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par Nuage fou • le 30 septembre 2019
FaceBook fait sa monnaie entre « amis » : LIBRA
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article extrait du ML n°1808 de juillet août 2019
Dans son article « Crypto-cagnottes au secours des boxeurs ! » du numéro de mars, le Monde Libertaire, évoquait l’intérêt de ces monnaies, inventées à la fin des années 2000 par les crypto-anarchistes, afin d’échapper aux contrôles, aux lois et aux manipulations que permettent des monnaies étatiques – on dit aussi « fiat » – tout en dégageant les banques, et qui garantissent au choix la transparence ou l’anonymat des transactions. Pendant ce temps, le bruit courait dans le petit milieu des crypto-monnaies [note] que le géant des réseaux sociaux se préparait à créer sa propre devise.
Car tout comme le démiurge, le technologue n’est pas maître de sa créature, et ces techniques mathématico-informatiques imaginées pour libérer les individus de l’emprise des États et des banques sont tout autant à la dispositions de milliardaires dont l’avidité est sans limites. Et en particulier des milliardaires de l’économie digitale qui ont parfaitement compris ses usages potentiels, comme Mark Zuckerberg, huitième homme le plus riche de la planète, et dont la compagnie FaceBook a engrangé 20 milliards de dollars de bénéfice net en 2018. Son entreprise qui doit extraire toujours plus de profits de ses 2,4 milliards d’utilisateurs, doit développer, traire, tondre et peut-être un jour dépecer et manger le troupeau des gentils « amis FaceBook » dont il est le tout-puissant berger. Il lui faut sans cesse trouver de nouveaux produits, extrêmement rémunérateurs et addictifs, et surtout en accord avec la taille colossale et la nature mondiale du cheptel. Et, pas besoin d’avoir lu Marx... le produit miracle... celui qui les contient tous... c’est l’argent. Il est parfaitement adapté à la structure de FaceBook car cette nouvelle forme de monnaie est tout autant digitale que les informations qui s’échangent sur le site. De même, sa nature étant de circuler de l’un à l’autre, elle bénéficiera tout autant du monumental effet de réseau produit par les plus de 2 milliards d’adeptes du bavardage digital. Il n’y avait pas à hésiter, et il était très facile pour Mark Zuckerberg de s’emparer d’une technologie inventée et déjà rodée par quelques milliers de francs-tireurs. Voici donc le Libra, déjà surnommé le ZUCK.
Un événement majeur dans l’histoire de la monnaie
Voici la première devise de la mondialisation, conçue pour ignorer les frontières et être utilisée par des milliards de personnes de tous pays et cultures. La machine de guerre décrite dans un « white paper » [note] publié dès l’origine en plusieurs langues, dont le Français, est lancée ; son impact sera énorme ! Non seulement Libra sera dès sa naissance une devise transnationale, mais si FaceBook réussit à tordre le bras du Congrès US et de la Maison Blanche, elle sera indépendante de tout État. De nombreux paramètres annoncent un possible succès : la maturité de la technologie sous-jacente, la taille de la communauté des « amis », la fortune personnelle et l’influence politique des fondateurs, l’ignorance crasse des classes politiques, la paresse et la bureaucratisation des banques, et enfin la parfaite complémentarité de l’Internet et de la mondialisation dont il est l’infrastructure.
Nous vous partageons ci-dessous un tout petit extrait de sa « promesse », de son chant des sirènes, de cet Appel du 18 Juin d’un nouveau genre.
« La mission de Libra est de favoriser le développement d’une devise et d’une infrastructure financière mondiales simples, au service de milliards de personnes.
