Cécité
On connaît comment raisonnent certains : les ennemis de mes ennemis sont mes amis ! C’est fort de ce principe que les puissances capitalistes, soviétiques (ou ex soviétiques) ou les pays dits émergents et du Tiers-Monde ont fonctionné et continuent de le faire. Pourtant, les leçons de l’histoire qui pouvaient être tirées auraient dû les refroidir un peu !
Au nom de la lutte contre l’extension du communisme autoritaire, les USA ont soutenu les moudjahidin afghans (à la fin, les talibans ont tiré les marrons du feu) et ont mis le pied à l’étrier à un certain Ben Laden, on a vu le résultat ! Ils ont fait la même chose en Iran, quand comprenant que le régime du Shah était foutu, ledit Shah étant en plus déjà malade et ils le savaient, ils ont alors joué la carte Khomeini, préférant une théocratie à la montée d’une démocratie qui pouvait basculer du côté de l’URSS, compte tenu de la puissance des forces syndicales et du Tudeh (le Parti communiste iranien). Remarquons au passage que le même aveuglement touchait ce dernier, puisque sa ligne politique était de s’allier avec les mollahs (le peuple n’est pas encore assez mûr pour le socialisme...) qui l’ont remercié en exécutant ses militant(e)s !
Bref, on continue de marier la carpe et le lapin, du moment qu’iels sont contre l’Oncle Sam ou l’Ours russe ou...

Naïveté (bêtise ?)
C’est hélas ce même raisonnement qui prévaut toujours à l’extrême gauche, tiers-mondiste ou pas. L’impérialisme américain (ennemi suprême) fait des misères à Cuba, alors soutenons son régime en faisant l’impasse sur la dictature du parti unique, la répression, la corruption, la prévarication, la confiscation des richesses par une bureaucratie dont l’avidité le dispute à l’incompétence, on en passe et des pires ! Et rebelote avec le Nicaragua où il y a longtemps que le sandinisme n’est plus qu’une dictature contre-révolutionnaire et bigote au service d’un clan familial (Ortega) et le Venezuela où le bolivarisme sert de cache-sexe à une nouvelle bourgeoisie de profiteurs, qui l’ont mis en coupe réglée et l’ont ruiné…
Et ne parlons pas du manque total de solidarité avec la lutte actuelle du peuple iranien contre le régime des mollahs, car c’est bien connu que l’Iran est un modèle pour les peuples qui veulent combattre l’hégémonie du grand Satan américain, alors pas question de l’affaiblir! On pourrait continuer ad nauseam avec le peu de soutien aux démocrates syriens, la gêne à parler de l’agression de l’Ukraine par la Russie poutinienne, car c’est bien sûr c’est la faute à l’OTAN. Amusons-nous à imaginer ce qu’il y aurait eu en terme de mobilisations militantes si les États-Unis, avec un prétexte oiseux (cf la dénazification ou le génocide contre les Russes de Poutine) genre la lutte contre les cartels de la drogue ou au nom d’une continuité historico-géographique, avaient attaqué le Mexique en envahissant le sud de la Californie ?
Là encore, les leçons ont-elles été tirées ? On peut se le demander quand on voit comment cette gauche dite extrême réagit face à Israël, au problème palestinien et à l’islamisme. Et ce n’est pas nouveau : souvenons-nous, quand l’ayatollah Khomeini était encore en exil à Neauphle-Le-Château et que ça chauffait en Iran pour les Pahlavi, qui étaient venus lui rendre visite ? Alain Krivine (alors leader de la Ligue communiste révolutionnaire, ancêtre du NPA) et Michel Foucault - et ils n’étaient pas les seuls ! Et ils en étaient ressortis pleinement rassurés ! Pas encore au pouvoir, les ayatollahs tenaient alors un discours lénifiant du genre : pas de contraintes dans l’islam. Fallait vraiment vouloir y croire, on est confondu devant tant de candeur et de naïveté (on a même le droit de dire bêtise, pour rester poli) ! C’est bien connu que l’expansion de l’Islam s’est faite par des légions de prédicateurs pacifistes (il paraît que l’islam est une religion de paix) tenant dans une main le Coran et dans l’autre des dattes, du lait et du miel !
