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Chroniques du temps réel
par Pierre Sommermeyer and Co le 8 avril 2020

Hier, mardi 14 avril ... suite des chroniques du confinement (4e semaine)

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un journal du confinement qui insiste

Mardi 17 mars, midi. Nous entrons dans une période de confinement contraint et nécessaire. Et ça vous fait quoi d’être confiné ? Sur proposition de Pierre, chaque jour un témoignage personnel sur le jour d’avant.



Chroniques au jour le jour

14/04/2020
Autour du vide.
Il y a quelques jours on sonne à ma porte. En ces temps de confinement, cela me surprend, mais c’est une femme que je connais, elle habite l’immeuble, fait partie du Conseil syndical, et en est même la Présidente. Elle me tend une pochette plastique en me disant : « Tenez, ce sont des masques de protection. On peut dire merci à l’Église protestante ! » Effectivement, la pochette contient trois masques bleus accompagnés d’un dessin, plutôt réaliste, représentant le bras d’un homme au-dessus de la mer dont la main agrippe dans l’eau celle d’un autre homme, et l’on aperçoit au loin une barque surchargée, d’où l’on imagine que ce dernier vient de tomber. Sur le dessin, figure la mention : « N’aie pas peur, Jésus t’aime », également écrit en chinois, signé Église protestante chinoise. Tout de suite, j’aimerais la rassurer : je n’ai pas peur et pour autant ne pense rien devoir à Jésus !
Ce matin, pour la première fois, j’ai donc fixé un masque sur mon visage, avant d’aller faire mes courses. Je peux affirmer que ce n’est guère pratique à porter, surtout avec des lunettes d’où émerge parfois, irrégulièrement, une légère buée sur mes verres. Sans doute le masque est-il mal positionné, mais j’ai aussi l’impression que Jésus opacifie mon regard, il n’y a rien d’étonnant à cela.
C’est muni de cette nouvelle protection que je me retrouve (à 1 m 50) derrière une jeune fille d’à peine vingt ans, blonde, cheveux longs, dans la queue obligée d’une soixantaine de mètres avant de pouvoir entrer dans le Monoprix en bas de chez moi.
Ce qui me frappe immédiatement en la voyant, c’est qu’elle est en pyjama, à motifs géométriques – enfin, je ne vois que le bas de ses jambes – et robe de chambre unie, grise, peut-être beige, avec socquettes blanches et sandales de bains. Sa robe de chambre pourrait passer pour un manteau, mais non, il s’agit bien d’une robe de chambre avec une ceinture. Voilà qui est curieux, elle était habillée comme ça chez elle il y a quelques instants, et la voici dehors à présent, sans qu’elle ait songé à enfiler des vêtements adéquats pour une sortie en ville, fut-ce dans un magasin d’alimentation. Autre curiosité, presque anachronique, elle porte des gants ménagers en plastique bleu qui remontent amplement sur ses poignets. Je ne pense pas qu’il s’agisse de sa part d’un manque de goût, mais plus vraisemblablement, c’est qu’elle s’en fout.
Au bout de quelques instants, arrive une de ses copines avec qui elle était en train de parler au téléphone. Les deux restent ensemble côte à côte, parlant un peu fort et riant. Sa copine, elle, est habillée d’un jean et d’un sweat. La première, celle en pyjama et robe de chambre, se retourne constamment comme pour vérifier qu’elle ne connaît personne dans la queue qui ne cesse de s’allonger à cette heure de la matinée. Je m’aperçois ainsi qu’elle a un anneau dans le nez et un autre sur la lèvre inférieure. Mais on dirait que ces coquetteries métalliques la gênent, car elle les effleure fréquemment avec ses gants. Je me dis que ça n’est pas prudent. Cette jeunesse me surprend, pour qui l’intimité n’a pas de frontière avec l’extérieur, qui se fiche du paraître et qui voit les gens sans les voir.
Yannick Haenel pourrait juger cette anecdote vide de sens, du moins, telle que je peux la relater. Oui, car cet auteur dont j’aime l’écriture est un chroniqueur hebdomadaire à Charlie Hebdo dont Leïla a attiré notre attention sur son papier du 1er avril intitulé « Le néant comme chance ». Il y dénonce le vide qui nous habite et que nombre d’entre nous reportons à sa plus grande irritation dans nos journaux de confinement, « ils puent la connerie qui s’ennuie », écrit-il, « quand bien même ils détailleraient joliment notre inertie et documenteraient notre désarroi ».
Les choses sont dites. Mais le roublard Haenel a la prudence de s’inclure dans son jugement : « Leur vie (la mienne aussi, soyons juste) est néant », s’exonérant par là même de la critique d’élitisme, voire de classe, qui ne manquerait pas de lui tomber dessus. Il faut dire que cet ancien pensionnaire de l’Académie de France à Rome, à la Villa Médicis, a « eu des extases longues, des angoisses cinglantes, des conversations inouïes, des ivresses colossales » (Le sens du calme, 2011). Difficile de faire mieux en aussi peu de mots et pour le coup, il est sans conteste plus malin, car lui, il est rétribué pour sa chronique à Charlie !
Haenel affirme que notre néant nous protège, puisqu’il nous maintient en vie mais, éclairé, il nous enjoint cependant à sortir de notre servilité : « Faisons de notre néant actuel une victoire, ne revenons pas en arrière » en nous délivrant du marché, « ce vrai virus planétaire ». On peut lui être gré du vœu qu’il professe. Aurait-il lu Kropotkine et son livre Agissez par vous-même, chez Nada, un recueil d’articles parus dans le journal londonien Freedom, que j’ai acheté récemment à Publico (notre librairie chérie) et que je termine aujourd’hui ? Déjà en 1886, Kropotkine sentait « La révolution qui vient » en appelant à un nouveau départ. Se pourrait-il que nous soyons à un moment charnière où rien ne sera plus comme avant, où nous devrons trouver de nouvelles manières de vivre ? « L’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes », un virus serait-il assez puissant pour nous contraindre à réagir au néant vers lequel nous fonçons ?
En l’état, le Président compassionnel, après avoir reconnu un manque de préparation dans la gestion de l’épidémie, a estimé avec optimisme que le déconfinement pourrait débuter dans quatre semaines, ce qui nous laisse encore du temps pour méditer sur la déconfiture du pouvoir.
Seule note d’espoir, il est question d’un accord sur la baisse des salaires en ligue 1 de football français, soit 50 % de salaire en moins sur les salaires des joueurs supérieurs à 100 000 € par mois ! Ah mais non, pardon, je m’égare, il s’agit simplement du paiement différé des salaires, les sommes concernées seront restituées dès la perception par les clubs de l’argent lié aux droits de retransmission télévisée – le vide a encore de beaux jours devant lui !
Alain Eludut. Groupe Pierre Besnard