[…]
Notre espoir est d’offrir des services financiers de meilleure qualité, moins chers et plus accessibles à chacun, indépendamment de son identité, lieu de résidence, profession ou salaire. Nous sommes conscients que la concrétisation de ce projet exige un travail long, ardu et qui ne peut pas être réalisé de façon isolée, mais qui nécessite au contraire la création d’un véritable mouvement autour de notre objectif. Nous espérons que vous nous rejoindrez pour nous aider à transformer ce rêve en réalité pour des milliards de personnes à travers le monde. »
Technologie : sur l’Internet dix ans en valent trente
Les crypto-monnaies fêtent cette année leurs dix ans. C’est infiniment peu, mais à la vitesse de l’Internet, c’est suffisant pour parcourir le chemin qui passe de l’intuition d’un visionnaire au concept mis en forme par quelques scientifiques, puis à son implémentation par quelques dizaines d’ingénieurs passionnés, et enfin à un test grandeur nature qui peut mobiliser quelques milliers de technophiles de toutes compétences et tous pays. Les dix années du Bitcoin, pionnier des crypto-monnaies, créé en 2009 en réponse à la crise du système financier occidental issu de la bulle spéculative des « subprimes », ont validé tant sa vision et ses principes fondateurs, que la solidité de ses algorithmes. Malgré les très violentes et très nombreuses attaques des États, des banques centrales, des mafias et des spéculateurs, la monnaie numérique a prouvé sa robustesse. Nul ne l’a « cassée » et il n’y a eu que très peu de pertes ou vols dus à erreurs de conception ou d’implémentation, à chaque fois corrigées en quelques jours. En comparaison, les vols de données de cartes bleues se comptent par dizaines de millions et l’ampleur de leur coût n’a d’égal que la profondeur du silence qui les entoure. L’énorme consommation énergétique du Bitcoin, très rapidement dénoncée, a suscité la conception d’autres méthodes à faible coût énergétique, dont la méthode dite par « Preuve d’Enjeu» retenue par les concepteurs du Libra (par ailleurs peu démocratique car centralisée). Les dix ans de rodage du Bitcoin ont permis d’apporter des solutions ou des améliorations aux principales difficultés émergeant de son utilisation. Mais si les monnaies numériques sont prêtes pour le grand public, la dernière barrière à franchir, encore non résolue, sera celle de son utilisation par des centaines de millions de néophytes. A ce jour, aucune des crypto-monnaies n’est simple à utiliser et la confiance n’est pas au rendez-vous.
Base installée : 2,3 milliards
S’il arrive à passer, contourner ou dissoudre les barrières des régulateurs étatiques, le Libra aura deux défis à relever : la simplicité et la confiance (des vendeurs et des acheteurs), car faute d’y avoir réussi, la première génération de crypto-monnaies est restée confinée à un petit monde de fanatiques et de spéculateurs. Mais pour FaceBook, la simplicité sera un défi facile à traiter car la firme de Menlo Park est une des meilleures expertes en simplification, elle emploie les meilleurs spécialistes mondiaux du design, du neuro-marketing et de la psychologie des personnes et des foules. Sélectionnés et formés par les meilleures universités et payés à prix d’or, ils sont de surcroît les premiers à bénéficier des résultats de recherche des laboratoires les plus prestigieux, dont ils financent et orientent les recherches. La simplicité d’usage sera donc un des éléments du succès de Libra, la devise sera extrêmement simple à comprendre, à acquérir et à utiliser, et au passage, les frais bancaires extravagants imposés par les banques sur les transferts d’argent seront revus à la baisse, probablement extrêmement faibles, voire nuls. On pourra payer, ou transférer du Libra sans même y penser ; le célèbre bouton « Like » aura son jumeau, impossible d’en douter.
La confiance par contre, est bien plus complexe à créer et maintenir. Dépendante de la stabilité du cours et de la psychologie des foules, elle ne s’achète pas. Le Bitcoin en a fait l’expérience, dont le « porte-monnaie virtuel » devenu « première application Apple téléchargée » durant le mois de décembre 2018, a vu sa crise de croissance se terminer très mal ; elle n’aura été que l’occasion de plumer les bobos-gogos, spéculateurs du dimanche, qui imaginaient s’enrichir en quelques clics. Désillusion... désintérêt, débandade... partis courtiser d’autres chimères, ils sont maintenant mûrs pour le Libra.
A ses débuts au moins, le Libra devra donc nécessairement, et par construction, être protégé des spéculateurs, être stable. A cet effet, il sera créé dans la famille dite des « Stable coins », des crypto-monnaies dont la valeur n’est pas « flottante » comme c’est le cas pour l’euro ou le dollar, mais adossée à un trésor qui garantit la stabilité du cours, tout comme les stocks d’or stabilisaient les devises nationales au temps de l’étalon or. Le trésor soutenant le cours du Libra, sera constitué d’un panier de devises – dollar, euro, livre et yen, et proviendra de deux sources très différentes. D’un côté les milliards
Reste la confiance des vendeurs et des acheteurs. Nous avons constaté en 2009 que sa perte pouvait faire vaciller même les plus grandes banques. L’immense réseau des utilisateurs de FaceBook transforme ce défi en un formidable atout ; dès sa création, prévue en 2020, la firme pourra arroser de Libra des centaines de millions d’utilisateurs qui n’auront qu’à le faire circuler le plus simplement du monde, d’un smartphone à l’autre. Nul doute que les experts de FaceBook en « gamification » – donner à un travail l’apparence d’un jeu – sauront trouver de nombreuses incitations pour motiver la frange incompressible des curieux qui voudront expérimenter la nouveauté, entraînant dans leur sillon leurs « amis ». Auparavant, les innombrables sites marchands actifs sur FaceBook auront été fermement incités à s’en emparer, et accepter le Libra dans leurs transactions. Et bien sûr, Libra pourra également démarrer en douceur en empruntant le masque des « points » utilisés par les programmes de fidélité des supermarchés, ou des « miles » des compagnies de transport aérien.
