Anarchie dans le monde > L’influence anarchiste sur la Constituante au Chili. Une analyse anarchiste (Partie I).
Anarchie dans le monde
par Pelao Carvallo le 2 août 2021

L’influence anarchiste sur la Constituante au Chili. Une analyse anarchiste (Partie I).

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Cette étude analyse l’influence anarchiste dans le processus constituant en cours actuellement au Chili. Il y en a de nombreuses autres, par exemple le féminisme, qui a obtenu la parité. Elle propose une approche d’un processus qui met en jeu de nombreuses influences dont certaines sont le fruit de l’exercice libertaire révolutionnaire.


19 mai 2021.




L’influence



Le processus constituant est au départ une réponse de l’élite visant à reconduire le processus révolutionnaire lancé en octobre 2019 par l’action directe non-violente de lycéenne pour manifester contre la hausse des tarifs des transports en commun, cette action étant de sauter par-dessus les contrôles automatiques du métro. Et la réponse du gouvernement est au départ la répression, ce qui s’est révélé clairement insuffisant puisque ces actions directes ont connu des répliques et gagné toutes les franges de la population. Non seulement la répression a échoué mais des mesures répressives telles que la fermeture du métro ont rendu la contestation massive et créé la solidarité avec le mouvement lycéen.

Dans la nuit du 18 octobre, la situation en est arrivée à un point critique tel la presse officielle a été obligée de parler d"explosion" ou de "révolte", actant le début d’un processus révolutionnaire. Les tactiques d’action directe non violente de boycott individuel et massif de paiement d’un système de transport en commun traitant les citadins en simple matière première d’une industrie d’extraction minière, et le refus de la répression comme mode de résolution des conflits sociaux, ont fait partie des actions des anarchistes depuis la mise en place du système de transports Transantiago, en 2007. Les lycéennes qui ont démarré la révolte en passant au-dessus des machines de contrôle du métro comptaient des anarchistes parmi elles. Quand la ville et le pays se sont réveillés, un beau matin, rebelles, révolutionnaires et devant affronter la répression des forces de l’ordre, l’anarchisme local a immédiatement donné une réponse en développant la révolte à partir de la construction de barricades, d’actions de casserolades et des premières créations d’assemblées de quartier ou de métiers autogérées.

Parce que, ne l’oublions pas, les premières assemblées et les premiers conseils sont nés après les barricades et pas le contraire. Sur ces barricades et dans ces assemblées, les anarchistes n’étaient pas majoritaires, ni les seul.es présents, mais ils étaient là. Ils étaient présent.e.s au point que pendant les premières semaines et les premiers mois, quand le Pouvoir voulait lancer une accusation générale, à la recherche d’un coupable, il mentionnait directement l’anarchisme.

Le processus constituant a été lancé au Chili pour réorienter vers la négociation, une situation qui, pour le Pouvoir, se précipitait vers le chaos et le néant, c’est-à-dire à la perte de leurs fortunes millionnaires. Le fond du sujet, c’est que l’élite politique a ainsi donné la priorité à un sujet secondaire voire de troisième ordre pour la révolte, parce que ce n’est pas sur la constitution que les revendications et la colère se portaient mais sur la vie : à défendre d’une répression mortelle (au mois 34 morts entre octobre et mars et plus de 350 violences traumatiques et mutilations oculaire), à défendre du néolibéralisme consumériste et sa politique de la carotte et du bâton (si tu obéis, pas de pénurie, si tu n’obéis pas il y aura pénurie, était la règle au début ; des quartiers privilégiés achalandés, des quartiers rebelles et pauvres à court d’approvisionnement, qui en auraient bavé encore plus sans l’existence et le maintien des marchés libres). La question de la Constituante a été promue de façon spectaculaire avec une ingérence municipale et corporatiste (vous vous souvenez des conseils constituants ?) dans le but de réduire l’importance d’autres sujets. Le changement de constitution était bien une demande mais elle était loin d’être la seule ou d’être la plus importante. Ils ont essayé d’en faire la question centrale et exclusive sans y parvenir. La révolte et la contestation se sont poursuivis avec des manifestations monstre jusqu’en mars 2020, date à laquelle le gouvernement a pu respirer avec soulagement en se disant que la pandémie allait lui sauver la mise, La présence et l’action anarchiste sont inséparables de la révolte. Le processus constituant est issu de cette révolte aussi bien comme suite à donner que comme frein à ce processus révolutionnaire [note].

L’influence sociale de l’anarchisme sur le processus constituant est visible dans l’augmentation des autorisations techniques de candidatures indépendantes pour intégrer des listes, jusque-là réservées aux partis politiques. Ça a été une reconnaissance du poids de des Hors partis et des Anti partis et tout à la fois une façon de reconduire les rebelles antipartis dans le système électoral ; c’est à cet effet que non seulement les candidatures indépendantes ont été autorisées mais que les listes de partis ont voulu intégrer des indépendants comme éléments moteurs.

Hors partis et Antipartis au Chili, depuis l’aube des années 90 du siècle dernier, se sont développé sous l’impulsion de l’anarchisme. Le sentiment antiparti de droite, base idéologique pendant la dictature de Pinochet, a été mis de côté, relégué, quand le gouvernement de la transition s’est retrouvé dans les mains des partis, et notamment les partis de droite. N’oublions pas que l’UDI, née sous la dictature pour soutenir Pinochet lors de son plébiscite de 1988, est le sigle d’Union Démocrate Indépendante. Indépendante des partis. Cette position hors partis, cet "indépendantisme politique" n’a plus été utile pendant la transition et a été abandonné par la droite.

