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par Kristian Williams le 6 juin 2021

Un rapport du renseignement sur « l’extrémisme »

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Sur un même plan anarchistes et milices d’extrême-droite, militaires de droite...

7 avril 2021




Immédiatement après son entrée en fonctions, le président Biden "a chargé le directeur du renseignement national, en coordination avec le FBI et le Département de la sécurité intérieure, d’établir une évaluation exhaustive des menaces sur l’extrémisme intérieur violent ", rapporte le Washington Post. Cette demande fait suite à l’attaque de la droite contre le Capitole le 6 janvier.

Le rapport final, sous le titre «L’extrémisme violent domestique représente une menace qui s’est intensifiée en 2021», a été remis le 1er mars et son bilan, rendu public quelques jours après. La liste des conclusions comprend des observations évidentes - par exemple, les extrémistes sont «motivés par diverses idéologies» et utilisent Internet «pour recruter, planifier et rallier des soutien pour des actions». La dernière page du bilan en revanche, qui liste les «catégorie d’extrémistes violents dans le pays», dresse une typologie inquiétante, établissant le classement suivant :
«Extrémistes violents à motivation raciale ou ethnique», «Extrémistes violents pour les droits des animaux / l’environnement», «Extrémistes violents sur l’avortement», «Extrémistes violents antigouvernementaux / anti-autoritaires» et «Toutes autres menaces de terrorisme intérieur». («Y compris les revendications et croyances personnelles impliquant des préjugés potentiels envers la religion, le genre ou l’orientation sexuelle»).

Le plus frappant dans ce système de classement - apparemment développé par le FBI pendant les années Trump - est son refus pervers de distinguer la gauche et la droite, de regrouper des camps opposés sous des catégories différentes. Les milices de droite, les souverainistes et les anarchistes, par exemple, sont tous répertoriés sous la rubrique «Extrémistes violents anti-gouvernementaux / anti-autoritaires». Les violences raciste et antiraciste sont amalgamées dans «Extrémistes violents à motivation raciste ou ethnique». Les «extrémistes violents sur l’avortement» incluent tout à la fois «les pro-vie et les pro-choix» - en dépit du fait que le FBI serait en mal de signaler une seule violence pro-choix allant plus loin que des menaces en ligne, alors que les fanatiques anti-avortement ont assassiné 11 personnes et tenté d’en tuer 26 autres depuis 1993.

Le système de classement masque également une profonde asymétrie quant à la répartition de la violence à travers le spectre politique, laissant entendre que la gauche et la droite sont équivalentes à cet égard, or il est prouvé que cette insinuation est fausse.
Les personnes de droite recourent beaucoup plus souvent à la violence et avec des effets plus meurtriers. Selon un rapport du Center for Strategic and International Studies, «il y a eu, entre 1994 et 2020, 893 attentats et complots terroristes aux États-Unis. Les terroristes de droite en ont perpétré la majorité - 57% - contre 25% pour les terroristes de gauche, 15% pour les terroristes religieux, 3% par les ethno-nationalistes et 0,7% pour des terroristes animés par d’autres motifs». Il faut remarquer que la part de la gauche dans la violence terroriste est encore surestimée, car elle inclut la destruction délibérée, mais non préjudiciable, de biens par le Front de libération de la Terre; et la violence de la droite est sous-estimée, car «les extrémistes ayant d’autres motivations (comme les partisans du mouvement Boogaloo) et les salafistes-jihadistes», affectés pour chacun de 7 pour cent de la totalité, sont mis à part.

Dans un autre rapport, le SCRS calcule que «les "suprémacistes blancs" et autres extrémistes partageant les mêmes idées ont mené 67% des complots et des attaques terroristes aux États-Unis en 2020», contre «20% pour «les anarchistes, les antifascistes» et autres groupes de gauche affinitaires.

L’amalgame de groupes antagonistes ne suggère pas simplement de façon erronée des niveaux de violence comparables, mais une culpabilité partagée, déplaçant la responsabilité de la violence de la droite vers la gauche. Cela renforce également les préjugés existants de la police, légitimant ainsi leur attitude laxiste à l’égard de la violence raciste et leur vigilance accrue à l’égard de toutes les formes d’activisme de gauche. Malheureusement, cette vision biaisée ne disparaît pas lorsque la police se décide à sévir contre les militants de droite.

Nous devons nous attendre à ce que les autorités saisissent l’occasion actuelle pour intensifier leurs attaques tant à gauche qu’à droite. L’histoire a montré que lorsque la répression s’intensifie, elle a tendance à frapper de manière disproportionnée la gauche et les personnes "non blanches" quelle que soit leur couleur politique., même lorsqu’elle est provoquée par une agression de la droite, Les antagonistes en conflit ne suggèrent pas simplement à tort des niveaux de violence comparables, mais impliquent une culpabilité partagée, déplaçant la responsabilité de la violence de droite vers la gauche.

