Management et démocratie participatifs
Note de la rédaction : Cet article comporte un certain nombre de notes intéressantes mais longues. Nous prenons le parti de n’intégrer qu’un court extrait des notes dans l’article lui-même tout en les numérotant pour vous inviter à les retrouver dans leur intégralité à la suite de l’article.
Si, pour définir des moments de l’histoire politique, l’on image son propos en déclarant qu’il y eut la « République des avocats », celle du cartel de « trois têtes normaliennes », celle « des énarques », l’on peut alors se risquer à affirmer que nous sommes désormais dans la « République des communicants et des directeurs des ressources humaines ». Entre l’univers de l’entreprise et les méthodes de management de l’actuel gouvernement, il y a une inspiration commune, un langage, une approche et un mode opératoire de même nature. «Management participatif » et « démocratie communicationnelle » se traduisent par l’exercice d’une expertise s’appuyant, pour obtenir l’adhésion du salarié comme du citoyen, sur des « groupes de parole ». C’est un mode opératoire.
Que ce soit en entreprise dans « la gestion de la paix sociale » ou au niveau local dans « la gestion communale de la paix civile », l’usage de la parole « participative » dans les modes d’exercice du pouvoir est sans doute une pratique politique qui caractérise le mieux les méthodes de management dites « des ressources humaines » à l’époque du « toyotisme [note] », dans le courant des années 80, 90. Dans la langue managériale qui est le sien, on y parle avec gourmandise de « gérer ses collaborateurs » comme on « gère son temps », « les flux », « ses objectifs » et « la marge brute ». Cette nouvelle forme de « rituel du déparlé [note] » met en scène une pratique sociale que bien peu interroge. Le (bon) groupe est un moyen de pression efficace sur les individus [note] . Pour qui sait le manœuvrer, une fois les rétifs écartés, la « mise en œuvre du plan d’action » reprendra à son compte les principes « du centralisme démocratique ». Car, c’est aussi la réactualisation du bon vieux principe bolchévique de « la courroie de transmission [note] » qui est, comme on dit, revisité. La manipulation des affects rehausse cette bonne vieille méthode d’une petite touche « humaniste » de bon aloi. En se réclamant d’un esprit « participatif » et de la « démocratie » du même nom, l’illusion d’une « gestion » à l’écoute du terrain se drape dans le manteau de « la technique communicationnelle ».
De quoi s’agit-il au juste. La méthode est simple. Elle consiste à faire parler ceux que vous gouvernez afin que la tension émotionnelle s’apaise et que le public se rallie « à la bonne décision », la vôtre donc, en se persuadant qu’elle vient de lui. Mais mieux encore, enfin devenu raisonnable, le « bon groupe » se persuade qu’il est en capacité d’estimer « la grande valeur » du projet proposé (par le chef de bureau ou le Maire et son « fan club »).
L’apprentissage de ces techniques – l’esprit et la lettre - fait partie du cursus des cadres supérieurs et de nombreuses formations y sont consacrées. L’animation de groupes de parole – comme principe de base du contrôle de ses tensions - sont présentés comme la panacée de « la modernité ». Cercles de qualité, groupes projets, groupes de résolution de problème, groupes de progrès groupes défis … participent de la même pratique, celle de l’exercice du pouvoir. Or, il semble que ces pratiques de « gestion des groupes » ne soient pas sans évoquer le triptyque du pervers narcissique : séduire, manipuler, dominer ; « séduire pour manipuler et manipuler pour dominer ». D’une façon générale l’art de la séduction manipulatrice caractérise ce que l’on nomme management. [note]
Sans doute influencée par la « programmation neurolinguistique » dont raffolent le marketing et les animateurs de «forces de vente » cette « technique opérationnelle » s’appuie sur une écoute stratégiquement « bienveillante » (une procédure en somme) [note] . Toute une littérature à la recherche de l’efficacité immédiate en vante les mérites et en propose « la méthode ». Littérature, mais aussi stages, séminaires, formations, accompagnement par un cabinet conseil dont certains assistent les équipes municipales désireuses de mettre en place des groupes de parole afin d’améliorer la gestion humaine des citoyens y compris avec, son avatar, « la démocratie digitale ».
