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par Fédération anarchiste Italienne • le 3 septembre 2023
SAINT-IMIER, RIA
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Rencontres internationales de l’anarchisme - Des vacances intelligentes
par la FAI - Publié dans Umanità Nova n.24 du 3 septembre 2023 - Traduction par les Relations internationales de la FA
L’une des rencontres anarchistes internationales les plus importantes de ces dernières années, les Rencontres Internationales Antiautoritaires (RIA) « Anarchy 2023 », s’est tenue cet été à Saint-Imier, en Suisse, du 19 au 23 juillet. Des milliers de personnes de différents continents y ont participé, même si pour une large part elles venaient d’Europe francophone et germanophone. En tant que Fédération Anarchiste Italienne, nous avons participé au processus d’organisation depuis 2020, et nous y avons participé avec une grande délégation en contribuant activement en proposant des débats, en montant une exposition et en tenant un stand de l’hebdomadaire Umanità Nova et des éditions Zero in Condotta au salon du livre.
Saint-Imier 1872- La fondation de l’Internationale antiautoritaire
Cette rencontre célébrait les 150 ans plus 1 (car l’événement avait été reporté en raison de la pandémie) du Congrès qui s’était tenu dans cette petite ville du Jura bernois les 15 et 16 septembre 1872, et qui est entré dans l’histoire comme l’acte de naissance. du mouvement anarchiste organisé. C’est à cette date que pour la première fois le courant anti-autoritaire du mouvement ouvrier et révolutionnaire a défini collectivement ses propres principes. Une fracture profonde avait mûri au sein de l’Association internationale des travailleurs (AIT), plus connue sous le nom de Première Internationale sur la question de la prise du pouvoir politique. Au Congrès de La Haye du 2 au 7 septembre 1872, Marx profita de l’interdiction de la section française - la plus nombreuse - suite à la Commune de Paris, pour transformer les sections nationales de l’internationale en partis destinés à participer aux élections. Le Congrès de Saint-Imier fut une conséquence de cette fracture, et en déclarant que « la destruction de tout pouvoir politique est le premier devoir du prolétariat » fait la synthèse de la position des sections antiautoritaires jurassique, italienne, espagnole, française et états-unienne de l’AIT qui lancèrent alors une expérience organisationnelle en continuité avec le chemin internationaliste qui venait de se diviser.
Saint-Imier 2023 - L’actualité des pratiques et des idées anarchistes
Cependant, il ne s’est pas agi d’une rencontre de célébration, en fait il n’y a eu qu’une seule conférence de réflexion historique sur le Congrès de 1872. Dès le début, en effet, l’accent a été mis sur l’actualité des pratiques et des idées anarchistes. C’était un choix clair du comité organisateur, formé en 2020 sous l’impulsion des membres du mouvement anarchiste et libertaire local, avec la participation de la Fédération Anarchiste francophone et de la Fédération Anarchiste Italienne.
Organisation des RIA et réalité du mouvement anarchiste
Plus de 400 débats, présentations, conférences et ateliers, des dizaines de projections de films, des concerts, des spectacles de théâtre, des performances, des expositions et un salon du livre accueillant plus de 100 exposants ont été organisés. Les activités, sans compter les rues et sur les places, se sont déroulées dans 12 espaces différents répartis dans la ville qui compte un peu plus de 5 000 habitants. Plusieurs collectifs de cuisines mobiles ont installé deux grandes cuisines et préparé le petit-déjeuner, le déjeuner et le dîner pour les participants. Plus de 5 000 repas ont été distribués rien que le samedi soir.
Une rencontre similaire s’était déjà tenue à Saint-Imier en 2012, avec environ 4000 participants. A cette occasion, les présences non européennes étaient certainement plus cohérentes et représentatives, notamment en provenance d’Amérique latine. Le rôle des organisations, fédérations, syndicats, réseaux internationaux et groupes anarchistes avait également été plus important, alors que cette fois de grandes parties du mouvement anarchiste organisé n’étaient pas formellement présentes, laissant plus de place à la spontanéité et à la participation individuelle. Cela a probablement rendu la rencontre de 2023 moins représentative de la réalité plurielle du mouvement anarchiste organisé mondialement.
