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par TODO POR HACER • le 18 mai 2022
La grande évasion 22 mai 1938. Fort San Cristobal (Pampelune).
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La plus grande évasion de prison de toute l’histoire européenne.
Au cours d’un voyage historique dans la mémoire collective, on ne peut omettre les récits anti carcéraux, souvent écrits par les protagonistes d’évasions épiques comme un défi à la brutalité subie, que les prisons symbolisent toujours aujourd’hui. Pourtant on a rarement abordé la plus grande évasion de l’histoire européenne. Elle a eu lieu le 22 mai 1938 en Navarre et impliqué 795 prisonniers, qui se sont évadés du Fort San Cristóbal, une prison-forteresse située à quelques kilomètres au nord d’Iruñea (Pamplona). Cette évasion menée par des détenus antifascistes, devait néanmoins avoir une issue catastrophique puisque seuls trois d’entre eux parvinrent à traverser la frontière et rejoindre la France, 14 furent fusillés après un conseil de guerre, 206 furent abattus dans la montagne et 150 autres portés disparus.
La prison
Sur le mont Ezkaba, situé à quelques kilomètres au nord d’Iruñea, le Fort de San Cristóbal, où furent enfermés, de 1934 à 1945, plus de 6000 prisonniers politiques des organisations du mouvement ouvrier, est aujourd’hui complètement abandonné. Le bâtiment fut construit sur le site d’un vieil ermitage rural et d’un château navarrais délabré du XIXème siècle. Les travaux avaient débuté en 1878 à la fin de la dernière guerre carliste (1872-1876), afin d’établir une ligne de défense militaire pyrénéenne contre de possibles soulèvements carlistes. La construction se prolongea jusqu’en 1919 et une partie de la montagne fut dynamitée afin de construire la forteresse militaire sur trois niveaux différents creusés dans la roche. De longs fossés, d’imposantes murailles, des guérites, des cellules souterraines et des galeries occupent ainsi plusieurs milliers d’hectares. Les ruines actuelles couvrent l’immense charnier des prisonniers qui y ont été assassinés.
Le fort n’a jamais joué le rôle défensif pour lequel il avait été construit, car structure était déjà militairement obsolète à la fin des travaux avec l’avènement de l’aviation militaire. Il n’a jamais servi que de prison militaire, entre 1934 et jusqu’en 1945. Après la répression gouvernementale de la Révolution d’Octobre en 1934, des centaines de prisonniers des Asturies, de Cantabrie et du Pays Basque y furent enfermés.
Dès le début, les plaintes pour manque d’hygiène et insalubrité s’accumulèrent, en particulier suite au décès d’un militant CNT, en septembre 1935, qui provoqua une émeute des 750 prisonniers, et des manifestations à Iruñea qui aboutirent à une grève. Le gouvernement républicain commença à transférer des dizaines de prisonniers dans d’autres prisons, en novembre, et la prison se vida complètement en février 1936 après l’amnistie générale, décrétée pour les prisonniers politiques après la victoire du Front populaire. Cependant, à l’été 36, la prison fut de nouveau utilisée par les forces militaires franquistes, soulevées le 18 juillet 1936, qui prirent le contrôle de la Navarre. En quelques mois, environ deux mille prisonniers furent envoyés à la forteresse et on ne connaît pas le nombre de fusillés au début de la guerre civile dans ses murs ou sur le chemin qui descendait vers la ville en leur tirant dans le dos après les avoir remis en liberté. En outre, 305 détenus décédèrent au cours de la période de fonctionnement du fort comme prison, jusqu’en 1945, pour cause de malnutrition et de maladies.
L’évasion
La plus importante évasion qu’aient connue l’État espagnol et l’Europe, aussi bien quant au nombre d’évadés que pour le bilan des victimes, eut lieu le 22 mai, 1938. A l’époque, il y avait 2 487 personnes détenues, pour la plupart des politiques républicains, des syndicalistes et des militants ouvriers révolutionnaires, en proie aux mauvais traitements, affamés, malades et infestés de parasites. Une trentaine d’entre eux décidèrent de préparer une évasion massive, et organisèrent à cet effet des réunions dans la prison, en espéranto pour ne pas être découverts par les gardiens ou les mouchards.