13/04/2020
Rubrique du confinement 14 avril
Bientôt un mois. Un mois que les cocus sont au balcon (vieux slogan de mai 68) ! Un mois bientôt et on commence à chlinguer sévère le confiné. Enfin, le refermé si vous voulez. Ou, un peu le moisi, ou encore, le ranci, le chanci, le croupi, le gâté, le langui, (au choix). On commence aussi à avoir un peu mal au dos, à pianoter et lire toute la journée. Et comme disaient nos parents dans les années 60 : « Vous allez vous faire mal aux yeux à lire comme ça ! » Quand donc rouvriront les piscines, les parcs ? On va finir par devenir feignasses à force… Les nerfs aussi commencent à se resserrer, qu’on le veuille ou non. Les coups de gueule plus fréquents à deux (et je suppose encore pire à un, à trois ou à quatre ?). Et puis, un peu chiant à la longue, le tour récurrent du pâté de maison le soir. Ça donne quand même l’occasion de remarquer que quelques petites choses ont changé, toutefois. Des petits détails. Moins de sourires. Plus de nonchalance dans la façon de marcher. Des regards fuyants et autres comportements bizarres qu’on essaie de ne pas remarquer, comme la nouvelle mode du pas de côté en se croisant ! Et puis, quand on croise des potes, on a moins de choses à se raconter, forcément. Plus de cinoche, plus d’expos, plus de pièce de théâtre. Sur certains balcons (ceux sans cocus, partis au vert), on aperçoit des plantes en manque d’eau, des fleurs fanées. La fameuse, odeur des fleurs pourries un jour de cafard, de la divine Damia ! Quant au courrier, je ne sais pas si vous avez remarqué, ou alors je fais exception, mais depuis le confinement et la distribution des lettres au compte-goutte, je n’ai reçu que des envois estampillés République française, indiquant les nouvelles variantes du marché du gaz ou pour nous rappeler de ne pas oublier de déclarer la conso d’électricité, genre flicage Linky… Rien d’autre. Plus de bouquins pour le ML (le Rat Noir de la bibli va bientôt être à sec), ni refus d’éditeurs, ni même une petite carte postale, chose devenue aussi rare que les perles, depuis la toute-puissance des sms. Dernière anecdote négative pas triste. L’autre jour, j’allais acheter ma bibine du soir dans un magasin de proximité. Je me range derrière une jeune femme qui me regardait un peu de travers, sûrement parce que j’étais démasqué. En plus, elle me dit très aimable : « Vous ne savez pas que les nouvelles mesures de sécurité, sont passées à deux mètres ? » J’essaye de lui dire de se calmer, d’être plus cool et voilà qu’elle se met à hurler, oui vraiment à hurler dans le petit magasin : « Et puis arrêtez de me parler. Et arrêter de respirer comme ça à côté de moi ! » Je vous jure que c’est vrai, je n’aurais pas assez d’imagination pour l’inventer ! J’ai commencé à me fendre la tronche, et ben, figurez-vous que j’ai eu droit à un brin de morale de la part du caissier qui m’a dit : « En ce moment les gens sont fragiles, il n’y a pas de quoi rire. » J’étais très triste ce jour-là, en sirotant ma bière comme un con devant le square de la Roquette et devant des grilles fermées. Bon, dont acte, plus le droit de rire, donc ! Mais, ne restons pas sur un échec social. Restons positifs, nous les séropositifs ! (au fait, en parlant de ça, j’ai comme l’impression que le -Monsieur qui sait tout et trouve du travail en traversant la rue-, nous a piqué notre slogan « Le sida c’est la Guerre, Act-Up en colère ! »), il se l’est approprié pour le virus qui courre comme le Furet-des-Bois-Mesdames. Voleur de slogan, vas ! Un slogan comme ça, ça ne se trouve pas en traversant la rue, tiens ! Mais, qu’est-ce que je disais déjà ? Ah, oui, je disais qu’en regardant bien, il y en a du positif. Par exemple, ma revanche perso sur l’agence immobilière en face de mon immeuble. Au moins, je ne vois plus la sale gueule des trois vendeurs de biens immobiliers, très lookés, petite queue de cheval sur le dessus de la tête obligée, qui proposent aux bobos friqués (qui savent traverser les rues, eux !), des appartements rénovés à 2 000 000 d’euros, avec des commissions forfaitaires au minimum de 10 % sur les plus petites surfaces ! Sur leur vitrine, quelqu’un que je voudrais embrasser (!) a incrusté sûrement avec un poinçon « Pour les riches ». Simple et efficace et ce n’est pas un effet du confinement, c’est là depuis des lustres. Et je me demande, surpris à chaque fois que je passe devant ce bazar à revendre notre quartier à prix d’or aux plus offrants : mais pourquoi n’ont-ils toujours pas changé la vitre bafouée ? Je me dis que peut-être, l’inscription est tellement circonstanciée et à sa place que cela ne les dérange même pas ! Une autre petite remarque positive, encore. Avez-vous remarqué que durant le confinement, les banques sont vachement solidaires ? Les distributeurs de billets toujours alimentés ? Je me demande si le soir à 20 heures, il ne faudrait pas aussi les applaudir avec les flics et les Vigipirates ? Bon, après le négatif et le positif, une petite histoire pour finir. Hier, on a appelé les cousins à Florina en Macédoine (grecque, puisque maintenant on doit préciser), dans les montagnes qui jouxtent la République de Macédoine du Nord (c’est un peu long à dire, mais il y a des raisons diplomatiques à ça, et en plus c’est quand même moins compliqué, il faut le dire que : l’ex- FYROM - Formal Yougoslavian Republic Of Makedonia). Bref, je disais qui jouxte donc, la République nord-macédonienne et l’Albanie. Depuis deux décennies, les ours et les loups y ont été réintroduits et une association dont je fais partie, lutte pour l’aide aux ours blessés par les voitures ou carrément autre chose ! Et ben, comme il n’y a plus, avec le confinement et la fermeture des frontières, plus beaucoup de voitures dans les montagnes ni de chasseurs et bien, vous me croirez si vous voulez, mais les ours visiblement commencent à s’ennuyer des hommes… La voisine de nos cousins s’est trouvée en ouvrant sa fenêtre, face-à-face avec un ours adulte, d’ailleurs qui avait l’air très gentil, enfin de la fenêtre, elle l’a pris en photo… Du coup les cousins nous ont dit qu’à Florina, tout le monde respectait le confinement à la lettre et avait fait une croix sur la sacro-sainte « Volta », la promenade du soir avant d’aller au café. Bon, à Paris il n’y a pas d’ours, ni plus de rats que d’habitude dans mon quartier, alors qu’en général ils hantent subrepticement le square de la Roquette. Peut-être qu’eux, confinés dans leurs trous à longueur d’année, ne sont toujours pas au courant qu’il n’y a plus d’humains ? Ah, pour finir des nouvelles de T. et son amoureux. Chose promise, chose due. Toujours au Danemark, la dernière photo qu’il nous a envoyée, lui debout sur un rocher au bord de la mer. Parce qu’au Danemark, il parait qu’ils vont commencer à déconfiner, mais de toute façon, ils avaient le droit de sortir à leur guise en prenant les précautions minimales. Et visiblement, ça a l’air de ne pas avoir trop mal marché, non ?… Et puis petit retour en France pour vérifier que vous avez bien assimilé la leçon du jour, hein ? « Arrêtez de respirer à côté des autres, faut vous l’dire comment » ?...
Patrick Schindler, groupe Botul FA

