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par A las Barricadas le 24 mars 2022

Sur les réponses libertaires à la guerre

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Tiré de l’éditorial du 15.03.2023 de Alasbarricadas.org

La guerre actuelle en Ukraine représente un défi pour les mouvements anarchistes contemporains.

[...]
En premier lieu, il faudrait souligner la réponse de l’anarchisme en Russie, en Biélorussie et au Kazakhstan. On le voit bien, ces collectifs (dire mouvement serait aller trop loin) dénoncent les gouvernements de Poutine depuis le début des années 2000. Ceux et celles d’entre nous qui ont suivi, même de loin, la politique anarchiste en Russie, retiendront avant tout deux choses : l’emprisonnement et la lutte antifasciste. La Russie, et toute l’Europe de l’Est, a connu une telle involution depuis les années 1990 qu’elle est devenue le paradis des politiques autoritaires, mafieuses et antisociales. C’est dans ce scénario compliqué que les idées libertaires doivent se développer. Et souvent, elles n’ont pu s’ancrer que dans la contre-culture, les universités et guère au-delà. Des espaces plus propices aux libertés.

Nos compas ont fait face des affaires de répression en tout genre, ce qui s’est aggravé depuis l’approbation des lois contre l’extrémisme. Ces lois étaient en fait destinées aux mouvements néo-nazis, qui avaient quasiment pris les rues russes au milieu des années 2000, entraînant des milliers de personnes. Le fascisme russe a pris des coups du gouvernement mais la répression a aussi frappé l’anarchisme et l’antifascisme car aux yeux de la police nous sommes toujours considérés comme des "extrémistes radicaux" et donc de la chair à prison. Les lois répressives viseront toujours ceux qui veulent la révolution.

Au cours de ces dernières années, ce phénomène s’est amplifié avec des dizaines d’anarchistes et d’antifascistes dans les prisons russes. Il se passe la même chose en Biélorussie, où le mouvement est plus concentré, et sans doute plus important proportionnellement à la population, et s’est en quelque sorte bien connecté aux manifestations anti-gouvernementales.



" La paix entre les nations ! la guerre entre les classes !"

La réponse de tous ces mouvements locaux a été plutôt unanime : non à la guerre. Ceux qui vont à la guerre sont des jeunes de la classe ouvrière et, très souvent, sans qu’on leur dise sur quel front. Malheureusement, la vague nationaliste qui déferle en ce moment sur la Russie nous met à contre-courant. Au cours de ces dernières semaines, plus de 8 500 personnes ont été arrêtées (et leur nombre va croissant) pour avoir manifesté contre la guerre. Dans la plupart des cas cela finit par une amende mais la peur est de la partie, surtout quand on connaît les horreurs de l’histoire russe. On parle même de disparitions.

Par conséquent, l’anarchisme russe est sur la défensive, essayant de ne pas être balayé de la carte, tout en envoyant des messages clairs contre la guerre de Poutine (et non du peuple russe). Et parmi ces personnes militantes, il est logique d’en trouver qui ont une telle haine pour le gouvernement qu’elles s’enrôlent dans les milices ukrainiennes. Nous verrons plus tard pourquoi.

Deuxièmement, nous avons les réponses des collectifs anarchistes ukrainiens. A vrai dire il y en avait peu jusqu’à présent. Peut-être trois à Kiev et un à Kharkhov, et un peu plus de libertaires dans d’autres villes comme Lviv. Selon d’autres articles, le mouvement anarchiste a été balayé en 2014 par le climat créé par le Maïdan et la guerre du Donbass. L’anarchisme n’a pas su trouver sa place, il a subi une crise et disparu pendant quelques années. Vers 2017-18, il est réapparu, des collectifs, tels que Rev Dia (Revolutionary Action) à Kiev et Assembly à Kharkhov se sont créés.