« Ce sont, chers collègues, des outils formidables », dit l’animateur s’adressant à un auditoire avide de méthodes « pragmatiques et efficaces » et surtout facile à mettre en œuvre. Une méthode « packagée » dans une enveloppe qui, malgré sa minceur conceptuelle, passe pour « théorique ». Procédés de « gestion des équipes » qui peuvent avoir recours à des notions aussi douteuses que celles de « cerveau droit et cerveau gauche », auxquelles viennent s’ajouter quelques emprunts à l’analyse transactionnelle dont les combinaisons mécaniques « parent, enfant, adulte » et la découverte de « l’enfant intérieur », ravissent « les utilisateurs » en quête de protocoles de communication « efficace ». Ces « savants » audacieux n’hésitent pas à parler avec la même gourmandise, « d’activation frontale gauche » et (racolant Spinoza pour l’occasion) « d’affects positifs » [note] . Un bout de ceci, une pincée de cela, une poignée de pourcentage et hop, le tour est joué [note] . On y rencontre pèle mêle, sous forme de lieux communs le plus souvent consternant d’infantilisme, un vague relent de ce que jadis l’on nommait, tout en la moquant, de «sagesse populaire » (donner pour recevoir, le verre à moitié plein…, un tien vaut mieux que deux tu l’auras, s’aimer soi-même... Flaubert en eut fait un admirable dictionnaire). Le poncif et les considérations convenus sont élevés au rang de beaux-arts. Certains consultants et formateurs ajoutent, deux doigts de yoga « pour les nuls ». Pour charpenter le tout, on diluera une pincée de vulgate pseudo-philosophique [note] – pas trop compliquée tout de même et vite assimilable. Et comme aux rayons produits frais du supermarché à chacun de remplir son chariot à sa convenance en puisant dans le grand bazar du « new âge » [note] . Ce nouvel imaginaire social réclame son dû. Une inspiration variable, au gré de son appétit et des modes [note] ou des effets de la séduction des opérations marketing plus ou moins sophistiquées qui, de façon plus ou moins déclarée, assurent la promotion de « la méthode » (des « Cercles de qualité » jusqu’aux « Groupes de résolution de problème » et sa déclinaison communale appelée, allez savoir pourquoi, « Conseil des habitants »). On s’amusera en coulisses de la naïveté des volontaires et leur absence de malice ravira les maitres de l’art. Ce dont témoignent les conventions et autres consultations « citoyennes » [note] initiées par l’esprit managérial.
Là où cette « gestion managériale de la parole » puise sa vigueur, ou à tout le moins les apparences de sa légitimité, c’est précisément dans le sentiment diffus qui nous saisit lorsque nous nous coulons dans le flot de ses formules toutes faites à propos de la « démocratie » (un chef de bureau ou un adjoint au Maire un peu formé et pas trop maladroit se gargarisera des discours qui valorisent de telles pratiques – le narcissisme du maitre et l’hystérie des disciples [note] s’entretiennent mutuellement. Elles s’apparentent à un déparlé institué « que l’on formule » dans une sorte d’illusion groupale [note] qui participe de l’adhésion « aux propositions de la direction ou du groupe (variable selon sa sociologie et son noyau idéologique) qui vient de s’emparer du conseil municipal ». Il est en effet nécessaire d’interroger sa composition – et sa fonction - si l’on veut se démarquer des « modes opérationnels » qui précisément caractérisent cette sorte de « recettes ». Leur « évidence », « pour l’homme dans le siècle », est si forte qu’elle se présente à nous sous la forme d’une donnée, intangible et universelle, ayant partie liée, nous dit-on, avec la « gestion des hommes ». La langue de l’animateur, bande son de ses diaporamas animés, de ses Pareto, de ses chiffres et courbes multicolores -, cette langue morte qui est la sienne, toute conquérante qu’elle soit, nous sera étrangère, à jamais étrangère.