12/04/2020
Papa pas dodo, papa pas dodo, papa pas dodo ...
Voici le son de mon réveil depuis quelques temps, la douce voie de ma petite fille de 2 ans.
Aujourd’hui on est le 12 avril et c’est son anniversaire !
Joyeux confiversaire !!!
Je me lève et je vais la chercher pour la caler contre nous histoire d’émerger tranquillement...En ce moment on prend le temps !
La petite est réglée comme une horloge sur 7 h tapante et « normalement » sa mère la prépare et file la déposer chez la nounou avant d’aller au boulot, mais en ce moment, pas de place pour la culture ! Tous les événements qu’elle avait mis en place avec son asso ont été annulés jusqu’à nouvel ordre.
De mon côté, pareil pour mes 2 dernières expos ,4 mois que je bossais là-dessus... la foire de Lille et celle de Bruxelles ça ne sera peut-être même pas reporté pour cette année. Mes galeristes, fermés eux aussi, ils vont tenter de vendre sur le net, mais apparemment, enfermés chez eux, les gens se tournent pas trop vers l’art mais plutôt sur les jeux vidéo ... Près d’une cinquantaine de toiles qui attendent leurs futurs acheteurs. Je n’avais plus qu’à attendre le retour à la « normale » ou peut être à « l’anormal » en préparant quelques croquis pour le futur. Le futur... bref, j’étais un peu soucieux mais pas tant, j’arrivais à me dire que j’avais finalement pas mal d’avance ! Pas de problèmes, que des solutions !

Depuis quelques semaines on avait trouvé notre nouveau rythme.
Petit déjeuner tous les trois, temps estimé, une heure. Ça change du café pas fini sur le bord de la table qu’on retrouve le soir.
Mais pas de quoi perdre son temps non plus ! Moi qui suis du genre hyperactif, je n’ai toujours pas trouvé le temps de m’ennuyer ... Les journées sont toujours aussi courtes !
Notre emploi du temps de la semaine n’est jamais loin, et même si ce qu’on y met a bien changé, il est quand même bien rempli.
Nettoyage de printemps de l’atelier, refaire le porte-manteau, graisser la porte qui couine, aller chercher des galets à peindre pour en faire un monsieur patate, préparer un déguisement d’indien ... Et, noter ce qui se passe dans la journée pour le texte « la veille de ce jour » que je devrai envoyer le lendemain à l’oncle anarchiste de ma femme, un ancien instit retraité qui s’émerveillera de mes photes d’or taux graff. Un personnage qui maitrise très bien l’art du « con-finement » depuis déjà bien longtemps. Ce texte à rendre, reste un de mes seuls « devoirs » du moment.
Moi qui me plains souvent d’avoir toujours trop de taf. A croire que j’ai été entendu !