Bref, qu’importe que le Hamas soit un mouvement islamiste, que l’islamisme fasse des ravages dans le monde et, en ce qui concerne l’Europe et la France, influence plus ou moins une fraction importante de la population, il est contre Israël, soutenu par les USA, donc un ami ! Comme si on ne pouvait pas combattre les deux, un sionisme colonisateur, de plus en plus raciste et pratiquant un apartheid qui ne veut pas dire son nom, et un mouvement religieux totalitaire qui ne veut pas libérer la Palestine, ça c’est un prétexte, mais qui veut instaurer partout l’Oumma (la communauté des musulmans, c’est leur internationalisme !), le califat et la charia !

Cynisme
La Real politic, c’est quand même fortiche ! Ainsi, si on en revient à la création de l’État israélien en 1948, on s’aperçoit que les bonnes fées qui se sont penchées sur son berceau étaient pour le moins disparates : l’URSS de Staline (dont l’antisémitisme maladif éclatera au grand jour avec le « complot des blouses blanches » - les accusés étaient des médecins juifs) qui, pour emmerder les Anglais ayant à cette époque le mandat sur la Palestine, fournissait des armes - et éventuellement si il pouvait détourner le socialisme des kibboutz vers un PC plus orthodoxe, on ne sait jamais - les Américains qui avaient mauvaise conscience de leur attitude d’avant-guerre quand au nom du non-interventionnisme et surtout de l’isolationnisme, ils n’ont pas accueilli beaucoup de réfugiés juifs allemands, et d’autres pays européens pas très fiers non plus de leur attitude quant aux déportations et la Shoah. Sans compter d’autres États européens qui espéraient régler « la question juive » par un départ massif des Juifs vers Israël !
Peu leur importait alors que la création de cet État se fasse au détriment des populations arabes locales ! Ça ne démangeait pas beaucoup non plus les dirigeants sionistes même de gauche, pas étonnant vu que les Juifs arabes (Séfarades) étaient moins bien considérés que les Juifs européens (Ashkénazes)…
Et si on essaie de construire tant bien que mal un semblant de paix, cf les accords Arafat-Rabin d’Oslo, alors le messianisme juif pour le Grand Israël, le suprémacisme de l’extrême droite raciste anti-arabe et autres, de Ariel Sharon à Benyamin Netanyahou, tous vont savonner la planche pour qu’au contraire le conflit s’enlise et se poursuive : l’encre des accords n’était pas sèche que déjà la colonisation repartait de plus belle. Difficile pour le peuple palestinien d’adhérer à un processus quand l’autre partie ne joue pas le jeu et que l’horizon persiste à rester plus que sombre...
Pour être bien sûr que ça s’enlise, profiter de la faiblesse de l’adversaire : l’OLP d’Arafat, qui comme tout mouvement de libération nationale arrivé au pouvoir, est corrompue et en profite pour enrichir ses dirigeants, est de plus en plus discréditée au sein de sa population, alors favorisons ses concurrents, même si ce sont des antisémites et ce n’est pas nouveau : l’État israélien a coopéré jusqu’au bout avec l’Afrique du Sud au temps de l’apartheid, alors qu’il savait que les Afrikaners étaient, racisme oblige, plus que souvent antisémites. Alors, pour déstabiliser l’Autorité palestinienne, Israël a aidé discrètement le Hamas, et s’en est suivie cette « scission » entre la Cisjordanie (de plus en plus rongée par la colonisation) et la Bande de Gaza, cette enclave, prison à ciel ouvert où croupissent plus 2 millions de Palestinien(ne)s et qui se retrouve tenue d’une main de fer par le Hamas, repoussoir essentiel si on veut maintenir (ou plutôt aggraver) le statu-quo.

