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Chroniques du temps réel
par Jean-Luc le 1 août 2022

Allons enfants de la fange

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Photo de Dimitri Svetsikas

Des hommes et des femmes rongés de désir, des âmes défaites et des corps las, encombrent les destins où le hasard porte le nom des dieux de l’Olympe. C’est beau comme l’antique. Et pourtant, la laideur est leur demeure.
Mais il y a aussi des fortunes hors du commun, toujours extravagantes et sensuelles ; et des querelleurs, joueurs et taquins, prêts à tout perdre dans l’espoir de tout gagner. Ils croisent des héros prétentieux que la mort guette et qui tôt ou tard les fera taire pour toujours. Leur épuisante agitation sent la sueur et la crasse, la pisse et la merde, le stupre et la vulgarité des ivrognes effondrés aux portes du paradis le nez dans leur vinasse régurgitée en même temps que leur maigre repas.
Peu importe leur nom, leurs aventures sont une suite d’impensés et de nobles trahisons. Ils croient dominer la vie mortelle, mais cela ne dure pas. Ils se fortifient avec le doute, l’onguent des épopées, et - comme l’écrira Villon - pour les meilleurs d’entre eux, ceux que l’on aime et à qui l’on voudrait ressembler, « rien n’est sûr que la chose incertaine ».
Il faut fuir les autres, tous ces charlatans de la vie bonne et des espoirs dont ils font commerce, car au fond le pouvoir auquel ils aspirent est un poison source d’agonies douloureuses pour l’intelligence, l’empathie et la compassion, la beauté et l’extase et surtout la nécessité de nos futilités. Ils se nomment bêtise et méchanceté et sont de médiocres factures. Et pourtant, on les voit armés de leur bon droit sabrant l’ingénu, soumettant le rétif, obligeant le négligeant, reléguant l’indésirable, faisant office de grand prêtre en toutes occasions, prêchant un monde à leur image, prétextant l’amour de la nature pour assujettir les sujets lorsqu’en majesté ils haranguent « les masses » et menacent les incrédules de leur courroux.
Le ridicule, la honte, devraient les faire disparaitre, mais au contraire, plus ils déparlent, plus ils se sentent forts, assurés de leur bon droit, fiers d’être ce qu’ils sont. Les réseaux sociaux sont leur royaume, terre de conquête, terre de missions. Ils amassent la fiente et les excréments des ânes, les pétrissent en jubilant et postulent à la direction des consciences. La haine se fait joie.

Point de fatigue, si peu de douleur, ponctuent les choses tues – l’humanité, la simple et défaillante humanité des gueux - et la volonté, cette ridule prétention, qui s’agite et mouline dans le vide que rapportent leurs récits est aveugle ou alors c’est juste, un prétexte, un déguisement de carnaval, un masque de circonstance, un mensonge en somme, mais un mensonge qui est vérité, vérité de leur sentiment, vérité de leurs ambitions, vérité de leur raison, vérité de leur désir.
Un spectacle dont le commerce profite aux plus bavards d’entre eux. Graine de chefaillon. Contre-maître de la ligne juste. Porteurs d’étendards. Diseurs de slogans. Tous ne font qu’un. Leur rêve a la couleur du désespoir maquillé outrageusement les soirs d’élection. Ils se donnent pour rien. Se soumettre et les aimer leur suffira à condition que cela soit ostentatoire et participe du spectacle de leur gloire.

Un aveugle en quête d’un peu de pain et de vin, et d’ombre l’été et de chaleur l’hiver, nous conte bien d’autres choses. C’est vers lui que nous aimons aller à petits pas, cachés dans une enfance irréductible, loin, bien loin des injonctions qui ne supportent aucune réplique. Nous aspirons au silence des conteurs entre deux aventures imaginaires. Non par choix, mais par nécessité. Les dieux pleurent. Le hasard est un maitre injuste et bon. Et c’est à eux que nous offrons nos larmes et tout ce qui n’a aucune utilité. Le vent qui siffle dans les frondaisons enchante leurs strophes, ponctue musicalement les vers qui accompagnent la voix du poète. L’on pleure de plaisir. Oubliant le désespoir, l’on savoure la négation des marchands de certitudes. Et l’on va pieds nus dans la fange, la tête dans les reflets de lune, dans un monde qui n’appartient à personne où nul désir n’est un devoir, où la volonté n’a pas le droit d’en imposer à la paresse, où l’enfant est Roi et marche sur l’eau, multiplie le vain, rit de bon cœur pour un rien. Où j’aime caresser le son des mots comme on pisse à la raie des braves gens qui n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux. Ma défaite est totale et se console ainsi dans la solitude. Je suis un banni volontaire. Exilé en moi-même, étranger en toutes circonstances et en tous lieux. De haine et d’amour, je me nourris parce qu’il faut bien vivre, malgré tout. Pour rien. Parce qu’il le faut bien. Parce que je le vaux bien. Quoi qu’on en dise. Mais ai-je vraiment d’autres choix ?

Jean-Luc

PAR : Jean-Luc
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