En 2012, il y avait aussi clairement un contexte différent marqué par des mouvements des rives de la Méditerranée comme outre-Atlantique auxquels participait, quoique selon des modalités variées, le mouvement anarchiste.
Il s’agit malgré tout aussi en partie d’un choix précis du comité d’organisation, qui a tout de suite préféré ouvrir la réunion à la participation spontanée autant que possible. En fait, n’importe qui pouvait proposer des débats et des activités via une plateforme en ligne, et aucune présentation n’a été programmée directement par le comité organisateur qui servait uniquement de filtre et d’infrastructure. Les limites de cette formule ne manquent pas. Dans les semaines qui ont précédé les RIA, de vives critiques ont été formulées concernant la présence d’orateurs plus proches des positions « libertariennes » ou « complotistes ». Le programme a donc été revu, et certaines initiatives clairement éloignées du mouvement anarchiste annulées. Mais le problème n’est certainement pas technique, mais politique. Le manque de participation des organisations capables d’apporter des contributions collectives au débat du mouvement s’est fait sentir, même pour ce qui concerne la fragilité de la base politique de l’événement lui-même.
Quoi qu’il en soit, quiconque a lu le programme d’« Anarchie 2023 » peut identifier les enjeux autour desquels se développe aujourd’hui l’activité du mouvement anarchiste, thèmes centraux dans la réalité actuelle : la guerre, la résurgence de régimes autoritaires et de dictatures militaires, retour sous diverses formes de fascisme, climat, activité syndicale, exploitation capitaliste, luttes féministes et queer, luttes racistes et fermetures des frontières; autant d’éléments abordés dans des débats, ateliers et conférences sous différents points de vue. Les initiatives les plus intéressantes ont probablement été les présentations des réalités plus éloignées du contexte européen dans lequel s’est déroulée la rencontre. C’est le cas des activités proposées par les groupes du Brésil, du Chili, du Pérou, des Philippines, d’Iran, de Turquie, qui ont apporté une contribution importante de nouvelles expériences et perspectives, nous permettant d’élargir notre regard et d’essayer de sortir d’une vision eurocentrée.
Antimilitarisme et antifascisme
En tant que Fédération Anarchiste Italienne, nous avons apporté une contribution spécifique aux thèmes de l’antimilitarisme et du fascisme. Des groupes individuels et des individus fédérés ont également diffusé et participé à diverses présentations et conférences. En outre, la FAI, conjointement avec la FAO de Slovénie et de Croatie et l’APO de Grèce, fédérations de l’IFA actives le long des frontières européennes les plus sanglantes, ont déployé une banderole contre la forteresse Europe. L’atelier antimilitariste a été réparti sur trois jours et trois lieux différents. Le jeudi 20, la première réunion a eu lieu dans la salle principale, presque pleine ; à cette occasion nos positions ont été présentées principalement sur le concept de l’antimilitarisme anarchiste et ses pratiques, sur la guerre en Europe de l’Est, et avec des exemples de luttes dans lesquelles nous sommes engagés, depuis le Mouvement Non aux Bases de Pise jusqu’aux grèves générales contre la guerre, organisées par le syndicats. Au cours des deux jours suivants, les réunions ont eu lieu dans des lieux moins officiels, ce qui a permis une plus grande interaction et comparaison avec des compagnes et compagnons de différents pays sur les pratiques de lutte. Les moments d’échanges contradictoires n’ont pas manqué, avec des interventions critiques qui ont ouvert le débat sur les différentes positions présentées sur la situation en Ukraine. Cependant, ce cycle d’initiatives a eu un résultat concret. De la rencontre avec des individus et des groupes antimilitaristes de différentes parties du monde est née l’idée d’une initiative commune qui aurait lieu au mois de novembre. Sur le fascisme, nous avons essayé d’apporter une contribution spécifique pour alimenter le débat au niveau international, en essayant de définir les caractéristiques du régime fasciste historique en Italie et les caractéristiques du gouvernement fasciste qui siège aujourd’hui à Rome. On a souligné que le gouvernement actuel, en matière de guerre, d’exploitation de la classe ouvrière, d’autoritarisme, de racisme, ne fait que suivre le chemin déjà tracé par les gouvernements précédents, il se distingue par contre par l’attaque contre les femmes et les subjectivités non binaires, dans une tentative de consolider le régime patriarcal. En rappelant l’engagement du mouvement anarchiste dans la lutte contre le fascisme au cours du siècle dernier, l’importance de maintenir une perspective de transformation sociale radicale, car seule la révolution sociale peut arrêter le fascisme. La spécificité de la situation italienne a suscité un grand intérêt et à la fin de la présentation, malgré les difficultés de traduction, un débat intéressant et animé s’est ouvert dans une salle comble, avec des questions et des échanges sur les expériences respectives de lutte dans les différents pays.