Le langage est pour ainsi dire contaminé par cette approche stratégique «de la gestion des relations humaines ». Où, pour le dire autrement, c’est de la fonction sociale du langage comme substrat de l’idéologie qui est à considérer avec un certain recul. L’on dira, par exemple, que « l’on négocie » alors que l’on ne laisse aucun choix à son interlocuteur et que l’on cherche, en usant astucieusement de l’écoute active transformée en artifice manipulatoire, à imposer «intelligemment » une décision qui, bien évidemment, est avantageuse pour l’intérêt bien compris de celui qui en use pour « atteindre ses objectifs personnels ». Sans doute que le sens de ce mot a, lui aussi, à ce point été modifié par l’usage managérial, qu’il signifie désormais l’exact opposé de ce qu’il était censé décrire. Jadis, une négociation décrivait une recherche, par un jeu de concessions mutuelles, d’un accord entre deux parties. Aujourd’hui, dans l’entreprise et dans la gestion municipale, il désigne un art « de l’adhésion », voire dans le meilleur des cas de la « vente » ou, si l’on veut s’en tenir à un rang plus noble, en une vague évocation des sophistes d’antan, de « la persuasion » (en d’autres temps, sans doute plus franc du collier, on employait le mot « propagande »). Il permet à la partie hiérarchique de faire adhérer à sa proposition ses collaborateurs, sans avoir besoin de recourir à la brutalité d’une injonction trop ostensiblement autoritaire. La brutalité sirupeuse du DRH (Directeur des ressources humaines) ou du premier adjoint agira dans le sens d’un enfermement dans « la langue managériale » avec la complicité active des prosélytes. La culture du bon sentiment leur donne ce côté « gentil » qui les rend aimables [note] .
Et le lundi matin en réunion de service ou avec le « fan-club » de la Mairie, lorsqu’on nous bassinera avec « les synergies», qu’on nous parlera de « résistance au changement » ou encore de « loyauté », de « travail en équipe ( être une good team) », « de respect » et « de motivation », sachant qu’il faut bien sûr n’ attacher aucune importance à ces proférations qui signifient l’exact opposé de ce qu’elles prétendent afficher, nous nous garderons bien, sachant que leur pouvoir de nuisance et la stigmatisation bonne enfant sont la manifestation du sérieux de leur menace. De la même manière le vocabulaire guerrier ressortit de la naphtaline par le gouvernement, en employant solennellement le mot « guerre », fut lui aussi abondamment utilisé, lors de l’effondrement économique de 2008. Les managers pour « motiver » (et menacer) « leurs troupes » employés l’expression « mobilisation générale ». Ils la proféraient sur tous les tons et appelaient au sacrifice de chacun. Parce que en temps de guerre on obéit et que, par devoir, l’on ferme sa gueule, le mensonge [note] , sur fond d’incurie (masques, dépistages, vaccins), est justifié et fait partie de la stratégie « communicationnelle », car en pareille circonstance la fin justifie les moyens – une forme moderne de la casuistique jésuite, en somme. Et si ça résiste, taper et si nécessaire taper fort [note] (opération fitness, plans sociaux, plans de départ volontaire, fermetures d’usines, chasse aux syndicalistes, chasse aux rétifs et aux incrédules, stigmatisation du personnel de production et de leur tradition héritée du mouvement ouvrier…).
Mais, quoi que nous fassions, vient un temps ou comme dans un pays sous domination coloniale, nous sommes contraints d’user de ses idiomes face aux autorités. Fussent-elles patientes vis à vis de nos approximations, le manque d’enthousiasme qu’elles perçoivent de notre part dans son maniement sera implicitement pointé du doigt et éveillera la méfiance de nos pairs, eux qui par crainte de la contagion seront parfois conduits à faire du zèle comme on en entend en réunion de service, de conduite de projet, et autour de la photocopieuse - vous savez le cagibi à gauche au fond du couloir, là où se croisent, après 19 heures, les plans de carrière au zénith de leurs ambitions. Nous sentons bien que la modernité et son avenir passent par la maitrise de cette langue dont l’usage est un signe de reconnaissance. Il faut alors donner le change… et survivre, coûte que coûte.
