Luttes syndicales > Pas de trêve estivale pour les luttes
Luttes syndicales
par Leïla Hicheri (Liaison William Morris, F.A., Paris) • le 5 août 2020
Pas de trêve estivale pour les luttes
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En ce début du mois d’août, il est bon de rappeler que les vagues combattives continuent de déferler si ce n’est sur les plages, tout du moins dans les rues.
À Paris, petit florilège au temps du chassé-croisé entre juilletistes et aoûtiens...
Samedi 1er août, arrivée devant le petit buffet festif monté sur le trottoir histoire d’aguicher les passants et de remplir la caisse de grève, je me tourne vers un jeune homme qui fait oeuvre de porte-parole. Refus de rupture conventionnelle, refus de reconnaissance des compétences et savoirs-faire acquis, refus de revalorisation des salaires ; volonté d’ouvrir le dimanche, volonté d’individualiser les requêtes ; intimidation des grévistes, organisation d’entretiens individuels, versement de primes arbitraires. Diviser pour mieux régner, manipuler : voici le cocktail classique des dominants, bu à satiété par les dominés depuis des décennies de luttes. Bienvenue dans le monde merveilleux des deux magasins parisiens du réseau Biocoop - Retour à la terre. Leur directrice, militante charismatique et très engagée dans le choix des producteurs et la traçabilité des produits, n’en est pas moins une patronne. « De gauche ! » comme elle aime à le rappeler régulièrement auprès des salariés, ainsi que me le rapporte ironiquement un gréviste. Version matriarcale du patron gérant son entreprise en bon père de famille... Version mère maquerelle, en l’occurrence, ayant salué l’engagement sans faille de ses équipes pendant le confinement sans ajouter un centime à leur fiche de paye. Il ne faut jamais se montrer trop reconnaissant et humain face aux travailleurs ; les mauvaises habitudes se prennent vite. Payer de mots les exploités, voilà la très grande générosité des patrons. Ne manquent plus que les images, les gommettes – et les médailles.
Lundi 3 août au matin, le capitalisme vorace et destructeur ne me laisse même pas le temps de boire mon café tranquille. À peine réveillée donc, je pars à la rencontre des invisibilisés, ces livreurs sans papiers de l’entreprise de livraison de plats à domicile Frichti, en grève depuis des mois. En bons patrons, les directeurs et responsables de l’entreprise divisent les grévistes, hiérarchisent les demandes selon la loyauté et l’ancienneté de leurs esclaves, embauchent, virent, suppriment les comptes de la plateforme, indemnisent au petit bonheur la chance. Malheur à celui qui est arrivé trop tôt ou trop tard dans l’entreprise ; malheur à celui qui n’est pas en cheville avec le bon syndicat ; malheur à celui qui, etc. Devant la presse, posture habituelle et éculée : « nous ne savions pas, etc. », « ce sont les sous-traitants, etc. », « des enquêtes internes ont été diligentées, etc. ». Le blabla habituel, pitoyable, effroyable, méprisant, pervers, sadique, des dominants. En cette douce matinée estivale, une dizaine d’employés marocains, algériens et tunisiens assurent un piquet de grève devant une des succursales de Frichti dans le 9e arrondissement de Paris. Pas de syndicat. Pas de délégué. Pas d’association. Juste un mégaphone « SUD ». À peine arrivée, je me vois entourée par ces hommes qui, je le comprends très vite, ont besoin de parler, qu’on entende leurs revendications, leur combat. Qu’ils se sentent exister dans les yeux d’autrui, pas seulement comme des esclaves anonymes, aussi peu considérés par les clients qu’un bras articulé robotisé, mais comme des personnes. La même fébrilité se perçoit dans leurs mots qui s’entrechoquent, dans leurs récits si semblables : ils veulent être vus comme des êtres humains, intègres, pas des criminels sans foi ni loi. Un exilé, un réfugié, un sans-papiers n’est pas un délinquant. Que feraient nos belles sociétés capitalistes sans ces esclaves rétribués à peine quelques euros de l’heure ? Ont-il rêvé enfants d’un exil loin de leur famille ? Ont-il rêvé enfants d’être des esclaves en Europe ?