Le dimanche, à l’heure du repas du soir, plusieurs groupes de prisonniers désarmèrent les militaires qui montaient la garde, s’emparèrent de leurs armes et se dirigèrent vers le réfectoire des gardiens, qui se rendirent rapidement, à l’exception d’un soldat qui voulut résister et mourut d’un coup de barre de fer. En un peu plus d’une demi-heure les détenus du fort avaient pris le contrôle de la prison, les gardiens des divers postes de contrôle se rendirent également. Aux cris de : "Vous êtes libres ! Tous en France !", commença la plus grande évasion de toute l’histoire européenne à la conquête de la liberté et peu à perdre au vu de l’engagement de ses protagonistes. 795 prisonniers s’échappèrent à la faveur de la nuit, ils coururent désorientés et essayèrent de se cacher dans le maquis avant l’aube afin de parcourir à pied la distance d’environ 60 kilomètres qui les séparaient de la frontière française.
Malheureusement, deux événements tronquèrent leur évasion : un soldat revenant de permission d’Iruñea se rendit compte de ce qui se passait et donna l’alarme. Puis un prisonnier phalangiste nommé Ángel Alcázar de Velasco, incarcéré en raison de son soutien, en avril 1937, à Salamanque, à une faction de la Phalange, qui échoua dans sa fusion avec les carlistes, donna également l’alarme. C’est ainsi que des renforts militaires, surtout des phalangistes et des gardes civils de la capitale de la Navarre, furent rapidement sur place pour réprimer l’évasion, qui aurait pu être plus importante sans la défection de beaucoup de prisonnier qui renoncèrent à la vue des phares des véhicules militaires approchant de la prison. Selon le prisonnier Ernesto Carratalá, interviewé en 2007, à l’âge de 89 ans, chacun partit de son côté, certains croyant que la guerre était terminée, allèrent même innocemment à la gare de Pamplona acheter un billet de train avec les bons de la prison.
La traque
Les forces répressives lancèrent immédiatement la course- poursuite, une traque macabre des évadés, qui erraient en désordre à travers la montagne, beaucoup d’entre eux pieds nus, mal nourris et avec très peu de fusils pour se défendre. Dans les trois jours suivants, 585 furent arrêtés, 206 abattus sur place par manque de moyen de résistance. Seuls trois détenus atteignirent leur objectif de traverser la frontière française et sentir qu’ils en avaient fini avec la persécution. Le dernier des fugitifs se cacha dans les montagnes de Navarre jusqu’au 14 août de cette même année, sans parvenir à rencontrer une unité de de guérilla ou un soutien susceptible de l’aider à atteindre son objectif.
La très grande majorité des personnes assassinées le furent à proximité de la commune d’Ezcabarte, ainsi qu’au nord de la montagne, dans les localités d’Olaibar et à Baztán, d’autres à Ansoáin, dans les contreforts sud de la montagne. Par conséquent, le Fort de San Cristobal, ainsi que toute la zone qui l’entoure, est un lieu de mémoire antifasciste historique qu’il faut connaître et protéger. Parmi les évadés capturés par l’armée, dix-sept furent jugés sous l’accusation d’avoir été les meneurs de l’évasion. Un prisonnier fut enfermé dans un hôpital psychiatrique d’Iruñea, et décrit dans les actes du procès militaire comme un « psychopathe inadapté à la société civile », et quatorze furent condamnés à mort et fusillés le 8 septembre 1938 à la Citadelle de Pampelune.
L’armée espagnole a quitté ces installations militaires en 1987, qui, aujourd’hui, sont propriété du ministère la Défense et complètement abandonnées. Ce fort a été déclaré "Bien d’Intérêt Culturel" par la Direction générale des beaux-arts en 2001. Cependant, faire connaître l’une des évasions les plus méconnues de tous les temps, a été uniquement le résultat du travail des mouvements populaires navarrais et des associations de mémoire historique. En 1988, cinquante ans après l’évasion, un monument a été érigé sur l’un des flancs de la montagne en souvenir de tous les prisonniers tombés à la conquête de leur liberté. Ce monument a été attaqué trois fois, la dernière dégradation ayant eu lieu en août 2009. Chaque année, à la date anniversaire de l’évasion, un hommage est rendu à la mémoire de cet événement historique et des personnes assassinées à cet endroit, afin que l’on parle de ces lieux dans une chronique de mémoire et de lutte, et non plus pour dénoncer l’oubli.