En effet, Je trouve souvent des liens entre les différents événements qui m’arrivent dans ma vie, j’observe beaucoup, et y trouve souvent un côté positif.
Se retrouver chez soi, en famille, au printemps, après avoir enchainer le boulot ces derniers mois, voir ces années ... ok !
Depuis le début du confinement, les jours sont passés, et plus je me retrouve avec moi-même à faire ces choses plus « futiles... », plus je me rends compte qu’elles sont essentielles ...
J’avais perdu le temps de le prendre !
Je m’étais oublié ... Tellement, que j’avais laissé à l’abandon un sacré paquet de petites choses que je remettais sans cesse au lendemain. Moi qui aime bien les listes, celle-ci était bien longue ...
Ça a toujours été dur de prendre du temps pour moi, mais là, je ne me sentais pas gêné, ni redevable.
Le monde semblait arrêté. Plus d’appels, plus de projets, tout repoussé à mai, puis à juin, peut-être en juillet ou en août.
Comme si le dimanche s’allongeait.
Les heures devenaient plus longues, et les horloges molles comme celles de Dali. On ne les regardait même plus. Je notai bien quelques trucs sur l’agenda, mais sans regarder le jour ni la date.
Et c’était plutôt bien !
C’est comme si être enfermé me rendais plus libre, plus présent finalement.

Ça, ça tombe bien car aujourd’hui je vais fêter la personne qui me ramène le plus au présent !
Tout sourire, elle s’adapte à tout, découvre constamment, célèbre et s’émerveille. Elle incarne la vie ! Mon incroyable petite fille !

Nous habitons un hameau loti entre le Gard et l’Ardèche qui a pour habitude d’être très calme. Nos voisins proches ont pour la plupart quitté les lieux pour retrouver leur famille et ne pas rester seuls. Il n’en reste que quelques-uns, plus lointains, grattant dans leurs jardins, ou repeignant les volets ...

Hormis Jean, l’ancien berger, 95 ans.
Lui c’est mon professeur de punch-line, il connait tous les dictons du monde, je crois que c’est lui qui les invente. Il m’a même déjà fait un « blind test d’outillage » ! Il part dans une de ses granges-ateliers, il me sort un outil, et je dois trouver ce que c’est, ou plutôt ce que c’était !
Là, il part tailler ses oliviers. Il n’y avait pas la case dans l’attestation ! Vu qu’il ne sait pas s’il faut la prendre ou pas, il la prend pas !
Il reste une des seules personnes que l’on rencontre dans le coin, et à qui on cause, comme toujours de toute façon. On reste un peu plus à l’écart c’est tout.
Il se fait livré ses repas, il va bien, les hirondelles sont revenues dans le nid au-dessus de la porte hier , il les as toujours connues , elles sont plus vielles que lui !
Et ben ! ça vie longtemps une hirondelle !

Ce matin il fait beau, et nous on a décidé de piqueniquer au bord de l’eau.
4 chemins partent de la maison dans 4 directions. Montagne, plaine, rivière ou garigue, au choix. Aujourd’hui numéro 3 !
Départ à pied pour un petit coin de paradis. Nous n’y allions plus trop ces dernières années car nous y croisions de plus en plus de touristes depuis la mise en ligne et en livre de l’endroit (mais c’est une autre histoire). Aujourd’hui, pas un chat ! Charme de cette drôle de période, où il fait du bien de cité les points positifs !
Seuls au monde, mais entre nous, donc bien entourés, et sans prendre de risques, on fait des ricochets , on lance le bâton, on rit au soleil avec les pieds glacés dans l’eau bleu turquoise qui remonte des nappes phréatiques . Petite cabane, taboulé, compote pour tout le monde, le chien finit les restes avant de retourner lézardé ... La belle pique du nez, c’est l’heure de rentrer pour la sieste !

Arrivés à la maison, on couche la grenouille.
Le réseau téléphonique revient, et on reçoit les premiers messages de la famille et des copains « joyeux anniversaire bla bla bla ». Cette année on ne sera qu’entre nous, mais on est bien dans notre cocon et c’est pas très grave. On refera la fête un de ces 4. La reinette elle s’en fout, au contraire ça fera plus de gâteau !
Après cette petite balade, ma femme décide de lire dans le hamac au soleil, et moi, bah ...Je ne sais pas encore rien faire ! Mais j’y travaille, laissez-moi encore un peu de temps !
Un regard sur le stock de bois et de bazar qui traine devant l’atelier, et hop !
Je file faire un support pour ma prochaine œuvre qui sera exposée dans la chambre de la petite marmotte !
J’ai toujours l’habitude de bosser avec du recyclage, et en ce moment c’est presque un défi. Tout doit disparaître ! On ne peut pas aller à la déchèterie, tant pis on va trouver une autre solution !
Un morceau du portail, un bout du vieux tonneau, la vielle porte de l’armoire ...Je vais lui peindre une girafe !
Elle n’était pas encore née que sa mère me l’avait demandée ...
J’ai mis plus de 2 ans à prendre le temps de la commencer mais là ce sera parfait !
Voyant ma mise en route, ma femme m’accompagne et décide de créer elle aussi avec ce bric-à-brac.
C’est drôle car j’ai l’impression que la créativité se développe souvent dans des moments comme ça.
On fait pas ça parce qu’on s’ennuie, on fais ça parce qu’on se redécouvre !
On redevient les enfants insouciants qu’on était quand on rentrait de l’école, on joue, on invente et on mange des crêpes au chocolats !
Réjouissons-nous !