Et entre ces deux collectifs, il y a une grande différence dans la façon de faire les choses. Le groupe de Kharkov gérait un centre social afin de toucher la population par la culture et des activités d’entraide et d’autogestion. Le groupe de Kiev, en revanche, était engagé dans une lutte de positions contre un puissant fascisme de rue dans la ville.

L’action du groupe de Kharkhov dans cette guerre a été de participer à des groupes d’entraide dans la ville. Son rôle est de faire sortir les gens de la ville, les nourrir, aller chercher des gens et les mettre à l’abri. Pour le moment, on n’a pas de nouvelles concrètes du groupe, sur leur site on peut lire des récits sur des personnes qu’ils connaissaient et qui sont décédées. Le groupe n’a jamais appelé à rejoindre les milices et il est évidemment contre l’invasion et le bombardement de la ville.

En revanche, les groupes de Kiev se sont regroupés en une milice qui ne compte pas beaucoup de membres, peut-être 50 ou 70 personnes. En fait, il ne s’agit peut-être pas d’une seule milice mais de deux milices différentes. L’une formée par Rev Dia et collectifs affinitaires et l’autre par les groupes Drapeau Noir et The Black Headquarter, mais apparemment leurs actions sont communes.

Comme le dit Rev dia sur son site Web : Le fait est que la guerre n’est plus seulement une guerre entre l’Ukraine et la Russie mais un moment où se joue l’avenir de tous les pays de l’ex-URSS. Les autorités russes sont depuis longtemps le garant des régimes dictatoriaux dans toute l’ex URSS. Elles les ont soutenus dans des moments difficiles, comme en Biélorussie et au Kazakhstan. En Russie même, un régime pleinement dictatorial est en train de s’instaurer. La liberté d’expression a été complètement interdite et des gens ont été condamnés à 15 ans de prison pour avoir participé à une manifestation pacifique. Si la dictature de Poutine gagne la guerre en Ukraine, non seulement cela deviendra une réalité pour les populations ukrainiennes, mais cela deviendra également la règle en Russie et dans d’autres pays. Pendant longtemps, il n’y aura aucune chance de modifier cet ordre. De plus, cela donnera à Poutine l’ambition d’étendre sa dictature à de nouveaux pays. Sans compter que tous les militant.e.s de tout type de mouvement d’opposition seront anéantis, y compris les anarchistes, quelle que soit la position sur la guerre qu’ils et elles auront soutenue. La guerre en Ukraine est peut-être la dernière chance de renverser et d’abolir la dictature. C’est pourquoi il est si important d’employer toutes les méthodes possibles pour mettre fin à la horde dictatoriale.

Lorsque le gouvernement a distribué des armes, les anarchistes les ont également demandées et obtenues. Ils et elles ont rejoint les unités de défense territoriale et lancé un appel international à la solidarité. Cet appel a surtout attiré des militants anarchistes du territoire biélorusse et russe qui veulent combattre l’armée gouvernementale russe. Voici ce qu’ils en disent là-bas : si la guerre russo-ukrainienne a pour ainsi dire du bon, c’est d’avoir obligé les autorités ukrainiennes à remettre des armes à la population. Encore une fois, cela ne garantit rien, mais augmente les chances de libérer la ville. Non seulement des oppresseurs étrangers, mais aussi des leurs.

Leur point de vue est simple : "On nous attaque, on tue notre peuple et nous devons nous défendre, quelle que soit l’idéologie de chacun. Prenons les armes". Et pour cela, ils et elles rejoignent les supporters de foot antifascistes de l’Arsenal de Kiev, apparemment les seuls à être antifascistes en Ukraine - les autres sont nazis. Dans cet amalgame pour attirer des volontaires à tout prix, il n’y a jamais eu de volonté de politiser la lutte. L’anarchisme y est plus une étiquette utilisée, une identité, mais sans appels comme tels à la population. Il y a encore des compas qui essaient de savoir s’ils ont une section humanitaire comme le collectif de Kharkhov.

