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par Thom Holterman • le 3 mai 2022
Le mouvement néerlandais Provo et ses liens avec l’anarchisme
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Article extrait du Monde libertaire n°1838 d’avril 2022
Comme ailleurs en Europe, le mouvement anarchiste aux Pays-Bas était autrefois imbriqué dans le mouvement ouvrier. Des éléments activistes particuliers étaient également prééminents parmi les anarchistes, comme l’antimilitarisme. Une autre caractéristique frappante de l’anarchisme néerlandais dans le passé était que de nombreux anarchistes devenus renommés par la suite ont commencé comme pasteurs protestants (Ferdinand Domela Nieuwenhuis, Bartholomeus de Ligt). Ce sont quelques-unes des caractéristiques que l’histoire nous invite à découvrir.
Au milieu des années 1960, un mouvement hollandais libertaire a émergé, élevant la provocation au rang de véritable « art » et utilisant le terme « Provo ». C’est à cela que fait référence le titre de mon livre, L’anarchisme au pays des provos (Atelier de création libertaire, Lyon, 2015). Le sous-titre indique clairement que le livre a une portée plus large et que beaucoup de choses ont précédé Provo. Mais dans cet article, nous nous concentrerons sur la question : qui étaient ces provos et que voulaient-ils ?
Origine, montée et fin
Provo n’est pas apparu de nulle part. Il est né de la résistance antimilitariste, du mouvement des objecteurs de conscience des années 1950 et 1960 et de la résistance à l’armement nucléaire. Pour les deux premiers phénomènes, on peut se référer à une tradition qui trouve son origine dans l’activisme du début du XXe siècle aux Pays-Bas (les congrès internationaux antimilitaristes ; la fondation du Bureau international antimilitariste, 1921).
Souvent, les adhérents de cette sphère antimilitariste étaient également actifs dans le mouvement anarcho-syndicaliste. La subversion était leur mot d’ordre en filigrane. Un certain nombre de personnes ayant survécu à la Seconde Guerre mondiale ont poursuivi ces activités, comme Albert de Jong, qui, avec son fils Rudolf (l’historien et militant libertaire), a publié le magazine libertaire Buiten de perken (littéralement : en dehors des pelouses) pendant quelques années à partir de 1961.
Au début des années 1960, des groupes dits « Ban de Bom » (« Bannissez la bombe ») ont été créés dans plusieurs grandes villes des Pays-Bas, principalement par des jeunes, dans le but d’organiser des actions contre l’armement nucléaire. À Rotterdam, il y avait un groupe « Ban de Bom » auquel j’ai participé. De 1962 à 1964, en tant qu’objecteur de conscience, j’ai effectué mon service civil dans un hôpital psychiatrique à Eindhoven, faisant la navette entre cette ville et mon domicile à Rotterdam. En participant à ces activités, j’ai rencontré l’homme qui a publié à lui tout seul une revue anarchiste, De Vrije (Le Libéré), à savoir Wim de Lobel (1927-2013).
À La Haye il y avait aussi un groupe de « Ban de Bom ». L’un de ses membres, Roel van Duijn, l’un des fondateurs du mouvement Provo, a écrit en 1964 pour Buiten de perken un intéressant aperçu de l’histoire (d’après Rudolf de Jong dans son article du recueil intitulé Provo). De temps en temps, le « Ban de Bomgroep » de Rotterdam a participé aux actions organisées par le « Ban de Bomgroep » de La Haye, dans cette ville. Les militants de chacun de ces groupes ne sont pas étrangers les uns aux autres. Compte tenu du contexte anarchiste, il ne faut pas négliger le fait que Roel van Duijn, ainsi que moi-même, avons appris l’anarchisme auprès de Wim de Lobel à Rotterdam.
À la fin du lycée, un certain nombre de jeunes des groupes « Ban de Bom » sont partis à Amsterdam, en partie pour étudier. Ils en avaient aussi assez des actions léthargiques. Ils se sont retrouvés dans une ville en pleine effervescence, Amsterdam, et sont entrés en contact avec des artistes, des non-conformistes et d’autres personnes actives dans toutes sortes de secteurs de la société. Et puis Wim de Lobel a reçu une lettre au pochoir, datée du 25 mai 1965, dans laquelle Roel van Duijn annonçait, entre autres, que Provo, une revue de jeunesse pour le renouveau de l’anarchisme, serait publiée à partir de juillet 1965 (lettre en ma possession).