Quand le support est prêt à être peint, la crevette se réveille. Elle me dit qu’elle est un petit pingouin. On rit !
Je lui parle des rêves, du fait qu’on a lu un livre sur la tortue qui se transforme en pingouin tout à l’heure et que son cerveau fait des liens tout ça, tout ça.
Elle me répond « tout ça, tout ça ». Je suis heureux !
C’est l’heure de la fête ! Ma femme sort son gâteau à la framboise maison, le pingouin souffle ses bougies, dit « j’ai deux ans » en faisant 3 avec les doigts.
On fait quelques Skype avec les grand-mères et tout le reste, on a reçu tous leurs colis d’Amazon cette semaine, elles sont rassurées, du moins pour les cadeaux.
Nous, on lui a acheté une draisienne, elle dit que c’est son vélo comme papa ! Un petit tour dans le jardin pour régler la hauteur de selle.
Un verre de vin pour les parents, on fait tchin tous les 3, plusieurs fois, enivrés par la beauté de ces petits moments plus que par ce bon bourgogne.
Ce soir c’est pates bolo, son repas préféré !
On met la table en chantant le livre de la jungle comme presque tous les jours, elle connais la fin des phrases et chante les derniers mots. On danse !
Après manger, le petit livre du soir, Ou est Charlie ? il est là ! Elle le trouve tout le temps, souvent plus vite que moi, elle les potasse en ce moment ces bouquins ! Calés tous les 3 sur le canapé, elle sirote son bibi et câline son Winnie.
C’est l’heure de dormir, on est confiné, on est ensemble, elle as deux ans !

Le soir avec ma femme on discute.
On est dans notre petite bulle, depuis longtemps.
Le monde va changer ? La suite, c’est quoi ? On refait le monde en imaginant chaque soir des scénarios différents, des jolis, et des bien dégueulasses parfois. On rêve toujours. Mais surtout, on célèbre ce qu’on a.
Avant de me coucher, petit regard sur l’emploi du temps de demain :
Écrire « la veille de ce jour » et l’envoyer avant 10h – décongeler le poulet – Rempoter le citronnier – prendre du temps pour soi.
J’y ajoute : peindre la girafe.
L’1Sekte Artiste, illustrateur pour le ML

11/04/2020
Mon microcosme, fenêtre sur le macrocosme. Un tout petit joue tout nu au soleil dans le carré de jardin du rez-de-chaussée, en face. On se parle de balcon à balcon comme à Naples ou on se fait un signe, on s’adresse un sourire. J’ai découvert qu’une voisine est cubaine, je vais pouvoir discuter en espagnol... quand je la connaîtrai. Une voisine ne se gêne pas pour promener son chien dans les espaces verts communs, mais je ne note pas d’autre incivilité. Le confinement est-il respecté ? Cette résidence semble enfin habitée, mais par des fantômes : moins d’allées et venues, moins de bruit du portail automatique. Le silence. On ronge son frein en fumant sur le balcon, on se montre pour guetter le courrier et on se retire, on s’évite sans un mot, des voisins que je rencontrais avec plaisir sont barricadés chez eux. J’ai aussi l’impression que la résidence s’est un peu vidée depuis le 17 mars, des personnes se sont évadées, semble-t-il... Les livreurs sont devenus « blacks » et « d’origine » : ils n’ont pas pu exercer leur droit de retrait, allez savoir pourquoi ... Le jardinier qui vient deux trois fois dans l’année tailler les haies, travaille sans masque, il est seul, nul besoin de le protéger, sauf que le produit désherbant et les gaz de la débroussailleuse le tueront plus sûrement que le coronavirus. L’employée de nettoyage vient deux fois par semaine comme d’habitude, le risque qu’elle tombe malade a dû être porté au bilan comptable car elle touche sans protection aux boutons d’ascenseur et poignées de porte que nous autres occupant.e.s de l’immeuble évitons soigneusement et on lui parle à deux mètres comme si elle était une intouchable, je la sens déprimée.
Confinée ce n’est déjà pas marrant, comme c’est le cas pour toute privation de liberté, pour ne pas me sentir en prime confinie à collaborer à notre flicage, je ne suis jamais sortie avec le papier dérogatoire. Pour l’instant je n’ai pas pris de prune et encore moins de peine de prison. Il faut dire que mes sorties depuis le 14 mars au soir (date de mon retour en France depuis la Tasmanie en passant par Santiago du Chili ) ont été réduites, faire les courses pour un mois et passer à la pharmacie avec nos ordonnances pour trois mois. Je suis retournée aujourd’hui dans une troisième pharmacie fréquentée par les habitants des quartiers laisser des cartes de visite de Femmes Solidaires, une association dont je fais partie, afin que les femmes ayant besoin d’assistance pour cause de violences ou les témoins de ces violences sachent qu’elles peuvent téléphoner.
Le risque de m’ennuyer chez moi n’a jamais existé et je n’ai pas non plus envie de vous ennuyer avec ma vie quotidienne. Je téléphone plus régulièrement pour avoir des nouvelles et garder le contact, en particulier en Italie où je ne pourrais pas retourner de si tôt, pour passer quand même un moment avec mes ami.e.s. Je recours davantage au virtuel, puisque le réel est interdit : les courses alimentaires et les librairies en ligne, c’est un moins mais il y a des plus : par exemple je me suis inscrite en ligne au festival Ojo Loco de Grenoble et aujourd’hui j’ai vu le très récent documentaire « El entusiasmo » sur la renaissance de la CNT en Espagne après la mort de Franco. Je ne porte que le drapeau noir, en accord avec tout ce qu’en a dit Louise Michel, mais le drapeau de La CNT noir et rouge est tatoué sur mon poignet gauche en honneur à mon pays d’origine, ma culture espagnole, la découverte de l’anarchisme au lycée en lisant sur la Guerre d’Espagne. Vous pouvez encore le voir (pour 5 euros) jusqu’au 12 avril, donc demain quand cette chronique sera publiée.
Le problème dans le confinement à l’intérieur, c’est, La Palice n’aurait pas dit mieux mais on ne le dit pas assez, d’être privé d’activités extérieures : la vie sociale et les engagements, la vie de groupe FA par exemple, me manquent. Nous tâchons de conserver les habitudes comme la lecture des journaux au café, remplacé par le balcon, j’ai pris un abonnement à la presse locale pour compléter nos abonnements. Et on a plus de temps pour lire le ML en ligne et la chronique quotidienne du confinement !
Monica Jornet. Groupe Gaston Couté

