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Cinéma

par Mireille Mercier et Daniel Pinós • le 10 mars 2025
Le village aux portes du paradis
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Un village du désert somalien, torride et venteux. Mamargade, père célibataire, cumule les petits boulots pour offrir à son fils Cigaal une vie meilleure. Alors qu’elle vient de divorcer, sa sœur Araweelo revient vivre avec eux.
Malgré́ les vents changeants d’un pays en proie à la guerre civile et aux catastrophes naturelles, l’amour, la confiance et la résilience leur permettront de prendre en main leur destinée.
Mo Harawe démarre son film par un extrait de journal télévisé en anglais, relatant une attaque de drones en Somalie. « La vidéo vient d’un bulletin d’informations de la chaîne britannique Channel 4. L’idée était de commencer le film avec la perception occidentale, pour faire ressentir au public ce qui est d’ordinaire montré de cette région du monde. Je voulais aussi montrer comment certains évènements, comme l’attaque de drones dans ce cas, sont présentés avec un sensationnalisme qui n’a rien à voir avec la réalité. Dans le film, on voit la situation telle qu’elle est vraiment : il s’agit de gens comme les autres, et ces frappes de drones sont un facteur avec lequel ils doivent composer dans leur vie quotidienne. »
Éloigné de cette vision occidentale, Mo Harawe va progressivement nous entraîner dans la lenteur de la vie quotidienne de personnages qui se battent pour tout simplement survivre, filmée avec un réalisme proche du documentaire. Dans ce quotidien d’une famille pauvre, les liens affectifs sont magnifiquement interprétés. Mo Harawe a majoritairement travaillé avec des acteurs somaliens non-professionnels. Mamargade est interprété par Ahmed Ali Farah, son fils par Ahmed Mohamud Saleban et Anab Ahmed Ibrahim incarne le rôle de la sœur, Araweelo.
Le père et le fils partagent une relation fusionnelle. La sœur est pleine de bienveillance. On pourrait reprocher la lenteur de la narration si la beauté des images ne venait pas nous séduire artistiquement. Les couleurs, les expressions des visages sont magnifiées par le travail du directeur de la photographie, Mostafa el-Kashef. Un remarquable travail sur l’image.
Chaque acte est laborieux au sein d’une situation désespérée. Pourtant, ce village au bord de la mer pourrait être un paradis si le pays n’était pas aux prises de violents conflits. Les villageois vivent avec la peur des combats. Il n’est pas rare de trouver des corps sans vie, mais Mo Harawe n’a pas choisi de nous expliquer la nature des conflits en tant que tels. Rappelons ici, que l’armée, les milices citoyennes, les forces de l’Union africaine et les drones turcs et américains se battent contre les Chabads, (un groupe terroriste affilié à Al-Qaida).
Alors que l’on s’attend à ce que les personnages soient montrés comme des victimes, Mo Harawe nous raconte une histoire universelle, celle d’un père qui souhaite le meilleur pour son enfant.
Mamargade, le père de Cigaal, un homme bon, profondément humain, d’une gentillesse qui l’empêche de dire non, doit prendre des décisions qui n’ont pas grand-chose à voir avec le choix. Les perspectives de s’en sortir sont d’une probabilité si étroite qu’il navigue au jour le jour. Lorsqu’il prend une décision, il n’est jamais certain d’agir au mieux. Fossoyeur, mécanicien, chauffeur : Marmagade accepte tous les boulots, y compris illégaux, pour subvenir à leurs besoins. Araweelo, la sœur de Marmagade, est venue s’installer avec eux après avoir divorcé. Elle économise pour s’offrir une petite échoppe. Elle se bat pour récupérer de l’agent qu’elle a prêté et se voit refuser un crédit bancaire. L’école de Cigaal ferme ses portes par manque de moyens financiers et la directrice suggère de le placer dans un internat en ville. Une séparation douloureuse et coûteuse s’avère difficile à envisager
De quels maux les somaliens sont-ils épargnés ? On se le demande. Des hommes tués pour être pris pour des pirates dans les eaux somaliennes, des pollutions dues aux produits chimiques, des attentats suicides, des drones et des trafics d’armes, de la pauvreté et de l’absence d’emploi, autant de fléaux évoqués, sans aucune colère, de la part du réalisateur. Lorsque Mamargade creusera une tombe pour une femme qui a perdu sa fille dans une attaque de drones, désespérée, elle lui dira : « Ça ne rime à rien d’avoir des enfants. » La fatalité se lit sur les visages. Cette rencontre va peser dans la décision d’envoyer son fils en pension.
"Ce qui m’intéressait n’était pas forcément ce qu’on entend d’habitude quand on parle de famille, mais, dans un sens plus large, ce qui constitue les caractéristiques d’une famille. Les villageois s’aident et se soutiennent quand c’est nécessaire. Pendant longtemps, il n’y a pas eu de gouvernement en exercice ni de protection de l’État. La seule raison pour laquelle ces gens ont survécu, c’est le système de clans. Qui est, quelque part, une famille. »
En contrechamp de cette histoire entre un père et son fils, Araweelo, la sœur de Mamargade, semble mener sa vie en parallèle. Et pourtant, c’est son histoire qui viendra s’inscrire au premier plan. Une surprise dans sa narration qui fera de l’adversité un terrain propice à un inattendu rebondissement et un peu d’espoir dans une situation dramatique. Le village aux portes du paradis : Un film lumineux où la vie, la solidarité et l’amour rejaillissent dans les pires moments.
Mireille Mercier et Daniel Pinós
Le village aux portes du paradis
Un film de Mo Harawe présenté en compétition officielle à Cannes 2024 dans la section Un Certain Regard 2024
Somalie
Durée : 2h12
Au cinéma le 9 avril
PAR : Mireille Mercier et Daniel Pinós
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