Lundi 3 août au soir, terminons cette journée par une petite victoire ! Dans la nuit du 29 juin 2020, une centaine de migrants mineurs isolés, uniquement de jeunes garçons, a dressé des tentes dans le square Jules Ferry dans le 11e arrondissement. Face à l’incurie des pouvoirs publics, ces représentants républicains, et notamment des conseils départementaux d’Ile-de-France, un comité de cinq associations (Comede, MSF, Timmy, Midis du MIE, Utopia 56) sont montés au front pour que l’État français respecte (enfin, encore, toujours) les conventions européennes et internationales dont il est signataire. Qui sont ces enfants, ces mineurs que l’on rencontre souriants ou hagards, jouant aux cartes avec des bénévoles ou plongés dans des manuels scolaires, sous leurs tentes, sous le kiosque à musique transformé en espace convivial et artistique ? Quelles raisons les ont poussés à quitter leur pays ? L’enfant serait-il un oiseau migrateur ? Les réponses, nous les connaissons tou.te.s ; de leur parcours d’exilés, nos yeux et nos esprits gardent les images, les sons, les hurlements, les récits terrifiants découverts dans la presse, les reportages, les rencontres. Des violences juridiques et administratives qu’ils subissent, nous savons l’absurdité et l’inefficacité des tests effectués pour définir leur âge, les mois d’attente, la peur de basculer au cours de leur parcours vers la majorité légale, la vie dans la rue à subir violences physiques et psychologiques, la difficulté ou l’impossibilité de suivre une scolarité, le mépris ou l’indifférence des passants, etc. L’exil, encore moins pour des mineurs, n’est pas un choix. Que les fameux pouvoirs publics fassent leur travail car les associations, elles, ont depuis longtemps fait le leur ! Victoire. En ce lundi 3 août, une réponse positive sera (enfin) proposée : un immeuble sera « identifié » en Ile-de-France pour accueillir ces adolescents... mais il est encore en travaux ! En attendant, ces derniers seront logés dans des gymnases. La bénévole de MSF avec laquelle je me suis entretenue n’est pas ravie outre mesure. Juste soulagée, sachant combien son travail n’est qu’une goûte d’eau, certes essentielle, dans le parcours infernal de ces jeunes qu’on préfère ne pas voir. Ont-il rêvé enfants d’un exil loin de leur famille ? Ont-ils rêvé enfants de passer leurs nuits sur le bitume parisien ?
Qu’ont en commun les employés grévistes de Biocoop - Retour à la terre, les migrants mineurs, les livreurs sans papiers de Frichti ? Pas de vacances pour leurs luttes. Pas de repos sous le soleil d’une maison familiale ou amicale. Leurs vies, la justification même de leurs existences est entre les mains de personnes qui ne se contentent plus de faire leur travail, de remplir leur mission ou de faire tourner l’économie. Mais comme à l’époque du pouce levé vers le haut ou vers le bas des empereurs romains graciant ou condamnant les gladiateurs, leurs vies ne tiennent qu’à l’arbitraire de personnes qui ont sur eux le droit de vie ou de mort.
Leïla Hicheri (Liaison William Morris, F.A., Paris)
À Paris, petit florilège au temps du chassé-croisé entre juilletistes et aoûtiens...
Samedi 1er août, arrivée devant le petit buffet festif monté sur le trottoir histoire d’aguicher les passants et de remplir la caisse de grève, je me tourne vers un jeune homme qui fait oeuvre de porte-parole. Refus de rupture conventionnelle, refus de reconnaissance des compétences et savoirs-faire acquis, refus de revalorisation des salaires ; volonté d’ouvrir le dimanche, volonté d’individualiser les requêtes ; intimidation des grévistes, organisation d’entretiens individuels, versement de primes arbitraires. Diviser pour mieux régner, manipuler : voici le cocktail classique des dominants, bu à satiété par les dominés depuis des décennies de luttes. Bienvenue dans le monde merveilleux des deux magasins parisiens du réseau Biocoop - Retour à la terre. Leur directrice, militante charismatique et très engagée dans le choix des producteurs et la traçabilité des produits, n’en est pas moins une patronne. « De gauche ! » comme elle aime à le rappeler régulièrement auprès des salariés, ainsi que me le rapporte ironiquement un gréviste. Version matriarcale du patron gérant son entreprise en bon père de famille... Version mère maquerelle, en l’occurrence, ayant salué l’engagement sans faille de ses équipes pendant le confinement sans ajouter un centime à leur fiche de paye. Il ne faut jamais se montrer trop reconnaissant et humain face aux travailleurs ; les mauvaises habitudes se prennent vite. Payer de mots les exploités, voilà la très grande générosité des patrons. Ne manquent plus que les images, les gommettes – et les médailles.