L’anarchisme, en revanche, se fondant sur son expérience sociale des partis servant d’outils de contrôle pendant la transition chilienne, ce qui se traduisait par le contrôle partisan de toutes les organisations sociales existante, depuis les assemblées de quartier jusqu’aux syndicats et aux organisations étudiantes, a développé un mode d’action rebelle efficace qui en appelle à l’autogestion, l’autonomie et l’action directe des organisations sociales en lutte. L’action délétère des partis sur les luttes des mineurs du charbon et sur les revendications des lycéen.ne.s et étudiant.e.s sont un exemple de ce vécu social. La première réponse reconnue par les médias, à cette construction hors partis, ayant à vooir avec l’anarchisme est la création de l’ ACES (Assemblée Coordinatrice des Lycéens de Santiago) en 2000, qui, en 2001, mène sa première action de contestation réussie contre le modèle de transition binominal néolibéral : la campagne "Sac à dos" ou "mochilazo". Depuis lors, le modèle Hors partis et Antipartis anarchiste, se généralise peu à peu, comme allant de soi pour les peuples du Chili, grâce aussi à l’inutilité de fait des partis politiques gouvernants, notamment au cours de la dernière décennie. Se situer hors partis politiques s’est imposé lors des deux rendez-vous électoraux du processus constituant, tout comme l’antiélectoralisme.

L’antiélectoralisme anarchiste a pour origine son choix de modes de participation politique non hiérarchisants, non élitistes, non discriminants, non concurrentiels, fondés sur la coopération, l’intégration et encourageant la créativité, l’expression libre et la capacité de toute personne (ou collectif social) à comprendre les affaires la concernant. C’est pourquoi au vote, au système électoral, l’anarchisme oppose la prise de décisions au consensus, une technique complexe qui demande une certaine pratique et garantit la pleine participation sociale aussi bien pour la prise de décisions que pour les résultats de ces décisions. L’antiélectoralisme anarchiste est stratégique et part d’une proposition concrète : nous voulons décider, pas voter. Cet antiélectoralisme marque la scène politique chilienne depuis des décennies, conforté par des gouvernements de transition qui ont clairement montré que lors des élections on ne décidait de rien qui n’ait déjà été résolu en coulisses par "cuisine" interne.

Cela s’est confirmé avec la baisse très nette des inscriptions sur les listes électorales tant que la loi obligeait à voter (sous peine d’amende) mais pas à s’inscrire. Le système électoral ayant exclu, sans le moindre scrupule, qu’un scrutin puisse être invalidé en raison d’une faible participation, il a cédé face à l’antiélectoralisme majoritaire et déclaré en 2012 le vote non obligatoire. Cela a rendu la situation plus transparente et permis, dans le même temps, aux partis d’améliorer leur démarchage électoral puisque le coprs électoral était devenu un petit marché captif. Pour remédier au vieillissement induit par la non inscription massive sur les listes électorales et attirer par la même occasion les nouveaux leaders politiques nés des luttes étudiantes des années 2010, le système D’Hont a été instauré : il a ouvert les portes du Parlement, clos jusqu’alors par le système binominal pinochetiste, à des partis jeunes, intégrés par des jeunes désireux de faire partie de la "cuisine". Ceux-ci n’ont pas réussi à freiner l’antiélectoralisme, une évidence lors du référendum d’octobre 2020 quand, malgré la motivation politique de la consultation (la possibilité de se débarrasser de la Constitution de Pinochet), ce n’est guère plus de la moitié de la population ayant le droit de vote, qui s’est rendue aux urnes. Et pour l’élection des membres de la Constituante il y a quelques jours, le pourcentage est tombé à moins de la moitié.

La réponse à la question de savoir comment l’opposition parlementaire et les listes les plus radicales d’indépendants ont pu gagner si la participation électorale a baissé, souligne encore l’impact de l’influence anarchiste. Il est important de rappeler que les anarchistes avaient appelé à ne pas voter ou à ne voter que pour les candidatures voulant faire de la Constituante une caisse de résonnance de la révolte. Le discours d’une certaine droite disant que sa défaite est due au fait qu’une bonne partie de son électorat n’est pas allé aux urnes est faux, sciemment faux. Non seulement la droite a été battue mais elle a disparu électoralement parce que ses électeurs n’ont pas voté pour elle, et pas parce qu’ils ne seraient pas allés voter. La participation électorale [note]des 15 et 16 mai a été plus faible que celle du référendum d’octobre, mais pas moindre que d’ordinaire. Il y a donc bien eu un glissement de l’électorat vers la gauche qui est le reflet du tableau social et politique des majorités au Chili qui, influencées par l’anarchisme, ont décalé tout l’éventail politique, y compris électoral, en comprimant la droite.

[A suivre. Partie II et fin]

Traduction Monica Jornet Groupe Gaston Couté FA
PAR : Pelao Carvallo
Membre du Groupe de Travail CLACSO “Mémoires Collectives et Pratiques de Résistance”
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