En résumé, lorsque l’on dispose de milliards de dollars, et que l’on peut automatiser la manipulation de plusieurs milliards de personnes, l’impossible ne l’est plus...
Quel rôle pour les banques ?
Ça va être bien compliqué pour les banques, car elles sont pour l’instant à l’écart, hors du coup... elles ont certes de grands atouts : leur énorme taille, systémique pour certaines, le soutien sans faille des politiciens de tous bords qu’ils financent et recyclent en fin de carrière, et la capacité de leurs lobbies à dicter les lois qui régissent leurs opérations. De gros muscles certes, mais le cerveau est adipeux, gâché par l’argent trop facile qui rend paresseux et par une énorme bureaucratie qui bloque toute innovation dès lors qu’elle menace une position établie. Ces mastodontes sont trop facilement gavés par le détournement du fruit de notre travail avec lequel ils spéculent sans risque ni retenue, par les indécents frais, commissions et amendes qu’ils imposent aux plus démunis, et enfin par le soutien sans faille des États qui les protègent de la banqueroute [note] . L’argent trop facile et la disparition du risque les a rendus arrogants, bêtes et paresseux ; une proie idéale, de la taille de l’appétit d’un géant aussi puissant et ambitieux que FaceBook. Et cela fait des années que les GAFA lorgnent sur le marché incroyablement juteux des banques, posent des pions, font des tentatives, comme par exemple s’approprier le paiement au travers des mobiles – mais sans succès. L’annonce de FaceBook et de ses comparses est d’un tout autre ordre, elle change la donne.
Les dirigeants des grandes banques ne pourront que pleurer sur leurs bonus disparus. Mais gardons nos larmes, les plus malins retourneront leur veste et iront vendre leur carnet d’adresse et leur expertise au nouveau mâle dominant, bien content de désorganiser l’ennemi en lui prenant au prix fort ses dirigeants les plus dynamiques.
Quelles actions pour les anarchistes ?
Nous serions tentés de simplifier et proposer, en quelques mots, de regarder ailleurs : « On s’en fout ! ». Ce combat de géants entre les États et les méga-corporations ne concerne pas les anarchistes. La marche vers l’État régalien le plus minimal – le plus dur – est inexorable et pour ce qui est de notre argent, la Fondation FaceBook basée en Suisse sera sans aucun doute nettement plus compétente que la Banque centrale européenne. Nos moyens de paiement seront mieux protégés, le cours de la devise mieux géré et la qualité des services bancaires sans commune mesure avec les médiocrités que produisent péniblement les banques. Les coûts bancaires devraient baisser significativement. Laissons-les s’entre-dévorer, et regardons ailleurs, les anarchistes ont tant de combats à mener...
Mais... explorons malgré tout ce qui peut-être pourrait se faire... selon quatre directions – ou plus ?
1/ Les banques coopératives se développent, elles sont indépendantes du grand capital et gérées de façon plus démocratique, c’est un axe.
2/ Le partage est un autre axe, sortir certaines catégories de biens et de services du monde de l’argent. Alors que l’humanité est vieille de centaines de milliers d’années, l’argent et son monde n’en ont que quelques milliers, exhumons les pratiques et les modèles qui nous ont si bien et si longtemps servis.
3/ Les crypto-monnaies : nul ne nous oblige à abandonner cette vision originelle de monnaies gérées comme des communs, hors des États et du capital, et dont les caractéristiques seraient définies par tous et au profit de chacun. Si l’on pense conserver une monnaie dans les sociétés anarchistes, elle ne pourra pas être de même nature que celle que nous connaissons ; les crypto-monnaies nous permettent d’inventer et tester celles que nous voudrons mettre au service de nos projets.
Enfin, 4/ S’il paraît bien difficile de contourner FaceBook et ses milliards d’utilisateurs, dont 35 millions rien qu’en France, il reste nécessaire de soutenir et pratiquer les réseaux libres qui protègent leurs utilisateurs ; ils sont déjà très utiles et nous en auront très certainement cruellement besoin un jour. Enfin, on peut également explorer les moyens de détacher le réseau mondial du grand capital et d’en faire un commun à la manière, par exemple, de Wikipedia, libre, gratuit fait par tous et ouvert à tous.
Nuage Fou
PAR : Nuage fou
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