De toute évidence, le gouvernement américain a répondu à l’attaque terroriste du 11 septembre 2001 - un autre exemple de violence de droite, bien que née à l’étranger - non seulement par une série de guerres sans fin, mais aussi par une répression de l’immigration et une campagne raciste contre les musulmans. Les États-Unis ont également utilisé le 11 septembre pour justifier l’expansion des Joint Terrorism Task Forces du FBI, créant ainsi pour les années à venir un appareil répressif qui a été employé contre les militants écologistes, et pour justifier la création du Department of Homeland Security, qui près de deux décennies plus tard, a été mobilisés pour charger brutalement les manifestants pour une justice non raciste. De même, la principale réponse législative à l’attentat à la bombe de1994 à Oklahoma - massacre de 168 personnes par les "suprémacistes blancs"- a été la loi sur l’antiterrorisme et la peine de mort effective. Cette loi a élargi la peine capitale, limité les recours en appels, réduit l’accès des prisonniers aux tribunaux et jeté les bases pour saper l’habeas corpus - toutes mesures qui portent atteinte de manière disproportionnée aux personnes "non blanches".

Il s’agit d’un vieux schéma qui se répète : quelques mois après son adoption, la loi de 1968 sur les droits civils a été utilisée pour poursuivre les pacifistes, dont Tom Hayden, Abbie Hoffman, Dave Dellinger et le président du Black Panther Party Bobby Seale. Même les lois contre le lynchage - adoptées après des décennies de mobilisation de la communauté "noire" - sont maintenant utilisées pour poursuivre les personnes arrêtées alors qu’elles en aident d’autres à échapper à la garde à vue.

Ce double effet est parfaitement logique, étant donné la tendance libérale à présenter la violence de droite comme un problème « d’extrémisme ». Une approche anti-extrémiste détermine implicitement des extrêmes : le militantisme de gauche et celui de droite ne sont pas seulement traités comme étant équivalents, mais comme étant essentiellement la même chose. Nous avons vu que c’est faux empiriquement, mais aussi moralement : car l’évaluation de la violence ne peut être séparée de l’intention qui la sous-tend. (Même la loi le reconnaît, avec d’importantes exceptions à l’interdiction globale de la violence, pour des raisons telles que la nécessité et la légitime défense.) Un projet de gauche est , en principe, la recherche de l’égalité entre les êtres humains, un projet de droite est la défense de l’inégalité. Cela ne veut pas dire que la violence de gauche est toujours une bonne tactique, ou qu’elle trouve une justification morale, mais cela signifie que même dans le pire des cas, elle doit être jugée différemment de la violence de droite. Il ne saurait y avoir d’équivalence entre la violence d’une révolte d’esclaves et la violence d’un esclavagiste, entre la violence des antifascistes et celle de la division Atomwaffen. Même si nous acceptons la ligne pacifiste selon laquelle la violence représente toujours un mauvais moyen, violence de droite, quant à elle, poursuit également de mauvaises fins. En occultant les différences d’échelle et le but de la violence, la rhétorique anti-extrémiste utilise la violence de la droite pour justifier la répression contre la gauche.

Ceci n’est pas fortuit mais bien inhérent au cadre de "lutte contre l’extrémisme". Comme l’a dit Jane Kinninmont, « les États définissent communément l’extrémisme par rapport à leur propre système politique » Dans les démocraties libérales, «l’extrémisme est défini comme une idéologie opposée aux valeurs démocratiques libérales». Pour le dire plus simplement : « Les extrémistes sont des gens que les gens du centre n’aiment pas.» L’anti-extrémisme est tout simplement un centrisme en tenue de combat.

Au cours du dernier demi-siècle, le libéralisme - politiquement, quoique pas toujours philosophiquement - a pris le parti du centrisme ; le centrisme, à son tour, développe ses propres préjugés anti-libéraux, recourant à des mesures autoritaires et cherchant à étouffer la dissidence. Le but de l’anti-extrémisme est de réduire la portée du discours politique, d’exclure les idées radicales avant qu’elles puissent être examinées.

La leçon pour la gauche - et le défi pour elle- est qu’on ne peut compter sur l’État pour neutraliser la droite, et qu’on doit résister à l’expansion de l’appareil répressif de l’État, même dans les moments où il vise nos ennemis. En même temps, cela ne doit pas nous entraîner dans une alliance avec la droite insurrectionnelle, même s’il nous arrive de subir des agressions similaires de la part des mêmes agents du gouvernement. Il ne s’agit pas de choisir le moindre mal ou d’équilibrer des nécessités concurrentes mais de comprendre, en revanche, que nous menons une guerre sur deux fronts.

par Kristian Williams, publié par Truthout

Kristian Williams est l’auteur de Our Enemies in Blue : Police and Power in America ("Nos ennemis en bleu : Police et Pouvoir aux États-Unis, AK Press, 2015)

Note de la traductrice : les catégories "noir" et "blanc" étant, de mon point de vue, imaginaires et fondées sur le racisme, je prends le parti de mettre des guillemets pour traduire fidèlement mais sans me trahir ; et l’expression "de couleur" suscitant chez moi un refus sans appel, je prends le parti de traduire par "non blanches", toujours entre guillemets. Monica Jornet Groupe Gaston Couté FA
PAR : Kristian Williams
in Truthout
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