Jean-Luc DEBRY
Retour aux notes
1) Le toyotisme a tout d’un compromis entre la course aux gains de productivité et la gestion financière des flux. Les principes de la méthode Lean Manufacturing (5S, SMED, TPM, KAIZEN), poussèrent les dirigeants, via tout un ensemble de formations, de méthodes et de procédures, à s’appuyer sur les ouvriers eux-mêmes (requalifiés à l’occasion d’opérateurs) pour, grâce à leur concourt, « optimiser en permanence leur poste de travail » c’est àdire en accroître le rendement et la rentabilité. Et c’est ainsi que le systéme de santé fut gravement détérioré par les adeptes de « la méthode».
2) « Déparler, mot inconnu du Robert, mais présent dans Littré, signifie discontinuer de parler, ne pas cesser de parler. » Les gens qui déparlent ne disent rien. (F. Roustand, in « il suffit d’un geste, Odile Jacob, 2004). Il ya en effet une grande différence entre « parler avec » et « parler à » et une encore plus grande avec l’usage stratégique de la parole - « autrement dit : « communiquer ». Les techniques qui transforment cette pratique en instrument politique sont largement inspirées par la volonté de s’inscrire dans une démarche fondée sur la servitude volontaire des participants.
3) « Je ne m’attends jamais à des miracles du coté des opposants. Quoiqu’un opposant « retourné » est souvent le meilleur des ambassadeurs. Les neutres, ils suivent. Donc tout repose, on s’en doute, sur une masse critique de croyants et une dynamique forte de leur coté. Et ce qui m’inquiète le plus c’est de voir des « croyants » lâcher prise… » Bertrand Duperrin est Head Of People and Delivery chez Emika France. Il a la charge des programmes visant au développement du capital humain et (sic) à la performance organisationnelle.
4) En juillet 1930, le XVIe congrès du PCUS charge les syndicats officiels d’organiser la mobilisation des travailleurs en vue d’obtenir les résultats définis par la planification centralisée du Parti. C’est à dire, augmentater les cadences et accroitre les rendements. Bref , le mot d’ordre est « stakhanovisme et discipline militaire ». Dans cette optique, le syndicat est une courroie de transmission du haut vers le bas. Le Parti impose ses mots d’ordre et ses directives à la masse des travailleurs. Ce qui n’était que le prolongment des directives léninistes du IX congrés de mars 1920 au cours duquel Lénine déclara : « Aussi, faut-il un lien avec les syndicats, une organisation du Comité central lui permettant de connaître les nuances non seulement des 600 000 membres du parti, mais aussi des 3 000 000 de syndiqués, et de les diriger à tout moment comme un seul homme ! » Un patron du CAC40 ne dirait pas autre chose à ses DRH.
5) « Une logique de coaching collectif », dit la présentation d’un programme de formation intitulé Leadership managérial. La consultante, coach certifiée (si, si, ça existe !), travaille à la fois, dit-elle, « sur les méthodes pour développer son leadership et aide chacun à faire de sa personnalité un atout managérial. » Et de prendre soin de préciser qu’elle « utilise des outils pour aider chaque participant à se développer personnellement. Ces outils sont réutilisables par les participants avec leurs collaborateurs. Où l’on cherche, grâce à « une remise en cause bienveillante » à « enthousiasmer une équipe performante pour la prochaine période, remobiliser un collaborateur qui baisse les bras… »
6) Les jésuites furent les maitres de la stratégie de l’acculturation utilisée à des fins missionnaires, comme par exemple en Chine au XVI e et au XVII e siècle. Alors que la Compagnie est fondée en 1539, le père jésuite François Xavier, un proche d’Ignas de Loyola, est aux Indes orientales dès 1541 et meurt aux portes de la Chine en 1552. Expansion économique et domination spirituelle coïncident.