Quelques critiques sur certaines pratiques et messages incompatibles avec l’anarchisme
Cependant, à côté de tous ces points positifs, nous avons parfois assisté à la mise en œuvre de pratiques non conformes à notre éthique et à la diffusion de messages qui nous semblent incompatibles avec les valeurs et principes que le mouvement anarchiste porte depuis 150 ans. Si nous exposons ces critiques, ce n’est pas pour polémiquer avec tel ou tel groupe, mais parce que nous pensons que nous ne pouvons pas passer sous silence les problèmes auxquels le mouvement anarchiste international doit faire face s’il veut grandir face aux défis qui nous attendent.
Nous faisons référence à l’attitude de certains individus et groupes qui ont tenté d’utiliser la réunion pour imposer, y compris violemment, leur propre ligne politique, désignant certaines organisations historiques du mouvement anarchiste carrément comme « l’ennemi ». Le premier cas est celui de groupes soutenant les soi-disant « combattants anti-autoritaires » encadrés dans l’armée de l’État ukrainien. Tout en considérant cette option comme contraire à nos principes et à notre pratique antimilitariste, nous ne nous sommes jamais opposé.e.s à leur présence, dans l’esprit d’ouverture et de pluralisme qui a caractérisé cette édition des RIA. Ce qui est grave ce n’est pas que ces groupes aient essayé d’obtenir une visibilité maximale, mais qu’ils l’aient fait de façon incompatible avec ce que nous considérons une méthode libertaire.
Ces groupes ont organisé des ateliers et une conférence dans le hall principal. Lors de ces réunions, quiconque tentait d’exprimer des critiques ou simplement des opinions différentes se voyait systématiquement refuser la parole. Dans les rares cas où la parole était accordée à qui exprimait une vision différente de celle des organisateurs, on interrompait depuis la "table", donc depuis une position de pouvoir, les interventions les plus indésirables sous prétexte qu’elles étaient "hors sujet". Ceux et celles qui ont tenté d’élever la voix pour protester contre ces méthodes ont été insulté.e.s, délégitimé.e.s et même menacé.e.s physiquement. Les camarades qui tentaient de prendre la parole lors du débat du samedi après-midi étaient entouré.e.s d’individus faisant partie d’une sorte de "service d’ordre", qui n’avaient aucun problème à arracher les affiches des mains des camarades *pacifistes* qui les avaient exposées. Cela nous paraît grave non seulement parce que censurer violemment le débat est une pratique autoritaire, mais aussi parce que c’est la privatisation d’un espace collectivement conquis par ceux qui ont organisé les RIA ces dernières années. Il est également grave que les membres de ces groupes aient répété publiquement des mensonges contre les organisations anarchistes qui se sont prononcées contre la guerre, nous accusant même d’être « dominés par la propagande de Poutine ». Face à ces calomnies et mensonges, nous ne pouvons que nous référer au document Pour un nouveau manifeste anarchiste contre la guerre qui exprime clairement la position de la FAI, largement diffusé par nos soins à des centaines d’exemplaires à Saint-Imier, et souligner que la censure ainsi comme le dénigrement et la délégitimation systématiques des opposants sont des pratiques autoritaires qui ne doivent pas avoir leur place dans le mouvement anarchiste.
