Exclusion totale
Article extrait du Monde libertaire n° 1830 de juillet/août 2021
Elle nous a aussi frappés, vidés de l’une de nos cordes essentielles : la vie culturelle, et surtout le spectacle vivant.
Sans compter évidemment le ravage social imposé aux acteurs.rices, technicien.nes, intermittent.es du spectacle, elle a notamment mis en relief, par sa violence, l’inexistence ponctuelle pour les populations les plus démunies, de cette expression artistique, comme pour l’ensemble de la population d’ailleurs.
Mais on ne les a pas entendues, ces dernières, ou faiblement, sur ce créneau : car ne pas assister à un spectacle vivant : théâtre, opéra, concert, danse... fait intégralement partie de leur vie au quotidien, sur un an, sur toute une vie ! Rien n’a vraiment changé !
Et il importerait d’y réfléchir, et vite !
Sur des études réalisées pendant cette période, depuis l’apparition du virus, pendant la crise sanitaire donc, ce manque n’aurait atteint qu’un individu sur trois.
Ce qui pourrait paraître dissimulé d’ordinaire, là, par une égalisation dans la frustration, ressort paradoxalement avec plus d’acuité.
Comment ? Une privation de vie culturelle, en chair et en os, atteint une partie non négligeable de la société, et celle-ci, globalement, n’en souffrirait pas, ou en tout cas, ne l’exprimerait que faiblement !
Bien sûr, les raisons les plus évidentes en sont bien connues ; parmi celles-ci :
- tout d’abord, le coût souvent prohibitif des spectacles
- les faibles moyens de l’enseignement de l’art à l’école
- coût rédhibitoire des activités culturelles, pratiquées à l’échelon amateur
- inadaptation des lieux culturels aux non-initiés...
Chasse gardée !
Les études sociologiques ont montré que les pratiquants assidus et les spectateurs les plus réguliers se comptent notamment dans les classes dites hautes, pour lesquelles ces pratiques appartiennent à leur lignage ; ils en sont les légitimes possesseurs, dépositaires. Les autres couches de la population, classes moyennes, sont « tolérées » dans ces lieux d’art vivant, ou même saisi comme les musées, galeries d’art...
Les autres, les laissés pour compte en sont chassés par l’ambiant feutré, les codes...qui leur font bien comprendre, ajouté au faible héritage culturel qu’on leur renvoie comme par plaisir sadique, qu’ils ne sont pas désirés ici. Chasse gardée !
Va encore, si c’est une visite scolaire qui « honore » ces lieux, mais qu’on ne les y reprenne pas.
À ceux-ci, les pouvoirs en place leur proposent généreusement, la TV (c’est bien assez pour eux !), avec Koh Lanta...
Bien sûr, les grandes fêtes populaires comme les festivals des arts de la rue regroupent tous les types de public et chacun y a sa place, surtout s’ils sont entièrement gratuits. Mais l’atmosphère y est autre, car les clivages sociaux, l’espace d’un moment, sont aplanis. L’hostilité de classe y est moins prégnante. Mais cela ne change rien au problème de fond ; car les retombées en termes de fréquentation des lieux de spectacle vivant, le reste de l’année, restent identiques.
Rappelons-nous la politique culturelle menée par Frédéric Mitterrand notamment (ministre de la Culture de Sarkozy), qui, en place de la « Culture pour tous » et constatant son échec, préconisa dans son discours du 19.1.2010, une « Culture pour chacun », c’est-à-dire visant à conforter chaque individu dans son intime, ses acquis, contre l’ouverture, la curiosité.
Il n’est pas inutile de terminer ce constat d’exclusion culturelle par un petit rai de lumière sur la pratique de la lecture.
Là aussi, elle s’écroule ; oh ! Pas pour tout le monde... En 1988, les « pratiquants » de 15 ans et + étaient 73 % environ à avoir lu au moins 1 livre dans l’année. En 2018, ils n’étaient plus que 62 %.