10/04/2020
Sale journée.
Il y a des jours comme ça, où rien ne va. Et souvent ça commence tôt comme ce matin. Programmé depuis six mois pour une visite de contrôle des foutus effets secondaires dus à ma dernière radiothérapie subie il y a cinq ans, je me suis donc présenté à l’hosto en bon patient que je suis. Comme l’hosto qui me suit est à Villejuif (Gustave Roussy) et que j’habite Paris (19è), ça veut dire que ça me prend chaque fois environ 3h30, entre le voyage aller/retour en métro et bus, et le temps d’attente pour la consultation. Bien ; par ces temps de confinement ça m’a donné un super motif de déplacement dérogatoire qui m’a permis de prendre l’air. Départ de mon domicile à 8h30 pour être à mon RV à 10h30 en comptant large. Sauf que … Sauf que, arrivé sur place on m’informe à l’accueil que mon RV a été annulé et qu’on a dû me prévenir avant par téléphone. Sauf que … non, on ne m’a pas prévenu. Et que le personnel du secrétariat chargé de le faire est absent (gros bazar ce matin, coronavirus oblige), et qu’il faudra que j’appelle plus tard pour avoir l’explication de ce loupé, et confirmation que le RV a été reporté à la mi-juin. Mi-juin ? Le confinement pourrait se poursuivre jusqu’à cette date ? Ah ben, peut-être, on sait pas, c’est possible … Joie de l’administration et de la langue de bois. Bref, retour à la casa, ce simple aller/retour m’aura pris plus de trois heures. Voilà donc une journée où j’aurais été moins confiné que d’habitude, mais je ne suis pas plus avancé sur mon état de santé. Manquerait plus que j’ai chopé le virus pendant ce périple.
La veille à 20h, le DJ de ma rue a rebalancé au micro ses appels à applaudir (en plus du personnel soignant) les militaires et la police qui … nous protègent ! Bonjour l’ambiance. Ce soir on tâchera avec ma faible sono de faire reprendre en chœur le « On est là, on est là, aux fenêtres et aux balcons, on applaudit les soignants, mais pas le gouvernement ». C’est pas gagné.
Et pour que la journée soit bien pourrie, mon enregistreur TV s’est mis à débloquer : plus moyen de visionner les films enregistrés ces dernières semaines. Solution de rechange pour la soirée : relire L’Homme révolté de Camus. Pas sûr que ça me calme, mais comme dit l’autre, demain sera un autre jour ; de toute façon ça pourrait difficilement être pire.
Ramón Pino (Groupe anarchiste Salvador-Seguí)