Enfin, des individus non identifiés ont attaqué physiquement à plusieurs reprises la table de la FA francophone, sous prétexte qu’y étaient exposés deux livres que certains considéraient comme « islamophobes », déchirant et brûlant les livres en question, en agressant à des camarades, tentant d’organiser une contestation plus large contre la FA en tant que telle, sous l’accusation fallacieuse de « racisme ». Les débats qui ont lieu en France sur ces problèmes complexes ne peuvent pas être abordés de manière exhaustive en quelques lignes mais nous tenons à souligner qu’aucune critique politique ne peut être exprimée sous des modalités qui rappellent les méthodes des pires régimes autoritaires que nous combattons. En signalant que la déclaration de solidarité avec la FA a été signée par de nombreuses Fédérations IFA, il faut souligner que les attaques ont eu lieu systématiquement contre les organisations historiques du mouvement anarchiste. Par ailleurs, lors de certaines de ces situations tendues, il y a malheureusement eu un manque d’activité de médiation de la part des groupes de travail responsables de cette fonction.
Des rencontres importantes, un bilan positif pour l’anarchisme
Nous considérons que la rencontre de Saint-Imier, ainsi que le Salon du livre anarchiste balkanique qui s’est tenu à Ljubljana début juillet, ont été d’une importance cruciale pour notre mouvement, une occasion exceptionnelle d’échange, de relance et de clarification pour poursuivre, dans une période complexe telle que celle que nous traversons, notre lutte internationaliste, antimilitariste et révolutionnaire. Il est également important de souligner les limites de ces événements et surtout de rejeter les pratiques dogmatiques et sectaires. Même si ces événements n’ont vu la participation qu’une partie du mouvement, force est de constater que l’actualité des problématiques abordées, la vivacité du débat, la pluralité des positions sont le signe d’un dynamisme difficile à retrouver dans d’autres courants révolutionnaires. Malgré un contexte mondial très difficile, le mouvement anarchiste a toujours une influence significative et peut jouer un rôle décisif ; c’est à nous de montrer la contribution cruciale qu’il peut apporter en tant que pratique révolutionnaire à la cause des classes opprimées et exploitées dans le monde entier.
Commissione di Relazioni Internazionali della FAI
Les intertitres sont ceux du secrétariat aux Relations internationales de la FA et de la rédaction du Monde libertaire en ligne
par la FAI - Publié dans Umanità Nova n.24 du 3 septembre 2023 - Traduction par les Relations internationales de la FA
L’une des rencontres anarchistes internationales les plus importantes de ces dernières années, les Rencontres Internationales Antiautoritaires (RIA) « Anarchy 2023 », s’est tenue cet été à Saint-Imier, en Suisse, du 19 au 23 juillet. Des milliers de personnes de différents continents y ont participé, même si pour une large part elles venaient d’Europe francophone et germanophone. En tant que Fédération Anarchiste Italienne, nous avons participé au processus d’organisation depuis 2020, et nous y avons participé avec une grande délégation en contribuant activement en proposant des débats, en montant une exposition et en tenant un stand de l’hebdomadaire Umanità Nova et des éditions Zero in Condotta au salon du livre.
Saint-Imier 1872- La fondation de l’Internationale antiautoritaire
Cette rencontre célébrait les 150 ans plus 1 (car l’événement avait été reporté en raison de la pandémie) du Congrès qui s’était tenu dans cette petite ville du Jura bernois les 15 et 16 septembre 1872, et qui est entré dans l’histoire comme l’acte de naissance. du mouvement anarchiste organisé. C’est à cette date que pour la première fois le courant anti-autoritaire du mouvement ouvrier et révolutionnaire a défini collectivement ses propres principes. Une fracture profonde avait mûri au sein de l’Association internationale des travailleurs (AIT), plus connue sous le nom de Première Internationale sur la question de la prise du pouvoir politique. Au Congrès de La Haye du 2 au 7 septembre 1872, Marx profita de l’interdiction de la section française - la plus nombreuse - suite à la Commune de Paris, pour transformer les sections nationales de l’internationale en partis destinés à participer aux élections. Le Congrès de Saint-Imier fut une conséquence de cette fracture, et en déclarant que « la destruction de tout pouvoir politique est le premier devoir du prolétariat » fait la synthèse de la position des sections antiautoritaires jurassique, italienne, espagnole, française et états-unienne de l’AIT qui lancèrent alors une expérience organisationnelle en continuité avec le chemin internationaliste qui venait de se diviser.
