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par Fermin Grodira le 24 août 2021

L’anarchisme, cet inconnu : l’histoire de la FAI après la légende noire

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Publié par Público le 18.08.2021

Cette organisation anarchiste a essayé de faire bouger les consciences au sein d’un prolétariat en pleine effervescence, toujours aux côtés de la CNT, son organisation sœur. Les actes de ses plénums et assemblées, documentés par l’historien Julián Vadillo, mettent en lumière une histoire pleine de zones d’ombre et de désinformation.




Des réunions secrètes, des attaques à main armée et du terrorisme. Toutes ces étiquettes sont associées communément a la Fédération Anarchiste Ibérique (FAI), dont l’histoire est à peine esquissée dans la plupart des manuels. Rappelons pourtant que ces trois lettres figuraient pendant la Guerre Civile sur les affiches et les véhicules avec celles un peu plus reconnues désignant la Confédération Nationale du Travail, la CNT. Si l’on connaît peu le fonctionnement des organisations libertaires en raison de l’ostracisme qu’elles ont subi, on connaît encore moins celui de l’organisation qui, dans une perspective sociale, cherchait à agiter les consciences des personnes travailleuses, dont beaucoup avaient déjà été révolutionnées dans le monde du travail grâce au syndicat anarchosyndicaliste.

Julián Vadillo démonte la plupart des arguments avancés jusqu’à présent pour expliquer la fédération dans son livre qui vient de paraître Histoire de la FAI. L’anarchisme organisé (Catarata, 2021). Cette monographie comble ainsi un vide historique à travers cinq chapitres et un épilogue qui retracent les antécédents de l’organisation jusqu’à son état actuel, en passant par une première dispersion des groupes anarchistes, sa situation pendant la Dictature de Primo de Rivera, et ses actions pendant la Seconde République et le Franquisme.

Cette année 1927, qui vit la fondation de la FAI, fut assez troublée en Espagne, ce qui a conféré un certain caractère exceptionnel à la création d’une fédération ayant ces caractéristiques : la dictature de Primo de Rivera entraîne l’exil de nombreux libertaires. Le caractère transnational de la FAI rend également incontournable de regarder vers le Portugal, où un an auparavant s’était produit un coup d’État qui un certain temps après devait devenir une longue dictature de Salazar. "Agitation, action et propagande, tel fut le schéma d’action des groupes de la FAII, indépendamment les uns des autres", explique Vadillo, docteur en Histoire par l’Université Complutense de Madrid.

La transnationalité de la FAI s’étendait jusqu’en Amérique latine, en France, au Maghreb et laux États-Unis. Tous les groupes étaient unis par la mission qu’ils se donnaient : défendre ouvertement les idées anarchistes et les faire connaître. Par quel moyen ? "La propagande, ce n’est pas seulement distribuer des brochures, mais organiser des conférences culturelles, des manifestations, des meetings, créer des athénées et éditer des journaux ", répond l’auteur, qui note qu’à la meilleure époque, la FAI ne compterait pas plus de 10 000 adhérents dans la Péninsule, la plupart d’entre eux aussi adhérents de la CNT. Selon Vadillo, "ils voulaient accomplir cette révolution culturelle et individuelle si importante dans une période qu’ils voyaient comme prérévolutionnaire". Le temps devait leur donner par la suite raison.

Le phantasme de l’orthodoxie face au réformisme
L’influence de l’anarchisme en Espagne pendant les années 20 et 30 du XX siècle est indiscutable. Des milliers de travailleurs et travailleuses militaient dans leurs organisations tandis que leurs journaux, tel l’organe d’expression de la FAI, Tierra y Libertad, tiraient à des dizaines de milliers d’exemplaires. "La FAI canalise toute cette expression libertaire qui bouillonnait dans la société, à travers ses groupes affinitaires, qui se lient de façon étroite à son organisation sœur, la CNT", explique Vadillo, également professeur de l’Université Carlos III de Madrid.

La Seconde République n’avait pas encore été proclamée que furent diffusées les premières informations négatives autour de l’organisation. Et fausses. "Il y a toute une historiographie qui soutient qu’elle a essayé de contrôler la CNT afin de sauvegarder ses principes idéologiques, certaines visions parlent donc d’un anarchisme orthodoxe face à une hypothétique tentative de réformisme. Cela ne tient absolument pas debout si l’on consulte les sources de première main", poursuit l’expert en histoire du mouvement ouvrier.

Vadillo parle en ces termes du dénigrement auquel a fait face la Fédération Anarchiste : "On dit que les membres de la FAI représentaient la fraction la plus violente de l’anarchisme mais cela non plus n’est pas vrai. Les actions ont été menées conjointement avec la CNT dans les Comités de Défense Nationale, où tous pratiquaient en effet l’action directe dans les conflits sociaux et se préparaient même pour la lutte armée, mais aussi dans les Comités Pour les Prisonniers et les Comités Révolutionnaires. Quoi qu’il en soit, la FAI en est venue à condamner les braquages, opérés au nom de l’anarchisme par des personnes sans lien avec l’organisation ; de même qu’elle fut intraitable à l’égard de la violence injustifiée dans la zone républicaine".