Soutien mais pas à n’importe qui !
Ce qui s’est passé le 7 octobre est révélateur de la vraie nature du Hamas : un mouvement créé par les Frères musulmans (merci notre ami le Qatar pour son soutien) et qui s’est « daechisé » dans ses méthodes (il n’a pas non plus fallu beaucoup le pousser) car déjà son idéologie était la même : antisémitisme (rayer Israël de la carte, traduction pour ses affidés, éliminer tous les Juifs de la Terre) et instauration d’un Islam rigoriste avec la charia et autres joyeusetés du califat. Quelle différence maintenant avec l’État islamique quand on s’attaque à une rave comme au Bataclan (petite parenthèse, les terroristes y ont assassiné des jeunes activistes pacifistes), quand on tire sur tout ce qui bouge parce que juif, qu’on massacre des enfants pour la même raison, qu’on viole, qu’on prend des otages… et qu’on filme et qu’on inonde les réseaux sociaux de ces abjections, reprenant ce style de propagande de l’EI. Au moins le Hamas ne pourra pas les nier et on n’aura pas droit aux négationnistes qui vont crier au complot du Mossad.
Et question otage, et ce n’est pas ici un terme galvaudé, parce que de fait la Bande de Gaza est celle du Hamas, qui peut croire que ce dernier ne se doutait pas, ne savait pas que, malgré ses 240 otages de toute nationalité, ça n’arrêterait pas l’État israélien et qu’il allait réagir de façon plus que brutale (ce n’est rien de le dire) en faisant payer le prix du sang au centuple ?! Et c’est bien ce qui est arrivé, les milliers de morts palestiniennes peuvent en témoigner… D’autant plus que le Hamas utilise cyniquement la population gazaouie comme bouclier humain, qu’il a installé ses bases parmi les habitations et les zones les plus peuplées, que son réseau de tunnels débouche parfois vers des lieux comme les écoles ou les hôpitaux… Et qu’il savait pertinemment que l’armée israélienne n’allait pas se gêner pour tirer dans le tas !
Calcul cynique : faire des martyrs, des enragé(e)s voulant se venger et gagner la sympathie du monde… Tout en sachant qu’Israël se vit comme une forteresse assiégée et que 2 000 ans de persécutions contre le peuple juif ont bien ancré ce sentiment que le Monde entier est contre lui avec pour conséquence qu’il ne tient pas compte des réprobations. En plus, pour une grande fraction des Israélien(ne)s c’est toujours autant de Palestinien(ne)s en moins, et de toute façon, les enfants allaient devenir des terroristes, on exagère à peine.

Oui, il faut combattre les crimes de guerre d’Israël, appeler au cessez-le-feu, à la fin du blocus israélien – qui ne peut fonctionner que parce que de son côté l’Égypte fait de même et chose curieuse on n’entend pas beaucoup de critiques - mais il ne faut pas faire l’impasse sur le terrorisme islamiste du Hamas.
Pas de complaisance avec ce dernier, l’islam, comme toutes les religions, est l’ennemi de l’émancipation individuelle et collective. Oui, dans les pays européens, c’est la religion principale de nombreux immigré(e)s, pauvres et exploité(e)s mais, d’une part, les classes populaires « de souche » subissent elles aussi le talon de fer du capitalisme, et d’autre part, c’est aussi la religion des émirs et autres tyrans, exploiteurs etc. qui sont des oppresseurs, pas des opprimés ! Dans le Coran comme dans la Bible des évangéliques, c’est Dieu qui distribue les richesses, si t’es riche c’est que tu l’as mérité et on est prié d’applaudir, pas de se révolter et de pratiquer la lutte de classe ! Quant à la justice sociale, elle est dans la charité et dans l’aumône.