Saint-Imier 2023 - L’actualité des pratiques et des idées anarchistes
Cependant, il ne s’est pas agi d’une rencontre de célébration, en fait il n’y a eu qu’une seule conférence de réflexion historique sur le Congrès de 1872. Dès le début, en effet, l’accent a été mis sur l’actualité des pratiques et des idées anarchistes. C’était un choix clair du comité organisateur, formé en 2020 sous l’impulsion des membres du mouvement anarchiste et libertaire local, avec la participation de la Fédération Anarchiste francophone et de la Fédération Anarchiste Italienne.
Organisation des RIA et réalité du mouvement anarchiste
Plus de 400 débats, présentations, conférences et ateliers, des dizaines de projections de films, des concerts, des spectacles de théâtre, des performances, des expositions et un salon du livre accueillant plus de 100 exposants ont été organisés. Les activités, sans compter les rues et sur les places, se sont déroulées dans 12 espaces différents répartis dans la ville qui compte un peu plus de 5 000 habitants. Plusieurs collectifs de cuisines mobiles ont installé deux grandes cuisines et préparé le petit-déjeuner, le déjeuner et le dîner pour les participants. Plus de 5 000 repas ont été distribués rien que le samedi soir.
Une rencontre similaire s’était déjà tenue à Saint-Imier en 2012, avec environ 4000 participants. A cette occasion, les présences non européennes étaient certainement plus cohérentes et représentatives, notamment en provenance d’Amérique latine. Le rôle des organisations, fédérations, syndicats, réseaux internationaux et groupes anarchistes avait également été plus important, alors que cette fois de grandes parties du mouvement anarchiste organisé n’étaient pas formellement présentes, laissant plus de place à la spontanéité et à la participation individuelle. Cela a probablement rendu la rencontre de 2023 moins représentative de la réalité plurielle du mouvement anarchiste organisé mondialement.
En 2012, il y avait aussi clairement un contexte différent marqué par des mouvements des rives de la Méditerranée comme outre-Atlantique auxquels participait, quoique selon des modalités variées, le mouvement anarchiste.
Il s’agit malgré tout aussi en partie d’un choix précis du comité d’organisation, qui a tout de suite préféré ouvrir la réunion à la participation spontanée autant que possible. En fait, n’importe qui pouvait proposer des débats et des activités via une plateforme en ligne, et aucune présentation n’a été programmée directement par le comité organisateur qui servait uniquement de filtre et d’infrastructure. Les limites de cette formule ne manquent pas. Dans les semaines qui ont précédé les RIA, de vives critiques ont été formulées concernant la présence d’orateurs plus proches des positions « libertariennes » ou « complotistes ». Le programme a donc été revu, et certaines initiatives clairement éloignées du mouvement anarchiste annulées. Mais le problème n’est certainement pas technique, mais politique. Le manque de participation des organisations capables d’apporter des contributions collectives au débat du mouvement s’est fait sentir, même pour ce qui concerne la fragilité de la base politique de l’événement lui-même.
Quoi qu’il en soit, quiconque a lu le programme d’« Anarchie 2023 » peut identifier les enjeux autour desquels se développe aujourd’hui l’activité du mouvement anarchiste, thèmes centraux dans la réalité actuelle : la guerre, la résurgence de régimes autoritaires et de dictatures militaires, retour sous diverses formes de fascisme, climat, activité syndicale, exploitation capitaliste, luttes féministes et queer, luttes racistes et fermetures des frontières; autant d’éléments abordés dans des débats, ateliers et conférences sous différents points de vue. Les initiatives les plus intéressantes ont probablement été les présentations des réalités plus éloignées du contexte européen dans lequel s’est déroulée la rencontre. C’est le cas des activités proposées par les groupes du Brésil, du Chili, du Pérou, des Philippines, d’Iran, de Turquie, qui ont apporté une contribution importante de nouvelles expériences et perspectives, nous permettant d’élargir notre regard et d’essayer de sortir d’une vision eurocentrée.