7) En 2011, Alexandre Jost crée La fabrique Spinoza, « une association de promotion de l’action positive ». Le bonheur tel qu’il l’envisage y est, bien entendu, « intégré dans les projets des entreprises et des institutions » (fabriquespinoza.fr). L’Université du Bonheur au travail (UBAT) en 2017 (3 jours, 3 thèmes, 3 espaces) proposait, peut-on lire sur le bandeau de présentation de la manifestation, une pédagogie innovante avec une véritable immersion apprenante, et son slogan était « Libérez le bonheur dans votre organisation ! ». « Les savoir-agir (sic) de coopération, audace, créativité et bienveillance sont les ingrédients pour surfer vers l’organisation heureuse. Ces « savoir-être » en équipe seront activés en “travajouant” dans les étapes du jeu "HAPPY LAND". L’objectif de l’Université qu’ils organisent avec le soutien de nombreux mécènes est formulé ainsi : « permettre à chacun de passer de l’intention à l’action et devenir un passeur de bonheur au travail dans son organisation. »
8) Lire l’article de Lebaron Frédéric, « Vers une économie du bonheur ? », Savoir/Agir 3/2009 (n° 9)revue trimestrielle de l’association Raisons d’agir.
9)« Devenez le meilleur grâce au développement personnel des gens intelligents » proclame Olivier Roland sur son blog en citant Be proactive de Steve Pavlina dont la phrase-résumée de son livre Le développement personnel pour les gens intelligents, sous-titré La Poursuite Consciente de la Croissance Personnelle – les majuscules s’imposent - est ainsi présenté : « Être heureux signifie être parfaitement accordé avec les principes universels de la Vérité, de l’Amour, du Pouvoir, et de ses dérivés, l’Unité, l’Autorité, le Courage et l’Intelligence ; ce livre nous guide vers un meilleur nous-même en nous exposant la théorie et la pratique de chacun de ces principes. ». Et notre guide ajoute, je cite, « Certains de ces concepts peuvent vous sembler être du bon sens. Ainsi, le principe de la Vérité est compris intuitivement par les scientifiques, le principe d’Amour est commun à toutes les religions majeures, et le principe du Pouvoir est omniprésent dans les entreprises et les gouvernements.
10) « Communication non violente », « groupes de croissance personnelle » fleurissent à l’ombre des « méthodes de développement personnel » et leurs méthodologies sont celles de « la gestion d’équipe » comme il y a, disent-ils, « une gestion de soi » ...
11) L’essor spectaculaire du Mouvement du potentiel humain commence en 1961 avec la fondation de l’institut Esalen à Big Sur, en Californie. Esalen deviendra dans les années soixante le point de convergence des nouvelles thérapies dites humanistes et pompeusement qualifiées de transpersonnelles, comme la gestalt-thérapie de Fritz Perls, et la thérapie non verbale de Bill Shultz et plusieurs autres (le filon semble inépuisable). Source : Martin Geoffroy, Pour une typologie du nouvel âge article publié dans la revue Cahiers de recherche sociologique, no 33, 1999, pp. 51-83. Montréal.
12) « Le grand débat » fut l’occasion dans nos campagnes d’aller écouter pérorer le député du coin. Celui qu’on ne voit jamais et qu’on ne reverra pas avant les prochaines élections. Les maires prirent le relais et déposèrent en préfecture près de 10 000 cahiers de doléances, appelés dans le jargon officiel « cahiers citoyens ». Des pages manuscrites, registres, cahiers à spirales ou feuilles libres, numérisés à la Bibliothèque nationale de France (BNF) puis remis aux archives départementales. Dans cent ans les anthropologues se régaleront.