Mais c’est pire encore lorsque nous lisons leurs messages sur Telegram. Cela augmente la confusion de voir leurs vidéos et surtout de lire leurs récits. Dans l’un d’eux par exemple, ils disent même avoir reversé une partie de l’aide internationale reçue à des soldats de l’armée, à des unités de chars et même à des gens de la Garde nationale. Et cela fait sonner l’alarme. Certaines personnes ne veulent pas donner 9 000 euros pour des lunettes de vision nocturne qui finiraient par être utilisées par l’armée plutôt que par ceux et celles qui les ont demandées. Et d’autant plus quand on sait que les pays de l’Otan envoient des équipements et des armes évalués à des milliards d’euros. On ne peut comprendre cette subordination à l’armée, encore moins sans explication politique.

Dans leur désir d’aller au combat, il y en a qui ont rejoint l’armée ou les milices fascistes, parce qu’elles ont des armes. Ce ne doit pas être vraiment les personnes les plus politisées du mouvement. En clair, nous devrions déjà savoir que dans tous les groupes, il y a ceux qui ont une théorie et des principes très clairs, et ceux qui s’en moquent, ils sont avec notre mouvement plutôt par amitié, sympathie ou voisinage plutôt que par idées. Dans les milieux antifascistes, cela a toujours été très courant.

Selon un mini-rapport ces jours-ci, des milliers de personnes entrent en ce moment dans le bataillon nazi Azov, de sorte qu’il ne s’agit plus d’un bataillon mais d’un régiment - qui est également enfermé à Marioupol et connaît vraisemblablement ses derniers jours. A présent, c’est comme une mini-armée. Il y a déjà deux bataillons Azov à Kharkhov et un à Kiev. Il existe des centres de recrutement dans toute l’Ukraine. Et ce n’est qu’une partie des milices fascistes. Il y a aussi le bataillon Aydar ou le bataillon Pravy Sektor, entre autres. Dans l’armée, les soldats sont bombardés depuis huit ans par la propagande fasciste en tout genre, sans aucun filtre de la part des autorités, donc il y a beaucoup d’ultranationalistes dans l’armée bien qu’il ne soit pas aussi développé que dans les milices ouvertement fascistes et nazies.

Bref, à défaut d’une d’information suffisante et vu les messages déroutants, le scénario à Kiev nous surprend complètement et ne nous rend vraiment pas service. Nous ne pouvons pas soutenir un combat qui n’est pas clair sur ses objectifs, au-delà de l’élimination de l’ennemi, et ce au moins jusqu’à tant qu’un plan de contrôle territorial ne sera pas défini, qu’une partie de leur soutien à la population civile ne sera pas rapportée - ce que nous pensons qu’ils font - et que les relations avec les nazis ne seront pas publiquement et clairement interrompues. Nous ne savons pas si, à ce stade, cela leur est possible ou s’ils ont déjà assez à faire pour survivre. Il doit y avoir un peu de cela. De même, il y a quelques jours, les médias antifascistes ont averti que si l’on s’enrôle dans une ambassade, on peut se retrouver dans les unités Azov.

Troisièmement, nous devons accueillir le flux de réfugiés. Il y a déjà 2,8 millions de personnes et le nombre ne cesse de croître. En ce moment, la moitié de Kiev a déjà fui et seuls les quartiers populaires résistent, comme toujours. Il y a des compas à la frontière avec la Pologne et avec la Roumanie. Des groupes polonais et allemands sont pas mal actifs pour apporter leur soutien solidaire. Ce sont des initiatives beaucoup plus proches de nous [anarchistes] tant géographiquement que psychologiquement et, de plus, les réfugiés commencent à affluer vers tous les coins de l’Europe.
[...] Il est évident que tous les mouvements libertaires doivent se préparer - ne serait-ce que psychologiquement - à des scénarios négatifs tels que ceux qui se présenteront sans aucun doute à nous. Il en va de notre responsabilité.

Traduction de l’espagnol. Monica Jornet Groupe Gaston Couté FA
PAR : A las Barricadas
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