Collaborer avec la République, une erreur ?
Même si la FAI n’était une entité univoque mais d’une grande diversité, "elle a toujours essayé que les erreurs de l’anarchisme retombent sur elle et pas sur la CNT ", explique l’écrivain. Parmi ces erreurs, on compte, comme l’ont exprimé en leur temps, et durement, différents groupes qui constituaient la Fédération, la collaboration avec le Gouvernement républicain pendant la Guerre : "Même cela n’a pas été vu comme une erreur de façon majoritaire, si l’on considère des personnalités, parmi les plus influentes du moment : Cipriano Mera a participé à la FAI depuis l’avènement de la République et adopté la collaboration militaire; Mauro Bajatierra en a même été l’un des fondateurs et a fait partie de la Commission de la Guerre ; Melchor Rodríguez, connu sous le nom d’Ange rouge par les fascistes eux-mêmes, a également milité à la FAI et adopté la position collaborationniste".

La Guerre civile a modifié la structure initiale de la Fédération, une organisation non légale mais dont les groupes étaient tolérés. En 1937, ils s’inscrivent comme association : la FAI devient un parti politique, entre au Front Populaire et devient une organisation plus régionale. De fait, la Fédération figure dans la liste des collectifs poursuivis par la Loi de Responsabilité Politique du franquisme".

Les noms de certains groupes d’affinité tels que Lumière (Luz), Le reflet libertaire (El reflejo eterno), La flamme éternelle (Llama eterna), Le vainqueur (El vencedor), Les égaux (Los iguales), Anarchie (Acracia)et Grande bohême (Gran bohemia), reflétaient l’esprit de leurs membres. "Il en va de même à la Fédération Anarchiste Italienne et la Francophone. Beaucoup mentionnaient des faits historiques, tels que les Martyrs de Chicago (Los mártires de Chicago) ou Spartacus (Espartaco), et aussi d’anciens militants ou des militants comme le groupe Bakounine ou Proudhon", indique Vadillo.

Condamnation explicite des braquages
Même si des actions comme les braquages ont été associées à l’anarchisme en général, et à la FAI en particulier, l’historien considère que c’est une vision erronée des faits pendant cette période : "Il est indéniable que toutes les organisations politiques ont eu recours à la violence mais à des niveaux ordinaires dans un contexte de lutte. La FAI a participé à l’insurrection ouvrière de 1934, par exemple. En janvier 1936, elles se mettent d’accord : elles doivent être prêtes pour un hypothétique coup d’État, ce qui devait se matérialiser par la création de milices armées de défense. En fin de compte, la FAI avait sa part de responsabilité dans ce contexte de violence politique puisqu’elle est un organisme parmi les autres mais elle est loin d’en avoir toute la responsabilité".

De fait, la FAI décida d’expulser tous les militants qui réaliseraient des braquages parce qu’ils "déshonoraient l’organisation", comme le rapportent les actes de ce plénum. "La FAI est allée jusqu’à fusiller l’un de ses militants à Barcelone quand les abus de son fait en zone républicaine ont été avérés" et Melchor Rodríguez freine les extractions de prisonniers de Paracuellos auxquelles, d’après les recherches, ont aussi participé d’autres militants anarchistes", Vadillo cite cet exemple avant d’ajouter que "l’on a toujours dit qu’il y a des idéologies sérieuses et responsables sans y inclure l’anarchisme alors qu’en réalité les anarchistes se sont inquiétés de la violence à l’arrière-front et poussé les puissances internationales à soutenir la cause sachant que si la République était battue, le fascisme serait le vainqueur. "

L’historien n’évite pas le sujet des braquages perpétrés au nom de l’anarchisme : "Il y avait des groupes spécifiques intégrés dans la FAI, d’autres groupes qui ne voyaient pas la nécessité de se fédérer, et puis des groupes d’action sans aucun lien organisationnel que ce soit avec la FAI ou avec la CNT et dont les actions n’ont rien à voir avec le milieu de l’agitation politique et syndicale. L’historiographie a eu tendance à tout mélanger sans prendre en considération les finalités et les réalités de chaque groupe spécifique. Nous ne pouvons oublier que la FAI était constituée de dizaines de groupes répartis à travers la Péninsule ibérique avec des situations, parfois, différentes ; de là la nécessité aussi d’une lecture régionale, car l’analyse de groupes de la FAI aux Asturies, à Barcelone ou à Madrid ne sont pas les mêmes pour un même événement".

Le temps a réduit l’influence de cette organisation historique, même s’il ne l’a pas fait disparaître. Actuellement, la Fédération Anarchiste Ibérique est toujours vivante aussi bien Espagne qu’au Portugal avec la même structure qui la vit naître en 1927, elle continue à éditer son journal mensuel, Tierra y Libertad, et participe à des actes et congrès internationaux. Quoique minoritaire sur le territoire, la FAI poursuit son action, c’est pourquoi l’histoire de cette organisation n’a pas encore connu sa conclusion", dit Vadillo pour clore son ouvrage.

Traduction Monica Jornet Groupe Gaston Couté FA
PAR : Fermin Grodira
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