La revue s’opposera radicalement à la société, apprend-on dans la lettre, car elle est capitaliste, bureaucratique, militariste. De quoi s’agit-il : résistance désespérée ou écroulement oisif ? La lettre contient un appel à la « Résistance là où elle se peut ». Il y a cependant un sens aigu de la réalité : « Provo se rend compte qu’elle doit être l’ultime perdante, mais elle ne veut pas manquer l’occasion de provoquer cette société vigoureusement, au moins une fois de plus ». Du pessimisme, cependant, naîtra l’optimisme. En peu de temps, le groupe a fait d’Amsterdam son « centre magique » ... Mais pas tout seul. Il a cherché à créer des contacts, pour l’aspect ludique, avec ce qui était existait déjà.
Il y avait par exemple le « magicien anti-tabac » (antirookmagiër) Robert-Jasper Grootveld (1932-2008)
Le designer industriel néerlandais Luud Schimmelpennink (1935) s’est également joint au mouvement Provo et l’a rendu célèbre avec ses bicyclettes blanches et son chariot blanc. Le plan d’action est annoncé le 28 juillet 1965 par son créateur (Schimmelpennink), Roel van Duijn, Robert Jasper Grootveld, Thom Jaspers et d’autres personnes au « Lieverdje ». L’idée a été inspirée par la lutte contre la « terreur de l’asphalte ». Schimmelpennink a également fourni le matériel pour la bombe fumigène utilisée le jour du mariage de la princesse Beatrix et du prince Claus, le 10 mars 1966. Les images de cette manifestation de la lutte contre l’autorité, c’est-à-dire contre la monarchie, ont été vues dans le monde entier !
Le nom Provo a été adopté comme un « nom de Gueux ». Le terme a été introduit dans une dissertation intitulée Achtergronden van nozemgedrag (Les ambiances du comportement des blousons noirs, 1965). Cependant, les jeunes qui ont adopté le nom de Provo n’avaient rien à voir avec les « blousons noirs », mais plutôt avec la provocation.
Provo a développé une série d’actions très diverses dans toutes sortes de domaines, par exemple contre la pollution de l’environnement, contre la bombe atomique avec laquelle les autorités menaçaient le monde, pour des transports écologiques (le plan vélo blanc), pour la gratuité des transports publics, pour le renforcement du mouvement des squatters dans la lutte contre la pénurie de logements.
En 1966, le mouvement Provo a participé aux élections municipales à Amsterdam avec la liste 12. L’un des slogans était « Stem provo kèjje lachen » (une forme corrompue du néerlandais que tout le monde comprend, avec la signification ‘Vote provo tu peux rire’). Il a remporté un siège au conseil municipal.
De nombreuses actions ludiques se sont heurtées à la violence de la police.
Quelles leçons tirer de l’expérience Provo ?
On a beaucoup écrit sur Provo. Je vais me concentrer essentiellement sur deux textes, que je vais utiliser pour une synthèse. Le premier est un recueil intitulé Provo (Amsterdam, 1967). Cette collection contient un article de Rudolf de Jong (que je vais citer plus loin). Quelques années après 1967, lui et moi sommes devenus coéditeurs de la revue anarchiste de AS, fondée par Hans Ramaer (1941-2015) et Wim de Lobel. Je les connaissais tous les deux grâce à la scène d’action de Rotterdam. Fondée en 1972 (le dernier numéro est paru en 2020), la revue de AS paraissait exclusivement sous la forme de numéros thématiques. Roel van Duijn écrivait régulièrement pour de AS.
Vingt ans après la dissolution de Provo, la rédaction de de AS a voulu voir ce que Provo avait (définitivement) livré. Le numéro 83 (juillet-septembre 1988) de de AS est consacré à cette question[note] . C’est le deuxième texte que j’utiliserai, en citant abondamment l’article de Hans Ramaer, ‘Provo en de vernieuwing van het anarchisme’ (‘Provo et le renouvellement de l’anarchisme’).