Lundi 3 août au matin, le capitalisme vorace et destructeur ne me laisse même pas le temps de boire mon café tranquille. À peine réveillée donc, je pars à la rencontre des invisibilisés, ces livreurs sans papiers de l’entreprise de livraison de plats à domicile Frichti, en grève depuis des mois. En bons patrons, les directeurs et responsables de l’entreprise divisent les grévistes, hiérarchisent les demandes selon la loyauté et l’ancienneté de leurs esclaves, embauchent, virent, suppriment les comptes de la plateforme, indemnisent au petit bonheur la chance. Malheur à celui qui est arrivé trop tôt ou trop tard dans l’entreprise ; malheur à celui qui n’est pas en cheville avec le bon syndicat ; malheur à celui qui, etc. Devant la presse, posture habituelle et éculée : « nous ne savions pas, etc. », « ce sont les sous-traitants, etc. », « des enquêtes internes ont été diligentées, etc. ». Le blabla habituel, pitoyable, effroyable, méprisant, pervers, sadique, des dominants. En cette douce matinée estivale, une dizaine d’employés marocains, algériens et tunisiens assurent un piquet de grève devant une des succursales de Frichti dans le 9e arrondissement de Paris. Pas de syndicat. Pas de délégué. Pas d’association. Juste un mégaphone « SUD ». À peine arrivée, je me vois entourée par ces hommes qui, je le comprends très vite, ont besoin de parler, qu’on entende leurs revendications, leur combat. Qu’ils se sentent exister dans les yeux d’autrui, pas seulement comme des esclaves anonymes, aussi peu considérés par les clients qu’un bras articulé robotisé, mais comme des personnes. La même fébrilité se perçoit dans leurs mots qui s’entrechoquent, dans leurs récits si semblables : ils veulent être vus comme des êtres humains, intègres, pas des criminels sans foi ni loi. Un exilé, un réfugié, un sans-papiers n’est pas un délinquant. Que feraient nos belles sociétés capitalistes sans ces esclaves rétribués à peine quelques euros de l’heure ? Ont-il rêvé enfants d’un exil loin de leur famille ? Ont-il rêvé enfants d’être des esclaves en Europe ?
Lundi 3 août au soir, terminons cette journée par une petite victoire ! Dans la nuit du 29 juin 2020, une centaine de migrants mineurs isolés, uniquement de jeunes garçons, a dressé des tentes dans le square Jules Ferry dans le 11e arrondissement. Face à l’incurie des pouvoirs publics, ces représentants républicains, et notamment des conseils départementaux d’Ile-de-France, un comité de cinq associations (Comede, MSF, Timmy, Midis du MIE, Utopia 56) sont montés au front pour que l’État français respecte (enfin, encore, toujours) les conventions européennes et internationales dont il est signataire. Qui sont ces enfants, ces mineurs que l’on rencontre souriants ou hagards, jouant aux cartes avec des bénévoles ou plongés dans des manuels scolaires, sous leurs tentes, sous le kiosque à musique transformé en espace convivial et artistique ? Quelles raisons les ont poussés à quitter leur pays ? L’enfant serait-il un oiseau migrateur ? Les réponses, nous les connaissons tou.te.s ; de leur parcours d’exilés, nos yeux et nos esprits gardent les images, les sons, les hurlements, les récits terrifiants découverts dans la presse, les reportages, les rencontres. Des violences juridiques et administratives qu’ils subissent, nous savons l’absurdité et l’inefficacité des tests effectués pour définir leur âge, les mois d’attente, la peur de basculer au cours de leur parcours vers la majorité légale, la vie dans la rue à subir violences physiques et psychologiques, la difficulté ou l’impossibilité de suivre une scolarité, le mépris ou l’indifférence des passants, etc. L’exil, encore moins pour des mineurs, n’est pas un choix. Que les fameux pouvoirs publics fassent leur travail car les associations, elles, ont depuis longtemps fait le leur ! Victoire. En ce lundi 3 août, une réponse positive sera (enfin) proposée : un immeuble sera « identifié » en Ile-de-France pour accueillir ces adolescents... mais il est encore en travaux ! En attendant, ces derniers seront logés dans des gymnases. La bénévole de MSF avec laquelle je me suis entretenue n’est pas ravie outre mesure. Juste soulagée, sachant combien son travail n’est qu’une goûte d’eau, certes essentielle, dans le parcours infernal de ces jeunes qu’on préfère ne pas voir. Ont-il rêvé enfants d’un exil loin de leur famille ? Ont-ils rêvé enfants de passer leurs nuits sur le bitume parisien ?
Qu’ont en commun les employés grévistes de Biocoop - Retour à la terre, les migrants mineurs, les livreurs sans papiers de Frichti ? Pas de vacances pour leurs luttes. Pas de repos sous le soleil d’une maison familiale ou amicale. Leurs vies, la justification même de leurs existences est entre les mains de personnes qui ne se contentent plus de faire leur travail, de remplir leur mission ou de faire tourner l’économie. Mais comme à l’époque du pouce levé vers le haut ou vers le bas des empereurs romains graciant ou condamnant les gladiateurs, leurs vies ne tiennent qu’à l’arbitraire de personnes qui ont sur eux le droit de vie ou de mort.
Leïla Hicheri (Liaison William Morris, F.A., Paris)
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Liaison William Morris, F.A., Paris
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1 |
le 7 août 2020 17:31:45 par Luisa |
Merci de rappeler la réalité, le quotidien pluriel de milliers de personnes qui crèvent juste de vouloir vivre !