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par Transnational Social Strike Platform • le 25 janvier 2021
Notre révolte trans nationale pandémique : Organiser les luttes en Europe et au-delà
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traduction de l’anglais Monica Jornet Groupe Gaston Couté FA
Comment est-ce que nous pouvons lutter sur une échelle transnationale et pourquoi est-ce si important ? Cette question nous hante depuis la création de notre plateforme TSS. Avec les années, nous avons essayé d’y répondre en soutenant les initiatives politiques transfrontalières sur des terrains aussi déterminants que l’organisation de l’exploitation, la reproduction sociale et le travail des migrant.e.s. Nous avons vu clairement que le défi transnational ne peut se contenter d’être un simple reflet du plan international. En choisissant ce nom, nous avons voulu signifier que l’internationalisme ne suffit pas à appréhender l’interconnexion actuelle des luttes et des mouvements sociaux. La perspective transnationale est donc à la fois le nom d’une position politique et celui d’un défi pour l’avenir. Le transnational n’est ni la somme des espaces nationaux, ni même la simple reconnaissance des interdépendances. Le transnational est l’espace politique dans lequel nous vivons, la caractéristique des hiérarchies qui exploitent nos vies et la dimension de nos luttes. Le transnational est ce qui fonde les chaînes de pouvoir concrètes contre lesquelles nous luttons. Depuis que nous avons lancé le défi et le projet de la Plate-forme TTS, nous nous sommes embarqués dans différentes voies de luttes dans le but de faire remonter le transnational à la surface, de le rendre visible et d’en tirer une action politique commune. Aujourd’hui, nous pensons être plus près de répondre à notre démarche initiale.
Nous avons misé sur la pertinence politique de la grève parce que telle est, à notre sens, la forme que les tensions grandissantes prendront sur les lieux de travail et sont le plus susceptibles de s’étendre à toute la société pour devenir un mouvement social plus large. Aujourd’hui, le fait que la grève soit la forme de lutte la plus puissante et un outil de convergences des luttes différents sujets est un avis largement partagé.
Après "Une journée sans nous" en 2006 aux États-Unis et en 2010 en Italie, en France et dans d’autres pays européens, les grèves des migrant.e.s ont montré qu’une nouvelle politisation et socialisation de la grève était possible, franchissant les portes des usines pour gagner la société. En même temps, lorsqu’elle prend la forme de la grève, l’insubordination sociale revient sur les lieux de travail et y produit de nouvelles formes de conflit social. Par des luttes portant tout à la fois contre l’exploitation, le racisme institutionnel et la violence aux frontières, les migrant.e.s ont rendu visible la nécessité d’étendre les luttes ouvrières et de s’attaquer aux conditions qui leur sont imposées par les lois des États, les politiques européennes et les accords internationaux.
Les grèves des travailleur.e.s dans plusieurs usines européennes et américaines Amazon, qui se sont multipliées pendant la pandémie, démontrent depuis 2015 la nécessité d’une communication transnationale pour lutter contre un géant mondial, ce qui rend possible de faire face aux filiales nationales et locales et aux hiérarchies sociales qui permettent aux entreprises multinationales de surfer sur les différences pour imposer leurs propres règles.
La grève des femmes, depuis en 2016 en Pologne, d’abord un mouvement local de contestation de la soumission des femmes et de la violence masculine, est vite devenue un mouvement féministe mondial qui a contesté le système patriarcal global à la base de la reproduction sociale néolibérale.