En BD, on constate la même descente : seuls 20 % des adeptes avaient lu une BD en 2020, contre 41 % en 1988.
En 2018, les gros lecteurs, soit + de 20 livres par an, se recrutaient surtout chez les cadres et diplômés du supérieur, soit 3 fois plus nombreux que chez les ouvriers, employés et titulaires d’un CEP. (CQFD une fois de plus).
Donc, lorsque l’on évoque les rapports de domination d’une classe sur les autres, elle est totale :
économique, politique, culturelle.
Les privés de tout, le sont vraiment et toute leur vie, hormis les rares exceptions, mises en évidence, qui peuvent s’échapper par le haut.
Bien évidemment, là aussi, il n’y a pas de hasard : la construction de cette société capitaliste, exploiteuse, réserve les meilleures attributions à une classe (qui se reproduit dans tous ses aspects) et les miettes aux autres.
C’est à cette seule condition qu’elle peut se maintenir !
Car enfin, il vaut mieux un minimum de personnes cultivées, non ?
Guy (Groupe de Rouen)
groupe de Rouen
1 |
le 7 septembre 2021 08:49:32 par Luisa |
Ce qui m’a choquée durant cette pandémie, c’est d’entendre gémir tous les jours des gens dits de l’intelligentsia, des « spécialistes », des « cultivés », c’est-à-dire des incapables, gémir et larmoyer de ne pouvoir aller se faire servir, le cul sur une chaise, au restaurant, gémir que le petit personnel, pour lequel ils/elles ont tant de condescendance, ne puisse plus circuler librement dans les rues pour venir chez eux faire le ménage, pour faire les courses, la bouffe, récurer les chiottes, entretenir le linge, etc …. ET dépoussiérer les rayons de la bibliothèque où des livres jamais ouverts, jamais lus, s’entassent pour meubler le décor, pour donner l’impression que
C’est cela aussi la réalité, la « grande fracture »comme ils disent chez les incapables.
Je vais vous le dire sans précaution : ces gens-là ne savent rien faire !
Il est temps de les prendre pour ce qu’ils/elles sont et non pas pour ce qu’ils/elles voudraient que l’on croit !
Même un vieux croûton de pain rassis n’aurait jamais dû leur être donné ou livré durant le confinement. Ces gens-là me dégoûtent profondément, vous verrez qu’ils/elles vont en faire des pages et des pages d’ici peu pour raconter â des gens comme eux, la vaisselle dans l’évier parce qu’ils/elles ne savaient pas mettre en marche le lave-vaisselle !
C’est à peine si j’exagère, malheureusement !
2 |
le 7 septembre 2021 09:44:22 par Luisa |
« ….., et ma mère disait : Prends deux-trois livres, va les vendre, tu rapporteras un peu d’argent pour les provisions du sabbat. Et il allait là-bas, rue Hasollel, rue Hahavatseleth, avec quelques livres, il y allait vraiment la mort dans l’âme; il n’arrivait pas à s’en séparer, mais il avait avant tout de la morale. Il savait que la nourriture est plus importante que les livres et que ce n’était pas bien de les aimer plus que son enfant. »
Amos Oz - « Les deux morts de ma grand-mère »
3 |
le 7 septembre 2021 10:26:53 par Luisa |
« Je suis né à Jérusalem. Bien plus tard, j’ai lu dans des livres que, au temps du mandat britannique, c’était une ville très cosmopolite. Où l’on trouvait Gershom Sholem, Buber, Bergman et Agnon; moi, c’est à peine si je savais qu’ils existaient, sauf que parfois mon père disait : « Regarde cet homme de réputation mondiale qui marche dans la rue. » Je croyais qu’une réputation mondiale, c’était un peu comme des jambes malades car, souvent, celui dont on disait qu’il avait « une réputation mondiale » était un vieillard qui marchait avec une canne, d’un pas hésitant et portait en été un costume très épais. »
Amos Oz - « Les deux morts de ma grand-mère »