Ce n’est donc pas parce qu’il y a un racisme anti-arabe, une xénophobie anti-immigrée qui se cachent derrière cette « islamophobie » - il faut laisser ce mot aux Frères musulmans, coucou Tariq Ramadan, qui l’ont forgé pour faire taire toute critique contre l’islam – qu’il faut être indulgent avec l’islamisme. Finalement, en laissant l’immigration ou celles et ceux qui en sont issu(e)s aux griffes des barbus, on donnerait raison aux racistes qui l’essentialisent. Une discussion comme j’ai eue avec un jeune Marocain athée peut faire comprendre le poids que font peser les traditions sur les personnes, l’obligation de ne pas révéler son athéisme pour ne pas être ostracisé par sa famille, ses proches, son entourage et son quartier…
Curieusement, les pourfendeurs de « l’islamophobie » sont bien silencieux quand il est question de la persécution des Ouïghours (musulmans) par la Chine de Xi Jinpin... Et ça ne les gêne pas plus que ça que les parangons de l’islam sunnite (l’Arabie Saoudite et les Émirats) ou de l’islam chiite (l’Iran) se rapprochent de la Chine…
Pour faire bonne mesure, rappelons aussi qu’on ne les entend pas beaucoup non plus sur les Rohingyas, cette ethnie musulmane persécutée par le pouvoir birman - serait-ce parce la junte birmane fait ami-ami avec la Chine ? - aidé en cela par les moines bouddhistes, pas les derniers à appeler au meurtre ! Eh oui, le bouddhisme, qu’on nous survend comme une philosophie amenant paix et sérénité ! Décidément, la chemise de nuit orange ne facilite pas tant que ça la douceur des mœurs…
Il faut aussi en finir avec cette réaction imbécile : puisque les médias bourgeois ou étatiques pratiquent (effectivement) le deux poids, deux mesures, et donnent cette impression que les morts palestiniennes valent moins que les morts israéliennes, prenons le total contre-pied et faisons l’impasse sur les victimes juives et trouvons pour leurs bourreaux un tas d’excuses. Ben non, l’assassinat par exemple d’enfants, c’est injustifiable quel que soit qui le pratique et quelles qu’en soient les raisons : la fin ne peut justifier les moyens !
Soutenir le peuple palestinien, ce n’est pas seulement dénoncer l’occupation israélienne, la colonisation et toutes les conséquences dramatiques qui en résultent, c’est aussi remettre en cause ses faux amis (euphémisme) que sont l’Autorité palestinienne, trop préoccupée à se maintenir au pouvoir (et enrichir ses cadres) dans son maigre pré-carré et surtout le Hamas et ses alliés du Djihad islamique et du FPLP - dire que ce dernier se prétendait marxiste-léniniste – qui l’amènent vers le pire (cf l’après 7 octobre).
Soutenir le peuple palestinien, c’est dénoncer tous les crimes de guerre et leurs auteurs sans complaisance, et non : « bon, ce qu’a fait le Hamas ce n’est pas bien mais il faut comprendre la situation etc. Maintenant il y a plus de morts côté palestinien » – ce qui est vrai, l’état-major israélien devra rendre des comptes, comme si l’ignominie des uns était effacée par l’abomination des autres.
Soutenir le peuple palestinien, c’est se battre pour la paix, pour en finir avec les États fauteurs de guerre, c’est œuvrer pour le fédéralisme libertaire, c’est soutenir et aider toutes celles et tous ceux qui, en Israël, dans la Cisjordanie ou dans la Bande de Gaza, et ailleurs au Proche-Orient et dans le Monde, se battent pour qu’on se débarrasse des exploiteurs et autres profiteurs de guerre, qui cassent les murs créés par les frontières, les nations, le nationalisme, les religions...
Certes, on n’est pas des plus audible et c’est plus facile à dire qu’à faire, on mesure bien toutes les difficultés et tous les obstacles qui se dressent sur ce chemin ! Et cela peut paraître dérisoire tant on se sent impuissant à pouvoir faire bouger le cours des choses, mais c’est la seule voie comme le rappelait avec justesse notre communiqué fédéral.

Eric
Groupe de Rouen