13) Pour Baudrillard (De la séduction, Gallimard, 1988), le narcissique équivaut à une séduction incestueuse. Il précise en pointant ce qui se trame dans la pratique sociale de ce simulacre, « je serais votre miroir signifie, je serais votre leurre ». On retrouve dans cette équivalence la manifestation des pratiques managériales qu’elles soient appliquées par un chef de service idéologiquement convaincu de la nécessité d’user de pareils artifices ou par un élu se gargarisant de « démocratie participative » à la façon d’un commerçant ventant la qualité de sa marchandise. Situation où Narcisse engage avec son image un dialogue semblable à celui de Sosie face à Mercure dans Amphitryon de Molière. Un chef de service, ou un animateur de groupe de parole communale, pourraient tenir les mêmes propos face à son double narcissique (le groupe). « Qui va là ? » demande Mercure (le gentil animateur), « moi » lui répond son Sosie (le bon groupe), lequel précise aussitôt pour qu’il n’y ait aucun doute, « je suis moi » et « mon sort est de parler ». Une jouissance qui séduit. Nous y trouvons des avantages et soutenons qu’elle est le signe d’une « démocratie » désirable.
14) Didier Anzieu, Le groupe et l’inconscient : l’imaginaire groupal (1975), Dunod, 1999
15) « Mme Pénicaud, ministre, elle-même ancienne DRH, a eu un comportement exemplaire lors de la controverse “5 à 12” au Parlement (rejet par la majorité d’une proposition de loi visant à prolonger de cinq à douze le nombre de jours de congé pour les parents venant de perdre un enfant). Elle y a combattu cette proposition au nom de l’“intérêt de l’entreprise”. Avec comme supplétive une députée du Var qui a si justement déclaré : « Quand on s’achète de la générosité à bon prix sur le dos des entreprises, c’est quand même un peu facile. »
On sent à quel point les DRH ont à cœur l’intérêt général, leur profond humanisme. Et on se dit qu’il en faudrait plus au gouvernement (il y aurait seulement trois anciens DRH en comptant Mme P.) » extrait d’un article mis en ligne le 7 février 2020, sur le blog des correcteurs du Monde : Sauce piquante.
16) Après des mois de « mensonge » de la part de la direction qui, la main sur le cœur, assurait que ce n’était pas à l’ordre du jour, la fermeture de l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois a finalement eu lieu à l’automne 2013. En 2017, sans complexe ni état d’âme, Sibeth Ndiaye la porte-parole du gouvernement a vraiment déclaré à l’Express : « J’assume de mentir pour protéger le président de la République ». Pour eux, gouverner c’est mentir. Et au quotidien cela relève d’un sentiment d’appartenance à ceux qui « comptent ».
17) Les personnels soignants, les enseignants et tous ceux qui ont osé relever la tête et résister aux politiques économistes dévastatrices pour des régions entières en savent quelque chose. Sans parler de la férocité de la répression qu’eurent à subir les gilets jaunes – 2 500 blessés, dont 22 personnes ont perdu un œil et cinq ont été amputées d’une main. A ce propos lire : « Cinq mains coupées », de Sophie Divry, Seuil.
18) La théorie du ruissèlement se concrétise par un crachat qui, après chaque intervention d’un membre de l’équipe au pouvoir, glisse lentement sur le visage de ceux à qui, bon Prince l’on proposera un traitement qui consiste à s’essuyer mutuellement, via un groupe de parole comme on le fait pour les addictions les plus sévères. Car, c’est ainsi, dit-on entre esprits éclairés, que l’on « neutralise la culture de la plainte ».
1 |
le 6 février 2021 06:30:17 par Feather and Pebble |
Merci au ML pour la publication du texte de JL Debry dont l’analyse pourrait convoquer à un débat sur Radio Libertaire.
Bossant dans une boîte du CAC40, la propagande patronale, foisonnante, diffusée à des dizaines de milliers de salarié.e.s comme moi se tapent en "réunion d’équipe" ou par "messages digitaux", à longueur de journée, depuis des années, est la même que celle qui arrive sur les ondes de la télévicon.
Cela a été d’autant plus flagrant au début du "1er confinement", tant les discours du PDG étaient composés exactement de la même façon que ceux de Macron, pour appeler, "de tous ses vœux à la solidarité entre tous les ouvriers et les cols-blancs", sic, tandis que l’autre, depuis son QG élyséen, avait clamé la solidarité nationale.
"le respect, la bienveillance, la solidarité" des mots au service du seul intérêt des dominants mais déjà bien imprégné chez les travailleur-se-s.