Antimilitarisme et antifascisme
En tant que Fédération Anarchiste Italienne, nous avons apporté une contribution spécifique aux thèmes de l’antimilitarisme et du fascisme. Des groupes individuels et des individus fédérés ont également diffusé et participé à diverses présentations et conférences. En outre, la FAI, conjointement avec la FAO de Slovénie et de Croatie et l’APO de Grèce, fédérations de l’IFA actives le long des frontières européennes les plus sanglantes, ont déployé une banderole contre la forteresse Europe. L’atelier antimilitariste a été réparti sur trois jours et trois lieux différents. Le jeudi 20, la première réunion a eu lieu dans la salle principale, presque pleine ; à cette occasion nos positions ont été présentées principalement sur le concept de l’antimilitarisme anarchiste et ses pratiques, sur la guerre en Europe de l’Est, et avec des exemples de luttes dans lesquelles nous sommes engagés, depuis le Mouvement Non aux Bases de Pise jusqu’aux grèves générales contre la guerre, organisées par le syndicats. Au cours des deux jours suivants, les réunions ont eu lieu dans des lieux moins officiels, ce qui a permis une plus grande interaction et comparaison avec des compagnes et compagnons de différents pays sur les pratiques de lutte. Les moments d’échanges contradictoires n’ont pas manqué, avec des interventions critiques qui ont ouvert le débat sur les différentes positions présentées sur la situation en Ukraine. Cependant, ce cycle d’initiatives a eu un résultat concret. De la rencontre avec des individus et des groupes antimilitaristes de différentes parties du monde est née l’idée d’une initiative commune qui aurait lieu au mois de novembre. Sur le fascisme, nous avons essayé d’apporter une contribution spécifique pour alimenter le débat au niveau international, en essayant de définir les caractéristiques du régime fasciste historique en Italie et les caractéristiques du gouvernement fasciste qui siège aujourd’hui à Rome. On a souligné que le gouvernement actuel, en matière de guerre, d’exploitation de la classe ouvrière, d’autoritarisme, de racisme, ne fait que suivre le chemin déjà tracé par les gouvernements précédents, il se distingue par contre par l’attaque contre les femmes et les subjectivités non binaires, dans une tentative de consolider le régime patriarcal. En rappelant l’engagement du mouvement anarchiste dans la lutte contre le fascisme au cours du siècle dernier, l’importance de maintenir une perspective de transformation sociale radicale, car seule la révolution sociale peut arrêter le fascisme. La spécificité de la situation italienne a suscité un grand intérêt et à la fin de la présentation, malgré les difficultés de traduction, un débat intéressant et animé s’est ouvert dans une salle comble, avec des questions et des échanges sur les expériences respectives de lutte dans les différents pays.
Quelques critiques sur certaines pratiques et messages incompatibles avec l’anarchisme
Cependant, à côté de tous ces points positifs, nous avons parfois assisté à la mise en œuvre de pratiques non conformes à notre éthique et à la diffusion de messages qui nous semblent incompatibles avec les valeurs et principes que le mouvement anarchiste porte depuis 150 ans. Si nous exposons ces critiques, ce n’est pas pour polémiquer avec tel ou tel groupe, mais parce que nous pensons que nous ne pouvons pas passer sous silence les problèmes auxquels le mouvement anarchiste international doit faire face s’il veut grandir face aux défis qui nous attendent.
Nous faisons référence à l’attitude de certains individus et groupes qui ont tenté d’utiliser la réunion pour imposer, y compris violemment, leur propre ligne politique, désignant certaines organisations historiques du mouvement anarchiste carrément comme « l’ennemi ». Le premier cas est celui de groupes soutenant les soi-disant « combattants anti-autoritaires » encadrés dans l’armée de l’État ukrainien. Tout en considérant cette option comme contraire à nos principes et à notre pratique antimilitariste, nous ne nous sommes jamais opposé.e.s à leur présence, dans l’esprit d’ouverture et de pluralisme qui a caractérisé cette édition des RIA. Ce qui est grave ce n’est pas que ces groupes aient essayé d’obtenir une visibilité maximale, mais qu’ils l’aient fait de façon incompatible avec ce que nous considérons une méthode libertaire.
