En 1948 Colette, alors âgée de 17 ans, s’était rendue à Léon où vivait la famille Durruti dont Rosa, la sœur de Durruti, qu’Émilienne surnommait affectueusement sa « petite sœur ». Colette se rappelle très bien les circonstances de ce déplacement :

Je garde un mauvais souvenir de ce voyage. Quand j’ai changé de train à la frontière, j’ai trouvé deux policiers qui m’attendaient à ma place et qui m’ont posé beaucoup de questions. A Madrid, j’ai dû me présenter trois fois à la Direction générale de la sécurité. Ils me suivaient. C’était une provocation constante.

Les parents de Manuel aidèrent Colette à obtenir certains papiers prouvant la filiation. Manuel se souvient aussi de la venue de Mimi en 1955 chez ses parents.



Colette avec sa mère portant des lunettes noires lors de la Semaine confédérale de la CNT le 27 novembre 1977 à Barcelone. Document communiqué par Manel Aisa.

Jusqu’à il y a peu encore, Colette se rendait régulièrement chaque 20 novembre à Barcelone au cimetière de Montjuic et y revoyait ami(e)s et connaissances pour commémorer la disparition de son père.

Aux amis Myrtille et Christophe, venus lui rendre visite pour la première fois en avril 2023 à Maureillas dans les Pyrénées-Orientales, son fils Yvon dira qu’elle parlait souvent de son père depuis quelques temps, avec affection ; mais qu’elle savait très peu de choses sur lui. Elle lisait avec attention tous les livres se rapportant à Buenaventura, et s’attardait en particulier sur les photos.

Depuis quelques années, une petite équipe d’historiens aficionados, réunis autour des Giménologues, poursuit avec ténacité des recherches sur les circonstances de la mort de Durruti. Myrtille et Christophe ont ainsi pu échanger sur le sujet avec Colette et Yvon.

A la question posée à Colette : Qui a l’a tué ? La réponse fut :  
1)  des jeunes libertaires 
2) ou d’autres, et par derrière.

Yvon précisa : On a toujours su qu’il avait été tué à bout portant. Colette penchait clairement vers la thèse d’un assassinat, mais elle restait ouverte aux autres pistes. Ce jour-là, elle nous aida dans nos recherches en nous procurant photos et documents de la famille.

Nous continuerons nos investigations en souvenir de Colette, et de la tendre affection qu’elle avait pour son père…

Juan Heredia

Sources

La notice Maitron sur E. Morin : https://maitron.fr/spip.php?article154346
https://militants-anarchistes.info/spip.php?article4086
https://sobrelaanarquiayotrostemasii.wordpress.com/2018/06/17/emilienne-morin-la-companera-de-buenaventura-durruti-dumange-vida-y-obra/

Le documentaire de la CNT de novembre 1937 : https://www.youtube.com/watch?v=zX0hI6kM_k4
Les articles d’Émilienne Durruti dans le journal de la SIA : https://archivesautonomies.org/spip.php?article5340
numéros 7/13/17/21/29.

Notes :
1) L’article original : https://gimenologues.org/IMG/pdf/interviu-0052-19770512.pdf et la version traduite par Daniel Pinos pour Le Monde Libertaire de février/mars 2024 : https://gimenologues.org/IMG/pdf/ml_emilienne_morin_.pdf
En complément :
https://gimenologues.org/spip.php?article1100
2) Buenaventura et Emilienne n’étaient pas mariés. A son retour en France, elle adopta le nom d’Emilienne Durruti pour ses activités publiques et militantes.

Les intertitres sont de la rédaction


PAR : Juan Heredia
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1

le 20 mai 2025 11:32:19 par LULU

Quel est l’intérêt de cet article concernant la fille de Durruti ?
Et aucun texte dans le ML en ligne de la présence FA dans les cortèges du 1er mai