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Cinéma
par Mireille Mercier et Daniel Pinós • le 2 juin 2024
Dissidente. Un film coup de poing
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Dans la Vallée du Richelieu, région agricole du Québec, Ariane est embauchée dans une usine en tant que traductrice. Elle se rend rapidement compte des conditions de travail déplorables imposées aux ouvriers guatémaltèques. Choquée, elle entreprend à ses risques et périls une résistance quotidienne pour lutter contre l’exploitation dont ils sont victimes.
Dissidente est une œuvre forte et déchirante, un uppercut sur le monde du travail au Québec. Celui des exploitations, qu’elles soient agricoles ou industrielles, et des travailleurs immigrés qui viennent y travailler en raison du manque de main-d’œuvre. Un film social et engagé qui nous montre les excès du capitalisme et comment l’exigence de toujours plus de profits réclamés par des actionnaires toujours plus gourmands poussent les directeurs d’usines à bafouer les règles les plus élémentaires du droit, de la morale et du respect humain. Dissidente est une œuvre coup de poing presque proche du documentaire.
C’est un film réaliste au plus près des personnages et de leurs préoccupations. Il y a une ressemblance avec le cinéma des frères Dardenne dans la façon de filmer de Pier-Philippe Chevigny, avec une caméra nerveuse qui suit les traces de ses personnages. On est au cœur des excès du capitalisme et de ses conséquences. Le constat est édifiant.
L’action se passe dans la vallée du Richelieu, immense région agricole du Québec et le garde-manger du pays. C’est une histoire universelle : celle qui lie depuis la nuit des temps ceux qui possèdent et celles et ceux qui n’ont rien hormis la force de leurs bras. On voit un patron engager des ouvriers guatémaltèques et mexicains en les sous-payant et en les faisant travailler dans des conditions inhumaines qui mettent en danger leur santé et leur vie.
« Le programme des travailleurs étrangers temporaires » est une entente diplomatique entre le Canada et des pays partenaires qui permet aux entreprises d’importer en toute légalité de la main-d’œuvre à moindre coût. Les Philippines fournissent ainsi les aides ménagères et les nourrices pour les grandes métropoles, alors que le Mexique et le Guatemala offrent des bras pour travailler dans les champs ou dans les usines de transformation alimentaire. Mi-septembre 2023, alors que le film sortait au Canada, un rapport spécial de l’ONU épinglait ce programme des travailleurs étrangers temporaires, le qualifiant de « terreau fertile pour l’esclavage moderne ».
C’est dans l’une de ces usines qu’Ariane est embauchée, en même temps qu’un groupe de jeunes hommes venus grossir les rangs d’une nouvelle équipe d’ouvriers non qualifiés. Ariane engagée comme traductrice et intermédiaire, le maillon indispensable entre le directeur et les travailleurs, celle qui devra faire connaître les règles et transmettre les consignes. Écartelée entre sa fonction et la morale, Ariane prend conscience qu’en se taisant et qu’en ne prenant pas parti elle est complice.
Le silence est la règle tacite. Ne pas faire de vague, demeurer corvéable et toujours docile parce que, selon la formule consacrée et universelle : « si tu n’es pas content, un autre prendra le job » … Heures supplémentaires, travail le dimanche, l’embauche dès l’aube, des règles de vie imposées, même pendant les temps de repos, tout cela au nom de la promesse d’un quotidien meilleur offert aux familles restées au pays.
Ariane fait comme tous les ouvriers. Elle fait le job, elle traduit, du mieux qu’elle peut, toujours attentive et respectueuse dans le choix de ses mots, prenant soin de glisser au passage un peu d’humanité, un peu d’humour – noir souvent – pour que la pilule passe mieux. Mais les cadences deviennent folles et les consignes de plus en plus rigides…
L’implacable économie de marché impose ses exigences et ne connaît ni les sourires, ni les prénoms, ni les douleurs de ces hommes. Ariane comprend vite que le patron autoritaire et faussement sympathique est comme elle : un simple pion dans cette énorme machine à broyer, un engrenage de ce système vicieux qui détruit le corps de ces jeunes hommes, qui les humilie, les manipule, abuse d’eux. Elle comprend aussi qu’elle partage avec ces hommes un peu de cette culture qu’elle n’a jamais pris le temps d’honorer, ni de chercher à mieux connaître… Elle comprend que sa citoyenneté canadienne est une force : celle de pouvoir être une voix de résistance, une voix dissidente.
L’actrice qui incarne Ariane Castellanos est remarquable et ses yeux sont le prisme par lequel, le spectateur découvre l’horreur de cette exploitation de l’homme par l’homme. Elle fait le choix de dénoncer la réalité sociale d’une main d’œuvre guatémaltèque et mexicaine exploitée sans vergogne et sans scrupule, car seule la loi du profit compte et elle décide de s’impliquer en défendant la légitimité du respect fondamental de la dignité humaine.
Avec la minutie d’un documentariste, la rigueur d’un enquêteur et ce supplément d’âme et de cœur qu’offre la fiction, Pier-Philippe Chevigny livre un premier long-métrage puissant et engagé qui saisit la radicale absurdité d’un système qui broie autant ceux qui le servent que les bonnes intentions qui l’ont vu naître.
Mireille Mercier et Daniel Pinós
Dissidente :
Écrit et réalisé par Pier-Philippe Chevigny – Québec 2023 – 1h 29 mn
Sortie en salles le 5 juin 2024
PAR : Mireille Mercier et Daniel Pinós
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