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par Virginie / juan Chico Ventura le 6 septembre 2021

José Torres.

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Hommage à quelqu’un de lumineux


José Torres, sculpteur et militant anarchiste né en Catalogne en 1926, nous a quittés le mois dernier. Il vivait à Darnétal, près de Rouen, depuis les années 80, avec sa compagne Marie-Cath. Son enterrement a été un moment important et l’occasion de me remémorer les conditions dans lesquelles je l’avais rencontré. Les témoignages de ses proches ont permis de connaître un peu mieux son histoire singulière, marquée par la guerre d’Espagne, le combat antifranquiste, son métier dans l’orfèvrerie, la sculpture, mais également par l’enlèvement de l’un de ses fils photographe-reporter en Syrie en 2013.

José Torres est entré un jour de 2006 dans la librairie l’Insoumise que nous avions ouverte à Rouen. Il avait répondu à notre invitation pour une présentation et un débat sur la Révolution espagnole (nous refusions de l’intituler guerre d’Espagne) en compagnie de trois autres espagnols (Lucio Urtubia, Antonio Sanchez et mon père, Francisco Benito Saez).




Chacun son tour a raconté une partie de son vécu, livré son analyse. José, lui, avait surtout milité dans les groupes antifranquistes d’après la guerre. Son récit enthousiaste fourmillait d’anecdotes qu’il ne voulait pas présenter comme des exploits, plutôt des « coups ratés ». Pourtant, on pouvait imaginer que derrière sa modestie, il y avait des actions importantes comme la fois où il avait transporté des armes de la France vers l’Espagne.
D’emblée, José nous est apparu comme quelqu’un d’érudit et passionné, connaissant bien le mouvement anarchiste, et même s’il était affilié au groupe de Fontenys et pas à la FA de Joyeux, il n’était jamais dédaigneux ou méprisant envers nous. De même, pour nos actions bien « inoffensives » à côté de ce qu’il avait vécu, il n’était jamais dans l’arrogance. Par la suite, fidèle, il est revenu souvent à la librairie (pour des débats, des expositions ou la foire à tout annuelle).
Je l’ai revu à l’occasion d’expos de ses sculptures ou de réunions du SEL (Système d’Echange Local) auquel lui et sa compagne étaient adhérents. Souriant, chaleureux, aimant la discussion. Notre dernière conversation portait sur l’inspiration dans l’art. Il disait que parfois, c’était la sculpture qui décidait pour lui et guidait ses doigts.

« … Ce témoignage d’une personne profondément humaine et d’une blessure jamais refermée… »

Un récit m’a frappée le jour de son enterrement : un récit de sa voix enregistrée et qui, mal-gré la mauvaise qualité du son, nous le rendait bien présent, là, dans le petit cimetière de Roncherolles sur le Vivier, où une foule se pressait autour du cercueil.

Voilà retranscrit ce que j’ai entendu et précisé avec l’aide Marie-Cath :
« Le père de José était brillant, un jeune instituteur qui, obligé de travailler dans une école catholique, a un jour été renvoyé pour avoir refusé de faire défiler les enfants pour Les Pâques. Après avoir rencontré le milieu anarchiste dans un théâtre à Barcelone, il crée sa propre école « libre et laïque » avec sa compagne Guadalupe. Le couple a très peu d’argent. Ils ont un fils José. Cette année-là, celui-ci reçoit de son père, qui avait vendu ses livres à cet effet, un pauvre cadeau pour le nouvel an, un pauvre cadeau qui n’était pas à la hauteur des attentes du petit. José a dû manifester son désappointement d’une façon ou d’une autre car il a vu son père défait, convaincu qu’il resterait toujours pauvre. En repensant à cet événement, José témoigne que c’est à ce moment qu’il a compris ce qu’était la lutte des classes.
Par la suite, le père s’engage dans l’armée française et est déporté à Mathausen puis fina-lement assassiné dans le château de Hartheim. José ne l’a jamais revu. De nombreuses an-nées plus tard, il dira : « Mon plus grand regret est de ne jamais lui avoir dit que j’étais de son côté. Il était mort trop tôt.
»

Voilà José, ce témoignage d’une personne profondément humaine et d’une blessure jamais refermée, celle d’une Espagne pas complètement débarrassée du Franquisme, d’une révolu-tion ratée, et d’une guerre qui lui a volé son père.
Une personne lumineuse qui, après tous ses combats, était devenu, avec son épouse Marie–Cath, un compagnon de route pour ceux et celles des lieux collectifs de l’agglomération rouennaise comme la Ferme des 400 goûts, le Diable au corps et la librairie l’Insoumise.

Salut l’ami !