[Bibliographie]
Navarra 1936. De la esperanza al terror, Varios Autores, 2004
Fuerte de San Cristóbal, 1938. La gran fuga de las cárceles franquistas, Félix Sierra Hoyos
et Iñaki Alforja, 2005
Penal de San Cristóbal/Ezkaba: derribos contra la memoria, Fermín Ezkieta, 2011
La gran evasión española, Alejandro Torrús, 2022
[Filmographie]
Ezkaba, la gran fuga de las cárceles franquistas, Iñaki Alforja, 2006
TODO POR HACER. Publication anarchiste mensuelle. Mai 2022. Madrid. Numéro 136. Gratuit
Traduction de l’espagnol. Monica Jornet. Groupe Gaston Couté FA Loiret
La prison
Sur le mont Ezkaba, situé à quelques kilomètres au nord d’Iruñea, le Fort de San Cristóbal, où furent enfermés, de 1934 à 1945, plus de 6000 prisonniers politiques des organisations du mouvement ouvrier, est aujourd’hui complètement abandonné. Le bâtiment fut construit sur le site d’un vieil ermitage rural et d’un château navarrais délabré du XIXème siècle. Les travaux avaient débuté en 1878 à la fin de la dernière guerre carliste (1872-1876), afin d’établir une ligne de défense militaire pyrénéenne contre de possibles soulèvements carlistes. La construction se prolongea jusqu’en 1919 et une partie de la montagne fut dynamitée afin de construire la forteresse militaire sur trois niveaux différents creusés dans la roche. De longs fossés, d’imposantes murailles, des guérites, des cellules souterraines et des galeries occupent ainsi plusieurs milliers d’hectares. Les ruines actuelles couvrent l’immense charnier des prisonniers qui y ont été assassinés.
Le fort n’a jamais joué le rôle défensif pour lequel il avait été construit, car structure était déjà militairement obsolète à la fin des travaux avec l’avènement de l’aviation militaire. Il n’a jamais servi que de prison militaire, entre 1934 et jusqu’en 1945. Après la répression gouvernementale de la Révolution d’Octobre en 1934, des centaines de prisonniers des Asturies, de Cantabrie et du Pays Basque y furent enfermés.
Dès le début, les plaintes pour manque d’hygiène et insalubrité s’accumulèrent, en particulier suite au décès d’un militant CNT, en septembre 1935, qui provoqua une émeute des 750 prisonniers, et des manifestations à Iruñea qui aboutirent à une grève. Le gouvernement républicain commença à transférer des dizaines de prisonniers dans d’autres prisons, en novembre, et la prison se vida complètement en février 1936 après l’amnistie générale, décrétée pour les prisonniers politiques après la victoire du Front populaire. Cependant, à l’été 36, la prison fut de nouveau utilisée par les forces militaires franquistes, soulevées le 18 juillet 1936, qui prirent le contrôle de la Navarre. En quelques mois, environ deux mille prisonniers furent envoyés à la forteresse et on ne connaît pas le nombre de fusillés au début de la guerre civile dans ses murs ou sur le chemin qui descendait vers la ville en leur tirant dans le dos après les avoir remis en liberté. En outre, 305 détenus décédèrent au cours de la période de fonctionnement du fort comme prison, jusqu’en 1945, pour cause de malnutrition et de maladies.
L’évasion
La plus importante évasion qu’aient connue l’État espagnol et l’Europe, aussi bien quant au nombre d’évadés que pour le bilan des victimes, eut lieu le 22 mai, 1938. A l’époque, il y avait 2 487 personnes détenues, pour la plupart des politiques républicains, des syndicalistes et des militants ouvriers révolutionnaires, en proie aux mauvais traitements, affamés, malades et infestés de parasites. Une trentaine d’entre eux décidèrent de préparer une évasion massive, et organisèrent à cet effet des réunions dans la prison, en espéranto pour ne pas être découverts par les gardiens ou les mouchards.
Le dimanche, à l’heure du repas du soir, plusieurs groupes de prisonniers désarmèrent les militaires qui montaient la garde, s’emparèrent de leurs armes et se dirigèrent vers le réfectoire des gardiens, qui se rendirent rapidement, à l’exception d’un soldat qui voulut résister et mourut d’un coup de barre de fer. En un peu plus d’une demi-heure les détenus du fort avaient pris le contrôle de la prison, les gardiens des divers postes de contrôle se rendirent également. Aux cris de : "Vous êtes libres ! Tous en France !", commença la plus grande évasion de toute l’histoire européenne à la conquête de la liberté et peu à perdre au vu de l’engagement de ses protagonistes. 795 prisonniers s’échappèrent à la faveur de la nuit, ils coururent désorientés et essayèrent de se cacher dans le maquis avant l’aube afin de parcourir à pied la distance d’environ 60 kilomètres qui les séparaient de la frontière française.