09/04/2020
Raconter ma journée de jeudi ? Pourquoi pas. Faut pas que je me goure, parce qu’elle ressemble tellement à celle de mercredi, qui elle-même ressemblait tellement à celle de mardi. J’étais pas trop habitué à cette répétition à l’identique. Même célibataire, habitué à mes 40 m², entre deux appartements désertés depuis deux ans par leurs propriétaires, l’un parti en Auvergne chez son fils parce qu’il ne tenait plus debout, et l’autre invitée chez M. Alzheimer, c’est fou ce que je rencontrais de monde, même en habitant dans une rue d’une grande ville où les gens avaient perdu depuis longtemps l’habitude de répondre à tes bonjours. Il paraît que les Marseillais sont de joyeux drôles qui rigolent tout le temps. Pas dans ma rue en tout cas.
Mais je n’y étais jamais dans mon appartement, à part la nuit. Combien de fois m’a-t-on reproché de n’être pas joignable … Trop de choses à voir et à faire ailleurs. Dans ma rue le seul couple que je voyais aux manifs, pour s’enfermer ils n’ont pas attendu les ordres de notre grand chef militaire qui a déclaré la guerre au virus. C’est l’âge qui les a rattrapés, à toute vitesse. L’infirmière qui passe les voir tous les jours m’indique qu’ils sont encore là. Ils attendent. Comme nous tous désormais depuis plus de trois semaines. Nous attendons quoi ?
Avant je n’attendais rien, c’étaient les copains qui m’attendaient. En plus des copains habituels, y avaient tous ceux qui passaient au cira, faire un coucou, emprunter un livre, voir l’endroit dont ils avaient entendu parler au Québec, à Rome, ou à Leipzig. Parfois y’en avait même qui venaient de Paris, et même un jeune qui débarquait de Hong Kong qui m’a appris qu’il ne parlait pas le chinois mais l’anglais, moi qui comptais lui demander de me confirmer que ce livre sur notre étagère méritait bien sa place dans notre bibliothèque… Et puis il y avait ce thésard qui venait de Montpellier pour travailler sur Stirner, et cet autre sur les immigrés italiens à Marseille à l’époque du fascisme, et cette conférencière qui cherchait de la documentation sur Louise Michel. Tous reclus, non pas Reclus lui il est toujours dans son armoire à refaire le monde, les autres tous ceux qui faisaient qu’une journée était toujours pleine d’aventures, de rencontres, de controverses et qui vous donnaient envie de vous lever, parce qu’on était vivant.
A l’AG de janvier on était fier de dire qu’on avait ouvert tous les jours même le jour de Noël et du jour de l’an, même à Pâques. Sauf le 1er mai, ça c’est sacré. Quoique, en rentrant de manif, on est quand même venu jeter un œil...
Maintenant quand un jour par semaine je vais relever le courrier de plus en plus rare, je rentre dans un local muet où Bakounine se repose à côté de Malatesta pas très loin de Perlman, séparés par Richepin et Brassens – ils sont rangés par ordre d’arrivée dans les collections !- Peut-être qu’ils refont le monde eux aussi quand les lumières se sont éteintes, mais il me semble qu’en temps normal ils étaient plus bavards parce qu’on les interrogeait plus souvent peut-être. Je les soupçonne d’être un peu déçus de voir que depuis leur époque ça ne s’est guère arrangé, et que peut-être ils nous en veulent un peu de notre résignation.
Les copains sont passés la veille ou repasseront demain mais on évite de se rencontrer. On n’est pas fâchés, mais on a décidé de garder chacun pour soi le virus. On partage quand même pas tout. L’heure du café ce sera pour plus tard.
Alors je rentre chez moi, marchant au milieu de la rue puisqu’elle est désormais désertée des voitures. Je me surprends à entendre un oiseau, peut-être un rossignol, j’ai oublié. Ils chantaient avant ? On entend aussi de loin un rire joyeux, ce sont trois jeunes qui débouchent d’une rue transversale, qu’est-ce que ça fait plaisir de croiser des humains. Si j’osais je les embrasserais, je dois être en manque d’affection accéléré ; mais ce sont eux qui m’abordent et me souhaitent une bonne promenade. Ça m’a presque donné envie de pleurer. Faut que je me surveille.
Tiens ça commence à sentir le tilleul le long du boulevard qui se dirige vers l’église. Vous avez remarqué comme l’air est devenu respirable, le ciel plus bleu et un peu plus étoilé quand le soleil s’est éteint ? Dommage qu’il reste encore trop de lumières artificielles. Vivement qu’on passe aux économies d’énergie.
L’église est fermée, Lui aussi est assigné à résidence, Il a pas envie de choper le virus juste au moment où il s’apprête à remonter voir son Père. Vous imaginez le bordel là-haut avec une épidémie de coronavirus ? Ou alors c’est que même les curés ont perdu tout espoir. Mais ils ne le diront pas.
Pour l’instant y a déjà le Macron et sa bande qui ont perdu tout crédit avec leur histoire de masque qui est inutile et qui d’un coup devient obligatoire. « Tous voilés ! » il a dit d’un air martial. Y a trois mois je me faisais tabasser parce que je portais un masque et qu’il me l’avait interdit, et on m’affirmait qu’une femme voilée c’était dangereux parce qu’on ne savait pas si elle cachait pas une bombe sous sa robe, et un poignard entre ses dents. Aujourd’hui ils me disent que le virus va reculer devant des hommes et des femmes masqué.es. Vous croyez vraiment qu’on va terrifier cette petite bête simplement en lui faisant peur ? Moi c’est plutôt tous ces flics et ces militaires aux ordres de ces fous qui nous gouvernent qui me font peur.
Pas qu’à moi. Hier précisément, je rentrais chez moi. Y’avait une voiture utilitaire garée en double file, la portière ouverte, et trois bonshommes qui la contemplaient intrigués. Arrive une quatrième larron qui sortait d’un entrepôt, et s’enquiert de son copain le chauffeur, auprès des trois autres. « Beh ! On sait pas. Quand il nous a vu arriver il est parti en courant… Nous on n’est pas des flics ! »
Sur l’instant ça m’a fait exploser de rire. Je pensais qu’on vivait une époque formidable. Puis je suis rentré chez moi et au moment où je rangeais pour le photocopier lors de ma prochaine récidive, ce laisser-passer que je m’étais signé, ce précieux document par lequel je m’autorisais à sortir, je me suis dit qu’il y avait quand même quelque chose qui devrait m’inquiéter davantage. Je commence à m’habituer tranquillement à obtempérer à des ordres qui, il y a peu encore, m’auraient fait descendre dans la rue, comme quand ils ont sorti la loi qui interdisait de manifester après les attentats et qu’on avait traversé tout le centre-ville et qu’on avait même poussé la manif vers des quartiers où les processions syndicales ne nous emmènent jamais, à la Belle de Mai, chez les pauvres, les sans-voix, ceux qui d’après les faiseurs d’opinion étaient en train de nous envahir. Je suis pas sûr qu’on les ait vraiment rassurés, mais en tout cas on avait dit merde à un enfermement pourtant bien moins contraignant. Et les flics nous avaient accompagnés, certes, mais c’étaient l’époque où ils ne chargeaient pas encore avec des armes de guerre et où ils étaient moins généreusement dotés en matière de grenades. Si, si, je vous assure, à cette époque l’État dépensait encore un peu d’argent pour les hôpitaux, mais il commençait déjà à prévoir le moment où il risquait d’avoir besoin de protection un peu plus offensive. Et leurs grenades, les flics essayaient de les économiser. Mais le grand Chambellan a déplacé quelques lignes sur le grand cahier comptable de la nation, et les élus ont tous accepté, ils pouvaient quand même pas risquer de perdre leur porte-feuille, et nous on n’a rien dit, ou alors pas assez fort pour être entendus.
Et ça a donné ce que nous constatons. Tous comptes faits, ceux qui décident de leur sort au détriment du nôtre, ils ne sont pas si fous que ça. Ils pensent. A eux. Et si c’étaient nous qui étions trop dociles, comme le bétail qu’on mène à l’abattoir et qui pense sans doute que c’est son destin ? Et je m’endors en rêvant du jour où les moutons se retourneront contre leurs « bergers » et qu’ils les brouteront à belles dents.
Toni. Marseille