Dans sa contribution à la collection Provo de 1967, Rudolf de Jong s’interroge sur la relation de Provo avec l’anarchisme. À l’époque, il se demandait si Provo pouvait être une percée de la « révolution anarchiste silencieuse ». En 1988, nous apprenons sa réponse : ce n’était pas une percée. Pourtant, écrit-il, il est étonnant que le mot Provo ait survécu et ne soit pas complètement tombé dans l’oubli. La façon dont cela est possible est, à mon avis, très bien illustrée par Hans Ramaer dans sa contribution susmentionnée dans de AS 83.
Provocation et plans blancs
Selon Hans Ramaer, il y a un point préliminaire à souligner. Provo représente une rupture avec le passé à deux égards : le mouvement n’était pas un mouvement ouvrier, mais un mouvement de jeunes issus de toutes sortes de milieux sociaux, qui avaient écarté le prolétariat comme allié. On peut formuler cela autrement : Provo a été le point final d’un développement qui avait déjà commencé dans les années trente lorsque le flux du mouvement ouvrier vers l’anarchisme a commencé à stagner. Aux Pays-Bas, dans les années 1930, l’anarchiste Piet Kooijman (1891-1975) a développé sa théorie de la déclasse. Roel van Duijn le connaissait bien. Il a utilisé cette théorie pour donner une base sociale à l’anarchisme de Provo. Selon lui, le « provotariat » d’étudiants, d’artistes, de magiciens, de beatniks, de drogués et d’autres personnes formait désormais (1965) une nouvelle déclasse. Cependant, l’enthousiasme dont Hans fait preuve ne s’applique pas tant au message lui-même qu’à la manière dont Provo l’a délivré.
À cet égard, les principaux apports de Provo sont au nombre de deux : (a) certaines formes d’actions, happenings et provocations et (b) les plans blancs. L’« emballage » était aussi visible qu’efficace, écrit Hans Ramaer, lorsque Provo a opté pour une conception absurde de l’acte – qui a depuis été qualifié de ludique. Rudolf de Jong avait déjà signalé cette autre forme d’action en 1967 (dans le recueil Provo) : ‘Provoquer = démasquer ; une bonne provocation est une action - ou un événement (happening) - qui entraîne un démasquage. Provo a tendu un miroir à la société existante et à la démocratie néerlandaise, et beaucoup ont été douloureusement frappés par les visages qui sont apparus lorsque les Provo ont forcé la police, la justice, les tribunaux et les politiciens à faire tomber les « masques ». Rudolf le dit alors succinctement : « Une bonne provocation expose l’absurdité des situations existantes et oblige ses adversaires à affronter le problème soulevé par la provocation. »
Les plans blancs sont tout aussi remarquables que la provocation. Avec le plan Vélos blancs et le plan Cheminées blanches, Provo a ouvert les yeux sur le revers de la prospérité occidentale : des villes et des industries étouffantes. Cette intuition a préparé le terrain, écrit Hans Ramaer, pour ce qui se cristallisera plus tard en « anarchisme écologique » via le mouvement Kabouter [note] - qui a immédiatement suivi la dissolution de Provo (Hans se réfère ici à un article de Lewis Herber = Murray Bookchin dans English Anarchy (1967)).
De manière très pragmatique, le mouvement Provo offrait une alternative anarchiste avec ces plans, raconte Hans Ramaer. Selon lui, la meilleure idée, en 1988, reste sans doute le plan vélos blancs, qui combine une solution au problème de circulation et de pollution dans le centre-ville avec le principe anarchiste de la propriété collective. Le plan « cheminées blanches » – qui, comme le plan précédent, était une idée du concepteur technique Luud Schimmelpennink – devait fixer selon Provo des limites à la liberté de l’individu par rapport à la société, résume Hans.
Ces plans abordent également la question de la place de la rue dans la société moderne. Provo a ainsi revendiqué la rue comme un espace politique de vie et de jeu, ce qu’elle avait toujours été jusqu’au début de ce siècle. Je pense que Hans Ramaer, aujourd’hui (2022), aurait étendu l’idée ici aux Gilets jaunes et à leur « démocratie de ronds-point ». Dans les rues et sur les ronds-points, ça arrive !
