-Comment voyez-vous la contestation en cours dans son ensemble ? La violence du régime, de pire en pire, est-elle en passe de détruire le mouvement ou bien pensez-vous au contraire que la révolution ait une chance de l’emporter ?
Les mouvements sont pour l’heure pour la plupart "pacifiques". Cela signifie non seulement que les personnes ne sont pas violentes mais aussi qu’elles ont peur d’enfreindre la loi ou un règlement quel qu’il soit. Les manifestations se déroulent surtout sur les trottoirs et les personnes observent toutes les règles de circulation et ainsi de suite.

En ce moment, le mouvement a reculé et se retrouve au même point qu’au mois de juillet dernier. Nous pouvons descendre dans la rue et organiser de petites manifestations, mais les initiatives plus massives se heurtent à la répression de la police. La violence sur la voie publique de la part des flics est devenue habituelle mais, cela dit, n’est pas aussi caractérisée que lors de la période post-électorale. C’est pourquoi elle ne provoque plus tellement de contestation. Le régime est passé d’une répression à grande échelle à une répression plus ciblée. Les organisateurs les plus actifs sont arrêté.e.s, dans les usines, les universités et autres lieux.

La victoire n’est pas assurée. Certaines personnes avaient parlé de notre victoire et de l’impossibilité de notre défaite ; mais nous voyons, justement en ce moment, que la balance est en train de pencher lentement en faveur du pouvoir. Les manifestations régionales s’amenuisent et font rarement l’objet de rendez-vous réguliers. Seule la capitale connaît encore des initiatives plus ou moins organisées.

-Les groupes anarchistes tels que le vôtre occupent une place significative au sein des forces de la contestation. Pourriez-vous nous brosser un tableau de l’état de la culture et de la lutte anarchistes en Biélorussie ? De quelle façon le régime s’est-il affronté à vous par le passé ?
Non, les anarchistes ne sont pas une fraction significative au sein des manifestations. Au cours des dix dernières années, le mouvement anarchiste a essayé de survivre dans un cadre de répression constante. En ce moment, il y a entre 50 et 100 anarchistes dans tout le pays, qui compte 10 millions d’habitants. Donc nous sommes véritablement un groupuscule. Organisé mais en effectif réduit.

Au cours des mouvements de contestation passés, les anarchistes ont été des participants actifs qui se sont donc retrouvés plus particulièrement dans le collimateur de la police. La plupart d’entre nous vit au quotidien la répression. Par exemple, beaucoup d’entre nous ont dû quitter leur domicile plusieurs semaines avant les élections pour éviter les arrestations préventives.

-Pour entrer dans le détail, quelle influence les personnes anarchistes ont-elles eu dans les mouvements actuels de contestation ? Convergez-vous avec d’autres forces de gauche ?
Les anarchistes ont eu la plus grande influence dans la rue aux premiers jours de la révolte pendant les heurts avec la police (construction de barricades etc). Avec la distension, les tactiques de contestation ont changé et les voix de la paix sont devenues plus fortes.

Actuellement les anarchistes sont un groupe marginal dans la contestation, un groupe qui reçoit des retours positifs de la part des manifestant.e.s, mais rien de plus.

Il n’y a pas de forces de gauche dans ce pays. Le parti communiste classique soutient Lukashenko. Les marxistes n’ont jamais fait de retour à cause du passé soviétique et parce que l’on associe fortement l’Union Soviétique et la dictature actuelle.

-Au-delà de la chute de Lukashenko, quels sont les objectifs de la contestation ? Comment devrait et pourrait être une Biélorussie post-Lukashenko?
A part la démission de Lukashenko, les gens réclament des poursuites contre les responsables des violences policières et des tortures en prison. Une autre revendication est celle d’élections transparentes.

La Biélorussie ne deviendra pas libertaire de par cette révolution. Les mouvements de contestation ont beau avoir été massivement auto-organisés, ils ne vont pas encore dans le sens d’un abandon de l’État. En tout cas, la décentralisation du pouvoir est l’une des revendications les plus populaires parmi les manifestant.e.s.

Tout le monde comprend que ce n’est pas seulement Lukashenko mais l’appareil dictatorial tout entier qui doit être démantelé, mais il n’y a pas autant de personnes pour comprendre le moyen pour y arriver.

-Quel est votre message au monde ? Et, en particulier, comment les Européen.ne.s devraient-ils/elles réagir pour soutenir votre cause révolutionnaire, que ce soient les politiques ou l’opinion, et notamment les groupes de gauche et les anarchistes ?
Le monde… Je pense que le monde, avant de prendre clairement une décision, devrait faire des recherches sur ce qui se passe actuellement en Biélorussie. Il y a encore trop de personnes qui pensent que Lukashenko est en train de combattre l’impérialisme occidental et qu’il est formidable.

Les politiques d’Europe ont un infime pouvoir sur ce qui se passe actuellement en Biélorussie. Donc les déclarations symboliques sur les violations des droits humains et la merde [sic] du même genre ne feront aucune différence.
La solidarité, sous forme d’actions politiques et de collecte de fonds, est extrêmement importante aujourd’hui. Ce ne sont pas la CIA et l’Union Européenne qui vont consacrer des fonds à la contestation, donc il revient à tout-un-chacun de soutenir la révolte contre la dictature.

Et à l’adresse des personnes de gauche en général : s’il vous plaît, arrêtez de nous écrire sur la CIA, le Mossad et tout autre théorie complotiste que vous aurez lue. Si vous êtes anarchistes, suivez ce qui se passe dans le pays. Écrivez à vos ami.e.s. Venez directement en Biélorussie voir ce qui s’y passe !