Ces mouvements n’ont pas seulement signifié le retour de la grève, ils ont montré la dimension que notre initiative devait cibler. En tant que plate-forme TSS, nous avons considéré l’Europe comme notre premier champ de lutte, mais nous avons souligné la nécessité de recadrer l’échelle de l’initiative politique des mouvements sociaux pour la porter au-delà des limites des frontières institutionnelles de l’UE. Quand nous nous sommes engagé.e.s dans la contestation de la Banque centrale européenne, nous avons compris que le pouvoir de l’UE était déjà en train de se déplacer de son centre institutionnel vers une exploitation plus complexe où la région de l’Europe de l’Est et ses "faubourgs" jouent un rôle clé. Après avoir organisé la première réunion TSS à Poznan, en Pologne, en 2015, nous nous sommes investis politiquement dans la connexion des luttes dans les régions de l’Est, de la Géorgie à la Bulgarie et à la Slovénie. Regarder l’UE depuis les pays de l’Est et depuis ses pays limitrophes a été une façon de distinguer les liens et les connexions entre des problèmes et des luttes qui autrement apparaissent comme des faits isolés. Changer de perspective nous a permis de mettre en évidence l’intégration structurelle entre les usines et les entreprises de logistique qui emploient des travailleurs détaché.e.s et des travailleurs migrant.e.s à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE ; les chaînes transnationales de soins et de reproduction sociale dont les femmes - surtout les migrantes - ont la charge ; et les différentes conditions liées aux salaires, aux contrats et aux avantages qui constituent le marché du travail transnational européen et le contexte de notre réseau croissant de luttes essentielles. Porter son attention sur ce marché du travail différencié est également une façon de commencer à avoir prise sur l’énigme politique du Brexit : loin de se limiter à un processus institutionnel, le Brexit est en train de secouer le marché du travail, en impactant les formes de mobilité des migrant.e.s européens et non européens, les chaînes de production et la perturbation des marchés financiers.
Le COVID-19, un virus qui ne connaît pas de frontières, qui affecte la mobilité humaine et circule dans les réseaux logistiques, nous a mis une fois de plus devant la nécessité de faire face à une réalité transnationale complexe et organisée. La réponse à la pandémie, organisée par les États et le capital, a tenté de ne pas arrêter l’économie tout en limitant tout ce qui est considéré comme n’étant pas strictement nécessaire à cet objectif. La liberté est désormais explicitement mesurée en termes de productivité : tant que la pandémie n’est pas terminée, nous dit-on, nous devons accepter des limitations à nos libertés, sauf celle d’être exploité.e et de garantir la production.
En même temps, avec la promesse de fournir ainsi une stratégie de sortie de la crise COVID-19, les institutions mondiales proposent des prêts qui obligeront de nombreux pays à réduire les services publics et les salaires dans les années à venir. De nouvelles dépendances se mettent en place derrière les récits de la pandémie. L’austérité n’est pas terminée au niveau mondial, mais en Europe, comme aux États-Unis, les plans de relance injectent des billions de dollars dans les dépenses publiques comme jamais au cours des décennies précédentes. L’objectif principal est d’éviter une nouvelle récession mais les gouvernements tentent, dans le même temps, de maintenir l’ordre dans la société et d’éviter un mécontentement plus large. Dans certains pays, les licenciements ont été temporairement suspendus, du moins pour ceux et celles ayant un contrat de travail, des fonds de chômage ont été institués, les expulsions ont été reportées. Pourtant, dans le but affiché d’éviter les rassemblements ou d’assurer la continuité des services essentiels, les entreprises allongent la durée de la journée de travail, restructurent les équipes, exigent une plus grande flexibilité et imposent des charges de travail plus lourdes. Avec l’explosion du commerce on line, la pression sur les entrepôts, les transporteurs et les livreurs ne cesse d’augmenter, et la distanciation sociale est devenue un nouveau moyen de contrôler les travailleurs essayant de se réunir et de s’organiser. Tandis que certains sont mis au télétravail, d’autres sont engagés avec des contrats de quelques jours seulement afin de répondre à la demande du marché et de faire face au nombre croissant de commandes en ligne. Aujourd’hui, les politiques de relance tiennent pour acquis que le travail domestique repose sur les épaules des femmes et s’appuient sur les femmes migrantes - très souvent exclues des prestations de relance - pour servir, dans tous les cas, de bouche-trous. Le travail des femmes migrantes, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’UE, est le principe occulte qui permet de chercher à résoudre l’urgence en développant le recours aux boulots malins et en pressant les travailleurs essentiels. Et alors que l’Europe a quasiment fermé ses frontières aux migrant.e.s, les obligeant à effectuer des trajets dangereux pour traverser la mer, les montagnes et les rivières, dans différents pays, un système d’accueil défaillant, qui est le résultat direct de la réaction européenne à la vague migratoire de 2015, est devenu un nouveau réservoir de main-d’œuvre bon marché, les demandeur.e.s d’asile étant même employé.e.s comme travailleur.e.s temporaires. La pandémie a montré que, dans l’espace transnational dans lequel nous vivons, la violence patriarcale et raciste, les lois et les mesures contre les migrant.e.s et les femmes, les limitations à la liberté de mouvement et à la liberté sexuelle, ont des répercussions majeures sur les conditions de travail de chacun.e et sur la capacité de chacun.e à s’organiser.
