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par Aline Pires • le 11 janvier 2021
Et la Pub, c’est pour les chiens ? N°2 La sexualité
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Article extrait du Monde libertaire n°1823 de décembre 2020
Comment faire de la pub pour un article attaquant la pub ? Disons que c’est de la réclame… A lire donc cette réflexion sur la présence du corps féminin dans la publicité… (Le ML)
Le corps féminin dénudé et sexuellement suggestif est sur-représenté dans la publicité (6 fois plus que le corps masculin, selon une étude du Geena Davis Institute on Gender in Media menée entre 2006 et 2016), et apparaît sur tous les supports pour vendre quasiment n’importe quel type de produit, on en a tou.te.s fait l’expérience.
« […] photos licencieuses qui fleurissent en Europe pendant tout le XIXe siècle et vendent alors l’image de femmes légères, sexuellement disponibles, et qui transgressent à la fois la morale judéo-chrétienne et les enjeux de transmission du patrimoine bourgeois […] »
Quelles sont les origines et les conséquences d’un phénomène aussi massif, et quelles réflexions peut-il susciter - qui nous mènent un peu au-delà des réactions épidermiques, qu’elles soient enthousiastes comme celle d’un Séguéla se réjouissant en 1994 que « les français renouent avec le désir » sur les écrans publicitaires, ou au contraire de réprobation puritaine face au moindre sein qui dépasse ?
Revenons d’abord en 1972, avec un livre prophétique intitulé Apocalypse et révolution (republié récemment aux Editions de la Tempête), écrit par Giorgio Cesarano et Gianni Collu, qui y décrivent avec lucidité l’ultime ruse du capitalisme qui, confronté à la finitude des ressources physiques exploitables sur terre, se métamorphose pour survivre à cette crise en annexant le « capital humain » :
dans un processus devenu infini de marchandisation de l’image de soi, chaque aspect de la vie sociale y compris dans ses ressorts les plus intimes est désormais exploitable par le capital et source de plus-value, chacun se transformant désormais en entrepreneur de sa propre vie et de sa personnalité.
C’est dans le cadre de ce processus de marchandisation de l’image, y compris intime de soi, appuyé par l’émergence des techniques et industries de l’image (photo, cinéma et maintenant réseaux numériques) que se constitue et s’installe progressivement dans le paysage occidental une image commerciale hypersexualisée et dépersonnalisée de la femme, en particulier à travers ses avatars publicitaires.
A l’origine, les reproductions imprimées de photos licencieuses qui fleurissent en Europe pendant tout le XIXe siècle et vendent alors l’image de femmes légères, sexuellement disponibles, et qui transgressent à la fois la morale judéo-chrétienne et les enjeux de transmission du patrimoine bourgeois codifié par le mariage pesant alors lourdement sur la vie sociale.
« Quelques succès publicitaires plus tard, la doxa selon laquelle le sexe fait vendre est née. »
Cette image de la femme « affranchie », d’objet marchandisé du désir devient, vite et durablement, argument de vente pour d’autres produits qu’elle-même.
Pour les publicitaires, elle permet d’atteindre 2 objectifs cruciaux : 1/capter l’attention pour l’attirer sur un produit, et 2/associer ledit produit à des affects censés être positifs – de désir pour le public masculin, d’identification pour le public féminin.
C’est le cas par exemple des Chérettes, du nom de leur créateur parisien Chéret, qui vantent par exemple en 1894 par voie d’affiches le vin Mariani, à destination d’un marché américain qui s’en inspirera, entre autres sources, pour créer le stéréotype de la Pin-up (littéralement, la femme qu’on épingle au mur, mais aussi, celle qui vous épingle par la promesse érotique).
Quelques succès publicitaires plus tard, la doxa selon laquelle le sexe fait vendre est née, et aucune révolution sexuelle ni évolution des mœurs ne se produira désormais sans être reprise par un discours publicitaire hyper attentif par opportunisme aux évolutions sociétales dans le domaine.
Mais plutôt que de vous décrire par le menu l’évolution des représentations de genre et comment les as de la publicité mangent à tous les râteliers, et draguent sans complexe et simultanément les machos, les homos, les bobos ou les féministes pour conquérir de nouvelles parts de marché en explorant le terrain de l’érotisme ou du porno-chic, j’ai eu envie de faire un pas en arrière, et de m’intéresser à la question du consentement.
Plusieurs études démontent évidemment le simplisme comportementaliste selon lequel l’association entre un produit et l’évocation d’une promesse érotique ferait systématiquement vendre.
Des chercheuses italiennes des départements de Psychologie sociale de Padoue et de Trieste ont ainsi montré récemment dans une étude parue dans la revue Sex Roles que la sexualisation des publicités est en fait en grande partie inefficace d’un point de vue marketing, génère, en particulier chez les femmes, des sentiments négatifs, et provoque des dégâts sociaux importants en termes de frustration et d’image de soi face aux corps dépersonnalisés, stéréotypés et retouchés mis en avant par la publicité.
Mais plus largement, en mettant en scène l’intimité des corps et la promesse érotique à des fins commerciales, les publicitaires manipulent en permanence notre consentement.
Dans une émission récente sur le sujet, France inter estime à en moyenne 1 200 le nombre de messages publicitaires vus par jour par chacun d’entre nous.
Impossible de se soustraire à cette effraction constante de nos sens et de nos consciences.
A l’inverse d’une relation de séduction réelle, au cours de laquelle l’accès à l’intimité d’un ou plusieurs autres toujours singuliers et uniques, est suspendu et conditionné à un accord et un dialogue, le matraquage publicitaire force constamment par le son, l’image, le mouvement, notre accès à une intimité que nous n’avons pas appelée à se dévoiler, et simule ainsi des situations de séduction fantasmatiques pour lesquelles notre consentement n’est jamais interrogé.
C’est la définition d’un viol – le viol publicitaire - et la sidération que trahit la faiblesse des réactions de défense de la société civile face à ce qu’on peut appeler, plus pudiquement, « l’hyper stimulation promotionnelle » semble indiquer que c’est bel et bien de cela qu’il est question...
Aline Pires
Et la Pub, c’est pour les chiens ? N°2 – La sexualité
Emission Un poing c’est tout du 18-10-2020 sur Radio Libertaire
PAR : Aline Pires
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le 14 janvier 2021 02:23:54 par Mel |
Le lien pour écouter l’émission : [LIEN]