Une évaluation générale de la puissance innovatrice de Provo peut être trouvée dans la remarque que le mouvement anarchiste aux Pays-Bas était rajeuni et que sa conscience de soi augmentait. « Peut-être - dit Hans - est-ce là la contribution la plus précieuse de Provo au renouvellement de l’anarchisme ». Mon livre intitulé L’anarchisme au pays des provos fait référence au sujet du précédent et décrit où il trouve ses racines. Cela remonte à des siècles.
Thom Holterman
Rédacteur de la revue numérique libertaire néerlandaise Libertaire orde :
https://libertaireorde.wordpress.com/
Au milieu des années 1960, un mouvement hollandais libertaire a émergé, élevant la provocation au rang de véritable « art » et utilisant le terme « Provo ». C’est à cela que fait référence le titre de mon livre, L’anarchisme au pays des provos (Atelier de création libertaire, Lyon, 2015). Le sous-titre indique clairement que le livre a une portée plus large et que beaucoup de choses ont précédé Provo. Mais dans cet article, nous nous concentrerons sur la question : qui étaient ces provos et que voulaient-ils ?
Origine, montée et fin
Provo n’est pas apparu de nulle part. Il est né de la résistance antimilitariste, du mouvement des objecteurs de conscience des années 1950 et 1960 et de la résistance à l’armement nucléaire. Pour les deux premiers phénomènes, on peut se référer à une tradition qui trouve son origine dans l’activisme du début du XXe siècle aux Pays-Bas (les congrès internationaux antimilitaristes ; la fondation du Bureau international antimilitariste, 1921).
Souvent, les adhérents de cette sphère antimilitariste étaient également actifs dans le mouvement anarcho-syndicaliste. La subversion était leur mot d’ordre en filigrane. Un certain nombre de personnes ayant survécu à la Seconde Guerre mondiale ont poursuivi ces activités, comme Albert de Jong, qui, avec son fils Rudolf (l’historien et militant libertaire), a publié le magazine libertaire Buiten de perken (littéralement : en dehors des pelouses) pendant quelques années à partir de 1961.
Au début des années 1960, des groupes dits « Ban de Bom » (« Bannissez la bombe ») ont été créés dans plusieurs grandes villes des Pays-Bas, principalement par des jeunes, dans le but d’organiser des actions contre l’armement nucléaire. À Rotterdam, il y avait un groupe « Ban de Bom » auquel j’ai participé. De 1962 à 1964, en tant qu’objecteur de conscience, j’ai effectué mon service civil dans un hôpital psychiatrique à Eindhoven, faisant la navette entre cette ville et mon domicile à Rotterdam. En participant à ces activités, j’ai rencontré l’homme qui a publié à lui tout seul une revue anarchiste, De Vrije (Le Libéré), à savoir Wim de Lobel (1927-2013).
À La Haye il y avait aussi un groupe de « Ban de Bom ». L’un de ses membres, Roel van Duijn, l’un des fondateurs du mouvement Provo, a écrit en 1964 pour Buiten de perken un intéressant aperçu de l’histoire (d’après Rudolf de Jong dans son article du recueil intitulé Provo). De temps en temps, le « Ban de Bomgroep » de Rotterdam a participé aux actions organisées par le « Ban de Bomgroep » de La Haye, dans cette ville. Les militants de chacun de ces groupes ne sont pas étrangers les uns aux autres. Compte tenu du contexte anarchiste, il ne faut pas négliger le fait que Roel van Duijn, ainsi que moi-même, avons appris l’anarchisme auprès de Wim de Lobel à Rotterdam.
À la fin du lycée, un certain nombre de jeunes des groupes « Ban de Bom » sont partis à Amsterdam, en partie pour étudier. Ils en avaient aussi assez des actions léthargiques. Ils se sont retrouvés dans une ville en pleine effervescence, Amsterdam, et sont entrés en contact avec des artistes, des non-conformistes et d’autres personnes actives dans toutes sortes de secteurs de la société. Et puis Wim de Lobel a reçu une lettre au pochoir, datée du 25 mai 1965, dans laquelle Roel van Duijn annonçait, entre autres, que Provo, une revue de jeunesse pour le renouveau de l’anarchisme, serait publiée à partir de juillet 1965 (lettre en ma possession).