Dans notre camp, la réponse à la pandémie a été large et variée. Les blocages, les grèves, les mouvements de contestation ont particulièrement marqué la première vague de la pandémie : des entrepôts d’Amazon aux usines métallurgiques, des centres logistiques aux services, des migrant.e.s protestant contre les conditions de vie dans les centres d’accueil aux femmes occupées dans les chaînes de soins. À partir de ces luttes, nous devons nous demander quel type de politique transnationale, nous devons activer pour contrecarrer le renforcement des hiérarchies existantes d’exploitation et d’oppression du fait de la gestion de la pandémie par les États et le capital. Des luttes de migrant.e.s sont en cours pour obtenir un permis de séjour européen inconditionnel et illimité afin de franchir les frontières imposées par les politiques nationales et supranationales en matière de migration ; nous assistons à des grèves continues, bien qu’isolées, d’infirmières, de travailleurs domestiques, de travailleurs sociaux, d’agents de nettoyage, principalement des femmes, qui protestent contre l’exploitation au travail en tant que travailleurs essentiels jointe à la violence patriarcale ; dans les entrepôts de toute l’Europe et au-delà, les travailleurs et travailleuses luttent pour des salaires plus élevés et une plus grande sécurité au travail. Ce qui est en jeu, c’est la consolidation d’une plate-forme politique où toutes ces expériences puissent interagir et se renforcer. En tant que plateforme TSS, nous pensons que c’est le défi qui nous attend. Nous pensons que la perspective des luttes locales et nationales reste limitée et que nous devons profiter de la pandémie pour renforcer nos capacités transnationales et mondiales. Après la crise financière de 2008, les révoltes et les soulèvements se sont multipliés, on constate que leurs participant.e.s font partie de mouvements sociaux qui ne sont nullement locaux ou nationaux mais qu’il ont des ennemis transnationaux, et s’attaquent à des problèmes transnationaux qui ont des résonances au-delà des frontières. Le combat va être dur, mais nous ne pouvons pas laisser passer une autre crise pour nous replier sur un terrain sûr. Après des années de révoltes contre le programme néolibéral, le racisme institutionnel, le patriarcat et l’autoritarisme, l’heure est venue de prendre au sérieux l’échelle transnationale de l’exploitation et d’en faire notre principal espace d’action.
Au cours des dernières années, nous avons accumulé de nombreuses expériences qui ont réinventé la grève en tant que mouvement social, migrant et féministe et ont montré la possibilité de lutter à l’échelle transnationale. En nous fondant sur ces expériences, nous devons continuer à discuter et à organiser la grève transnationale comme un processus et non plus seulement comme un événement unique. Si nous voulons que notre voix collective devienne protagoniste de la réalité post-pandémique, si nous voulons perturber la reproduction des hiérarchies d’exploitation, si nous voulons libérer notre force, nous devons mettre en lumière les processus transnationaux qui façonnent même nos expériences quotidiennes. Nous devons continuer à construire les connexions transnationales qui animent notre propre plate-forme politique. Nous voyons notre lutte comme étant en relation avec la révolte contre l’oppression raciste et en lien structurel avec l’exploitation qui secoue les États-Unis depuis des mois. Au-delà même de la communication directe qui fait le lien entre les luttes dans les entrepôts d’Amazon ou les manifestations de Black Lives Matter outre Atlantique, ces mouvements sont une manifestation supplémentaire de la circulation transnationale des grèves et de l’insubordination actuelle. La grève sociale transnationale est essentielle car elle s’attaque aux conditions sexistes et racistes de la production et de la reproduction sociale dans le cadre d’une organisation plus vaste de l’exploitation. La grève sociale transnationale est plus essentielle que jamais.
PAR : Transnational Social Strike Platform
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