Malheureusement, deux événements tronquèrent leur évasion : un soldat revenant de permission d’Iruñea se rendit compte de ce qui se passait et donna l’alarme. Puis un prisonnier phalangiste nommé Ángel Alcázar de Velasco, incarcéré en raison de son soutien, en avril 1937, à Salamanque, à une faction de la Phalange, qui échoua dans sa fusion avec les carlistes, donna également l’alarme. C’est ainsi que des renforts militaires, surtout des phalangistes et des gardes civils de la capitale de la Navarre, furent rapidement sur place pour réprimer l’évasion, qui aurait pu être plus importante sans la défection de beaucoup de prisonnier qui renoncèrent à la vue des phares des véhicules militaires approchant de la prison. Selon le prisonnier Ernesto Carratalá, interviewé en 2007, à l’âge de 89 ans, chacun partit de son côté, certains croyant que la guerre était terminée, allèrent même innocemment à la gare de Pamplona acheter un billet de train avec les bons de la prison.
La traque
Les forces répressives lancèrent immédiatement la course- poursuite, une traque macabre des évadés, qui erraient en désordre à travers la montagne, beaucoup d’entre eux pieds nus, mal nourris et avec très peu de fusils pour se défendre. Dans les trois jours suivants, 585 furent arrêtés, 206 abattus sur place par manque de moyen de résistance. Seuls trois détenus atteignirent leur objectif de traverser la frontière française et sentir qu’ils en avaient fini avec la persécution. Le dernier des fugitifs se cacha dans les montagnes de Navarre jusqu’au 14 août de cette même année, sans parvenir à rencontrer une unité de de guérilla ou un soutien susceptible de l’aider à atteindre son objectif.
La très grande majorité des personnes assassinées le furent à proximité de la commune d’Ezcabarte, ainsi qu’au nord de la montagne, dans les localités d’Olaibar et à Baztán, d’autres à Ansoáin, dans les contreforts sud de la montagne. Par conséquent, le Fort de San Cristobal, ainsi que toute la zone qui l’entoure, est un lieu de mémoire antifasciste historique qu’il faut connaître et protéger. Parmi les évadés capturés par l’armée, dix-sept furent jugés sous l’accusation d’avoir été les meneurs de l’évasion. Un prisonnier fut enfermé dans un hôpital psychiatrique d’Iruñea, et décrit dans les actes du procès militaire comme un « psychopathe inadapté à la société civile », et quatorze furent condamnés à mort et fusillés le 8 septembre 1938 à la Citadelle de Pampelune.
L’armée espagnole a quitté ces installations militaires en 1987, qui, aujourd’hui, sont propriété du ministère la Défense et complètement abandonnées. Ce fort a été déclaré "Bien d’Intérêt Culturel" par la Direction générale des beaux-arts en 2001. Cependant, faire connaître l’une des évasions les plus méconnues de tous les temps, a été uniquement le résultat du travail des mouvements populaires navarrais et des associations de mémoire historique. En 1988, cinquante ans après l’évasion, un monument a été érigé sur l’un des flancs de la montagne en souvenir de tous les prisonniers tombés à la conquête de leur liberté. Ce monument a été attaqué trois fois, la dernière dégradation ayant eu lieu en août 2009. Chaque année, à la date anniversaire de l’évasion, un hommage est rendu à la mémoire de cet événement historique et des personnes assassinées à cet endroit, afin que l’on parle de ces lieux dans une chronique de mémoire et de lutte, et non plus pour dénoncer l’oubli.
[Bibliographie]
Navarra 1936. De la esperanza al terror, Varios Autores, 2004
Fuerte de San Cristóbal, 1938. La gran fuga de las cárceles franquistas, Félix Sierra Hoyos
et Iñaki Alforja, 2005
Penal de San Cristóbal/Ezkaba: derribos contra la memoria, Fermín Ezkieta, 2011
La gran evasión española, Alejandro Torrús, 2022
[Filmographie]
Ezkaba, la gran fuga de las cárceles franquistas, Iñaki Alforja, 2006
TODO POR HACER. Publication anarchiste mensuelle. Mai 2022. Madrid. Numéro 136. Gratuit
Traduction de l’espagnol. Monica Jornet. Groupe Gaston Couté FA Loiret
PAR : TODO POR HACER
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