La revue s’opposera radicalement à la société, apprend-on dans la lettre, car elle est capitaliste, bureaucratique, militariste. De quoi s’agit-il : résistance désespérée ou écroulement oisif ? La lettre contient un appel à la « Résistance là où elle se peut ». Il y a cependant un sens aigu de la réalité : « Provo se rend compte qu’elle doit être l’ultime perdante, mais elle ne veut pas manquer l’occasion de provoquer cette société vigoureusement, au moins une fois de plus ». Du pessimisme, cependant, naîtra l’optimisme. En peu de temps, le groupe a fait d’Amsterdam son « centre magique » ... Mais pas tout seul. Il a cherché à créer des contacts, pour l’aspect ludique, avec ce qui était existait déjà.
Il y avait par exemple le « magicien anti-tabac » (antirookmagiër) Robert-Jasper Grootveld (1932-2008)
Le designer industriel néerlandais Luud Schimmelpennink (1935) s’est également joint au mouvement Provo et l’a rendu célèbre avec ses bicyclettes blanches et son chariot blanc. Le plan d’action est annoncé le 28 juillet 1965 par son créateur (Schimmelpennink), Roel van Duijn, Robert Jasper Grootveld, Thom Jaspers et d’autres personnes au « Lieverdje ». L’idée a été inspirée par la lutte contre la « terreur de l’asphalte ». Schimmelpennink a également fourni le matériel pour la bombe fumigène utilisée le jour du mariage de la princesse Beatrix et du prince Claus, le 10 mars 1966. Les images de cette manifestation de la lutte contre l’autorité, c’est-à-dire contre la monarchie, ont été vues dans le monde entier !
Le nom Provo a été adopté comme un « nom de Gueux ». Le terme a été introduit dans une dissertation intitulée Achtergronden van nozemgedrag (Les ambiances du comportement des blousons noirs, 1965). Cependant, les jeunes qui ont adopté le nom de Provo n’avaient rien à voir avec les « blousons noirs », mais plutôt avec la provocation.
Provo a développé une série d’actions très diverses dans toutes sortes de domaines, par exemple contre la pollution de l’environnement, contre la bombe atomique avec laquelle les autorités menaçaient le monde, pour des transports écologiques (le plan vélo blanc), pour la gratuité des transports publics, pour le renforcement du mouvement des squatters dans la lutte contre la pénurie de logements.
En 1966, le mouvement Provo a participé aux élections municipales à Amsterdam avec la liste 12. L’un des slogans était « Stem provo kèjje lachen » (une forme corrompue du néerlandais que tout le monde comprend, avec la signification ‘Vote provo tu peux rire’). Il a remporté un siège au conseil municipal.
De nombreuses actions ludiques se sont heurtées à la violence de la police.
Quelles leçons tirer de l’expérience Provo ?
On a beaucoup écrit sur Provo. Je vais me concentrer essentiellement sur deux textes, que je vais utiliser pour une synthèse. Le premier est un recueil intitulé Provo (Amsterdam, 1967). Cette collection contient un article de Rudolf de Jong (que je vais citer plus loin). Quelques années après 1967, lui et moi sommes devenus coéditeurs de la revue anarchiste de AS, fondée par Hans Ramaer (1941-2015) et Wim de Lobel. Je les connaissais tous les deux grâce à la scène d’action de Rotterdam. Fondée en 1972 (le dernier numéro est paru en 2020), la revue de AS paraissait exclusivement sous la forme de numéros thématiques. Roel van Duijn écrivait régulièrement pour de AS.
Vingt ans après la dissolution de Provo, la rédaction de de AS a voulu voir ce que Provo avait (définitivement) livré. Le numéro 83 (juillet-septembre 1988) de de AS est consacré à cette question[note] . C’est le deuxième texte que j’utiliserai, en citant abondamment l’article de Hans Ramaer, ‘Provo en de vernieuwing van het anarchisme’ (‘Provo et le renouvellement de l’anarchisme’).
Dans sa contribution à la collection Provo de 1967, Rudolf de Jong s’interroge sur la relation de Provo avec l’anarchisme. À l’époque, il se demandait si Provo pouvait être une percée de la « révolution anarchiste silencieuse ». En 1988, nous apprenons sa réponse : ce n’était pas une percée. Pourtant, écrit-il, il est étonnant que le mot Provo ait survécu et ne soit pas complètement tombé dans l’oubli. La façon dont cela est possible est, à mon avis, très bien illustrée par Hans Ramaer dans sa contribution susmentionnée dans de AS 83.