Ces groupes ont organisé des ateliers et une conférence dans le hall principal. Lors de ces réunions, quiconque tentait d’exprimer des critiques ou simplement des opinions différentes se voyait systématiquement refuser la parole. Dans les rares cas où la parole était accordée à qui exprimait une vision différente de celle des organisateurs, on interrompait depuis la "table", donc depuis une position de pouvoir, les interventions les plus indésirables sous prétexte qu’elles étaient "hors sujet". Ceux et celles qui ont tenté d’élever la voix pour protester contre ces méthodes ont été insulté.e.s, délégitimé.e.s et même menacé.e.s physiquement. Les camarades qui tentaient de prendre la parole lors du débat du samedi après-midi étaient entouré.e.s d’individus faisant partie d’une sorte de "service d’ordre", qui n’avaient aucun problème à arracher les affiches des mains des camarades *pacifistes* qui les avaient exposées. Cela nous paraît grave non seulement parce que censurer violemment le débat est une pratique autoritaire, mais aussi parce que c’est la privatisation d’un espace collectivement conquis par ceux qui ont organisé les RIA ces dernières années. Il est également grave que les membres de ces groupes aient répété publiquement des mensonges contre les organisations anarchistes qui se sont prononcées contre la guerre, nous accusant même d’être « dominés par la propagande de Poutine ». Face à ces calomnies et mensonges, nous ne pouvons que nous référer au document Pour un nouveau manifeste anarchiste contre la guerre qui exprime clairement la position de la FAI, largement diffusé par nos soins à des centaines d’exemplaires à Saint-Imier, et souligner que la censure ainsi comme le dénigrement et la délégitimation systématiques des opposants sont des pratiques autoritaires qui ne doivent pas avoir leur place dans le mouvement anarchiste.
Enfin, des individus non identifiés ont attaqué physiquement à plusieurs reprises la table de la FA francophone, sous prétexte qu’y étaient exposés deux livres que certains considéraient comme « islamophobes », déchirant et brûlant les livres en question, en agressant à des camarades, tentant d’organiser une contestation plus large contre la FA en tant que telle, sous l’accusation fallacieuse de « racisme ». Les débats qui ont lieu en France sur ces problèmes complexes ne peuvent pas être abordés de manière exhaustive en quelques lignes mais nous tenons à souligner qu’aucune critique politique ne peut être exprimée sous des modalités qui rappellent les méthodes des pires régimes autoritaires que nous combattons. En signalant que la déclaration de solidarité avec la FA a été signée par de nombreuses Fédérations IFA, il faut souligner que les attaques ont eu lieu systématiquement contre les organisations historiques du mouvement anarchiste. Par ailleurs, lors de certaines de ces situations tendues, il y a malheureusement eu un manque d’activité de médiation de la part des groupes de travail responsables de cette fonction.
Des rencontres importantes, un bilan positif pour l’anarchisme
Nous considérons que la rencontre de Saint-Imier, ainsi que le Salon du livre anarchiste balkanique qui s’est tenu à Ljubljana début juillet, ont été d’une importance cruciale pour notre mouvement, une occasion exceptionnelle d’échange, de relance et de clarification pour poursuivre, dans une période complexe telle que celle que nous traversons, notre lutte internationaliste, antimilitariste et révolutionnaire. Il est également important de souligner les limites de ces événements et surtout de rejeter les pratiques dogmatiques et sectaires. Même si ces événements n’ont vu la participation qu’une partie du mouvement, force est de constater que l’actualité des problématiques abordées, la vivacité du débat, la pluralité des positions sont le signe d’un dynamisme difficile à retrouver dans d’autres courants révolutionnaires. Malgré un contexte mondial très difficile, le mouvement anarchiste a toujours une influence significative et peut jouer un rôle décisif ; c’est à nous de montrer la contribution cruciale qu’il peut apporter en tant que pratique révolutionnaire à la cause des classes opprimées et exploitées dans le monde entier.
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PAR : Fédération anarchiste Italienne
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