08/04/2020

Aujourd’hui, on était donc le... 8 avril. Je ne sais plus trop quel jour nous sommes, ni à combien de jours de confinement on en est. Il y a comme un petit goût de jour de la marmotte, mais sans Bill Murray.
Les enfants se réveillent "hey ! aujourd’hui les enfants, c’est confinement !" Tâchons de rendre ça un peu amusant... Chez nous, pas de souci avec la "continuité pédagogique" décrétée par Jean-Michel Blanquer : on n’a jamais commencé, alors on ne va pas continuer. De ce côté-là, on est peinards car personne ne nous donne de devoirs à faire, mais je ne peux pas m’empêcher de penser à toutes ces familles pour qui devoirappliquer cette lubie ministérielle est un calvaire quotidien.
Chez nous aujourd’hui, le programme de la matinée tourne plutôt autour de la confection de crêpes, du choix des livres que l’on va lire ensemble, et d’un débat de fond : va-t-on oui ou non ranger ces playmobils ?
Le ciel finit par se dégager, la pluie s’arrête. On peut sortir faire un tour dans le quartier. La ville est silencieuse, pas une voiture dans la rue, pas un avion dans le ciel, quelques piétons que l’on croise de loin. Un homme me reproche de sortir avec des enfants, prétendant que ceux-ci sont de dangereux porteurs du virus. C’est très curieux, les effets secondaires de ce virus : alors qu’il y a peu, les gens étaient prêts à papouiller des gosses inconnus sans même leur demander l’autorisation, aujourd’hui, ils les voient comme des menaces et les repoussent sans aucun tact. Me donne pas très envie de croiser d’autres humanoïdes pour aujourd’hui. On rentre.
Les semis ne sortent pas. Une amie me téléphone, elle a le moral dans les chaussettes de ne voir personne. On discute un long moment, on rit, et ça me fait du bien à moi aussi. On se lance dans une grande partie de jeu de société. D’autres coups de fil se succèdent : les grands-parents, que je devine inquiets, et certainement aux prises avec ces questions lancinantes : quand se reverra-t-on ? se reverra-t-on ? Les copains des enfants appellent aussi. C’est à la fois chouette et super frustrant pour eux. Les copains sont là, à portée, mais on ne joue pas pareil en appel-visio qu’en vrai... Je comprends bien, ce manque de copains. Moi aussi, les copains me manquent.
Après l’avoir relu une dernière fois, je me décide à envoyer un article pour le ML. Je suis contente. C’est un sujet qui me tient à cœur, et cet article a été l’occasion de rencontrer des jeunes formidables. Ils m’ont beaucoup émue et redonné espoir en l’avenir et en l’humanité. Penser à tout ça me donne un petit coup de fouet. Je sens que je sors peu à peu de cette torpeur du confinement, qui me poussait à ne rien faire ou presque, à procrastiner comme dans mes plus belles années d’étudiante. Il est temps de se remettre à l’action.
Marina. Toulouse

07/04/2020
J’habite un lieu de rêves sérieusement.
L’Ardèche m’a offert ce lieu envoûtant où chaque jour aura fait grandir les pousses et les petits arbres autour de notre maison de bois. Dans la nuit du 7 avril feu le Vieux Robert est venu me voir pour m’interroger lui qui savait poser placidement certaines énigmes entre nous. Il s’agissait d’énoncer tous les arbres plantés depuis plus de dix ans sur ce beau terrain alors que j’avais enfoui des souches qu’il m’avait données de son oliveraie et des poudilles, noms des sarments de vigne en ardéchois. Les trois pieds de baco, le couple d’anciens chasselas, le muscat de Hambourg et la paire de Villards avaient grandi pour donner de belles grappes succulentes alors que les souquets, ces grosses gousses d’un bois si dur aux tons chatoyants nous avaient offert des petits pieds si verdoyants que les souches les laissèrent grandir d’un novembre à un autre jusqu’au jour où les premières olives apparurent parmi ces feuilles tant émouvantes aux deux verts au moment même où les yeux s’humectèrent et que le cœur se mit à battre plus vite à mesure que toutes ces petites olives rendaient subitement à l’arbre son mystère dénudé.
La première énigme du Vieux Robert me bouleversa tant que je sortis de mon lit et m’assis comme si ce regretté nonagénaire toujours vêtu de son bleu d’ouvrier et coiffé d’un béret était devant moi levant sa canne. – L’eau s’en va à la mer… Il répéta cette parole pour me tester une deuxième fois et je lui répondis comme s’il était revenu de ce premier jour de notre rencontre dans la montée du Puech : - Alors que de votre temps on gardait l’eau dans des grands trous ?
Aussitôt le Vieux Robert disparut en emportant une de mes somnolences matinales alors qu’avant lui la nuit m’avait réveillé pour que je descende sur la terrasse vérifier la position de la lune.

Puis les morts du Coronavirus se mirent à me parler et la colère envers les États scélérats destructeurs de services publics hala la mer jusqu’aux pieds de la côte du Puech alors que des larmes salées remontaient dans mes yeux troublant cet instant matinal où je guette souvent la splendeur monter derrière la colline au-dessus de la maison d’enfance du Vieux Robert. Des centaines de Vieux Robert se mirent à me parler toutes les langues du monde au fur et à mesure que le soleil montait alors que j’étais pris soudain entre deux sentiments comme si le bonheur qui m’apparaissait une fois de plus avec la clarté ne pouvait être que l’ultime lumière de ces Vieux - auxquels je ressemble - dont les yeux se ferment de jour en jour alors que leurs corps s’enfoncent au fond d’un lit de mort.

Je rangeais ce matin du 7 avril 2020 comme je le fais toujours la vaisselle alors que mon thé infusait pour mon petit déjeuner après quoi je regagnais la pièce de musique et m’enfermais pour travailler à la composition des arrangements de mon futur CD dont le titre sera « C’est une parole ».
Oui la parole des Vieux Robert est faite de cette eau précieuse que je préserve dans le trou de ma voix jusqu’au fond de mon immanence alors que cette épidémie persiste et condamne irrémédiablement les plus démunis pour qui ce cri que je leur dédiais en chantant dans les années passées remonte avec la mer et s’insurge maintenant envers les gens de pouvoir avec la voix de la dignité : « Donne à boire au sable ! ».
Louis Arti Banne le 7 avril 2020

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PAR : Pierre Sommermeyer and Co
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le 10 avril 2020 22:01:50 par Jean-Claude

Je vous lis tous les soirs. Merci.