Virginie, Groupe de Rouen de la FA




José Torres, un artiste et un militant parmi les humbles



Difficile d’oublier une personne telle que José Torres, un sculpteur sur métal, un humaniste, un personnage truculent qui vous raconte des anecdotes sur son métier, sa militance, sa passion pour les animaux et surtout un anarchiste aguerri comme il en reste peu. C’est comme cela qu’il s’est présenté en 2004, alors que j’exposais au marché de la création à Bastille tous les samedis. Il est arrivé vers moi, car il connaissait mes convictions militantes anarchistes. Je lui ai demandé de quel bord il était, j’ai aperçu son sourire malicieux et ses yeux brillants et d’une voix douce et tendre, il m’a répondu « del lado de los mejores » (du côté des meilleurs), j’ai souri à mon tour en entendant sa réponse, à partir de ce jour, nous sommes toujours restés en contact. J’ai pu par la suite profiter de son hospitalité, de sa générosité et de celle de toute sa famille, Marie-Catherine sa compagne, de Pierre et de Charles ses fils jumeaux. Il m’a souvent évoqué la Guerre d’Espagne, la Retirada (la retraite), l’exil républicain espagnol en 1939, lors de la traversée des Pyrénées-Orientales, accompagné de sa mère dans le camp de concentration d’Argelès-sur-Mer. Ce camp où il a vu mourir son peuple, du typhus, de faim et de froid, de suicide comme l’image de cette personne qui s’enfoncera au loin dans la mer jusqu’à la noyade. Quant à son père, déporté à Mauthausen en Haute-Autriche, le fameux « Camp des Espagnols » où périrent près de 5 000 d’entre eux sur les 7 500., il fera partie de ces victimes de la barbarie nazie.

Comme bagage un pistolet muni d’une dizaine de balles, 100 pesetas et des tracts...
Lorsqu’il s’agissait de parler de la révolution espagnole nous conversions tout naturellement en castillan, c’était plus authentique, il pouvait mieux appuyer ses sentiments et ses arguments à l’égard du combat contre le franquisme (combat qu’il mena dès la sortie de la Seconde Guerre mondiale), et des compagnon.ne.s mort.e.s pour un idéal de liberté et pour un autre futur. Il avait bien connu la famille Sabaté, une fratrie de militants, surtout le célèbre et légendaire Francisco nommé « El Quico » avec qui il fera les 400 coups. Il ne cessera de militer jusqu’à la mort de Franco en 1975. Je me rappelle qu’il évoquait avec beaucoup d’humour la fois où il traversa les Pyrénées pour la énième fois avec comme bagage un pistolet muni d’une dizaine de balles, 100 pesetas et de tracts militants pour informer de la situation dans le milieu anarchiste espagnol en France. Un compagnon espagnol l’invita à boire un verre dans un bar truffé de phalangistes et de franquistes. Notre bon José n’en menait pas large ce jour-là et se garda bien de faire le malin, ce qui ne l’empêcha pas de sermonner par la suite le compagnon qui l’avait embarqué dans cette situation absurde et cocasse. Un autre exemple de ses voyages, en 1974, un an avant la mort du Caudillo, des militant.e.s espagnol.e.s l’avaient invité en Espagne pour parler de syndicalisme révolutionnaire, à ce propos il publia ensuite une brochure en espagnol sur la manière de monter un syndicat.

Capter le mouvement dans sa légèreté
Mais loin s’en faut, nous parlions aussi d’art et d’artisanat, de peinture et de sculpture. Il m’emmenait dans son antre où des multitudes de sculptures se côtoyaient les unes les autres, un vrai bestiaire, le cheval (qui était son animal préféré), l’âne, le chien, l’élan, le coq, le singe, une quantité d’oiseaux de toutes sortes.



C’était la caverne d’Ali Baba, je me sentais redevenir un enfant devant tant de merveilles. Nous ne comptions plus les heures, nous étions dans un autre espace-temps. Pour chaque sculpture, il avait une histoire. Il insistait sur le mouvement, le déplacement des animaux. Une sculpture était réussie et « vivante » seulement si l’artiste avait capturé, capté le mouvement dans sa légèreté. C’était un vrai bonheur que de l’écouter parler de tous les sujets. Il est de ces êtres qui ont une capacité à philosopher sans jamais avoir fait d’études au préalable dans cette matière. Un homme plein de bon sens, d’une intelligence hors pair extrêmement aiguë, doublé d’une mémoire éléphantesque et livresque.

José était un fidèle compagnon en amitié et un fervent artiste avec une imagination bienveillante, éclatante et débordante. En somme un compañero inoubliable.

Juan Chica Ventura groupe anarchiste Salvador-Seguí


PAR : Virginie / juan Chico Ventura
Groupe de Rouen / Groupe Salvador Segui
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