Provocation et plans blancs
Selon Hans Ramaer, il y a un point préliminaire à souligner. Provo représente une rupture avec le passé à deux égards : le mouvement n’était pas un mouvement ouvrier, mais un mouvement de jeunes issus de toutes sortes de milieux sociaux, qui avaient écarté le prolétariat comme allié. On peut formuler cela autrement : Provo a été le point final d’un développement qui avait déjà commencé dans les années trente lorsque le flux du mouvement ouvrier vers l’anarchisme a commencé à stagner. Aux Pays-Bas, dans les années 1930, l’anarchiste Piet Kooijman (1891-1975) a développé sa théorie de la déclasse. Roel van Duijn le connaissait bien. Il a utilisé cette théorie pour donner une base sociale à l’anarchisme de Provo. Selon lui, le « provotariat » d’étudiants, d’artistes, de magiciens, de beatniks, de drogués et d’autres personnes formait désormais (1965) une nouvelle déclasse. Cependant, l’enthousiasme dont Hans fait preuve ne s’applique pas tant au message lui-même qu’à la manière dont Provo l’a délivré.
À cet égard, les principaux apports de Provo sont au nombre de deux : (a) certaines formes d’actions, happenings et provocations et (b) les plans blancs. L’« emballage » était aussi visible qu’efficace, écrit Hans Ramaer, lorsque Provo a opté pour une conception absurde de l’acte – qui a depuis été qualifié de ludique. Rudolf de Jong avait déjà signalé cette autre forme d’action en 1967 (dans le recueil Provo) : ‘Provoquer = démasquer ; une bonne provocation est une action - ou un événement (happening) - qui entraîne un démasquage. Provo a tendu un miroir à la société existante et à la démocratie néerlandaise, et beaucoup ont été douloureusement frappés par les visages qui sont apparus lorsque les Provo ont forcé la police, la justice, les tribunaux et les politiciens à faire tomber les « masques ». Rudolf le dit alors succinctement : « Une bonne provocation expose l’absurdité des situations existantes et oblige ses adversaires à affronter le problème soulevé par la provocation. »
Les plans blancs sont tout aussi remarquables que la provocation. Avec le plan Vélos blancs et le plan Cheminées blanches, Provo a ouvert les yeux sur le revers de la prospérité occidentale : des villes et des industries étouffantes. Cette intuition a préparé le terrain, écrit Hans Ramaer, pour ce qui se cristallisera plus tard en « anarchisme écologique » via le mouvement Kabouter [note] - qui a immédiatement suivi la dissolution de Provo (Hans se réfère ici à un article de Lewis Herber = Murray Bookchin dans English Anarchy (1967)).
De manière très pragmatique, le mouvement Provo offrait une alternative anarchiste avec ces plans, raconte Hans Ramaer. Selon lui, la meilleure idée, en 1988, reste sans doute le plan vélos blancs, qui combine une solution au problème de circulation et de pollution dans le centre-ville avec le principe anarchiste de la propriété collective. Le plan « cheminées blanches » – qui, comme le plan précédent, était une idée du concepteur technique Luud Schimmelpennink – devait fixer selon Provo des limites à la liberté de l’individu par rapport à la société, résume Hans.
Ces plans abordent également la question de la place de la rue dans la société moderne. Provo a ainsi revendiqué la rue comme un espace politique de vie et de jeu, ce qu’elle avait toujours été jusqu’au début de ce siècle. Je pense que Hans Ramaer, aujourd’hui (2022), aurait étendu l’idée ici aux Gilets jaunes et à leur « démocratie de ronds-point ». Dans les rues et sur les ronds-points, ça arrive !
Une évaluation générale de la puissance innovatrice de Provo peut être trouvée dans la remarque que le mouvement anarchiste aux Pays-Bas était rajeuni et que sa conscience de soi augmentait. « Peut-être - dit Hans - est-ce là la contribution la plus précieuse de Provo au renouvellement de l’anarchisme ». Mon livre intitulé L’anarchisme au pays des provos fait référence au sujet du précédent et décrit où il trouve ses racines. Cela remonte à des siècles.
Thom Holterman
Rédacteur de la revue numérique libertaire néerlandaise Libertaire orde :
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PAR : Thom Holterman
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