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par Cyrille Gallion le 12 novembre 2018

Les vieux votent tous à droite...

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article extrait du Monde libertaire 1799 d’octobre 2018



« Les vieux votent tous à droite, les vieux roulent mal, ils nous ralentissent » …qui n’a pas entendu ou même pensé des phrases comme celles-ci ?
Les discriminations…

Plus insidieux, qui ne s’est pas levé dans le bus pour laisser sa place, en voyant une personne plus âgée que soi debout ? Et pourtant ce geste participe d’une essentialisation de la personne âgée qui lui attribue automatiquement des vertus et des défauts. A titre de parallèle, n’oublions pas que la galanterie est sexiste.
Malveillant ou bienveillant, l’âgisme est omniprésent dans notre société. Soit trop jeune, soit trop vieux, tout le monde est un jour exposé à un acte âgiste.
Paradoxe d’une discrimination si répandue qu’elle en est invisible. Soulever la question, c’est s’exposer à l’opprobre immédiate : On refuserait de vieillir.
Mais quel est le rapport entre refuser une discrimination et le vieillissement ? Une noire refuse-t-elle sa couleur de peau en s’insurgeant contre les regards fixes quand elle rentre dans un bar ? Et bien pareil, nombre de personnes âgées qui ont déclaré en avoir eu assez du vouvoiement systématique dans un café alors que les autres clients plus jeunes sont tutoyés finalement finissent par abandonner l’espace public.

« Perçu comme vieux en allant chercher les enfants à l’école et comme jeune en allant visiter un aïeul à l’Ephad »
Bref, pour des lecteurs avertis comme ici, il n’est pas besoin de s’étendre sur ce que sont les discriminations directes, indirectes, sourdes, bienveillantes, malveillantes…Ce qui est vrai dans la lutte contre le racisme, l’homophobie, le sexisme, l’est aussi pour l’âgisme. A une nuance près. Cela concerne tout le monde, mais à un moment donné dans l’espace ou le temps. On est vieux ou jeune à un endroit et à un moment. Perçu comme vieux en allant chercher les enfants à l’école et comme jeune en allant visiter un aïeul à l’Ephad, vu comme vieux dans un quartier et jeune dans un village. Tout est relatif. Être vieux c’est avant tout un ressenti de soi et du regard des autres sur soi et une forte interaction entre les deux. Je suis vieux car je suis perçu comme vieux et donc me sens vieux. Une mauvaise image de son vieillissement fait perdre 7,5 ans d’espérance de vie en moyenne.
Sur l’histoire de la vieillesse et des vieillards, un ouvrage de 1969, de Simone e Beauvoir, reste un incontournable. Il se nomme « La vieillesse ».

« Être vieux c’est avant tout un ressenti de soi et du regard des autres sur soi et une forte interaction entre les deux. Je suis vieux car je suis perçu comme vieux et donc me sens vieux. »

Ce regard sur les vieux ou la construction des vieux est bien sûr celle de la peur de la mort mais également et peut être surtout celle d’une lutte niée, la lutte des classes d’âge. Néanmoins la question qui nous occupe ici est celle du lien entre le vieillissement de la population et les perspectives révolutionnaires. La pensée socialiste a été créée à un moment donné où l’idée de la retraite n’était pas très répandue. Il était normal de travailler jusqu’à ce qu’on ne puisse plus travailler, avec bien sûr les nuances anarchistes de chacun selon ses moyens. La vieillesse n’a pas été pensée autrement que comme synonyme de dépendance et, là, la question était celle de prendre soin de personnes malades dans l’incapacité de travailler.
La pensée socialiste a très peu réfléchi à la retraite et même lorsque les régimes de retraites ont été mis en place, la date de la prise de la retraite était supérieure à l’espérance de vie moyenne et plus encore à l’espérance de vie ouvrière.
La lutte de classe c’est la lutte sur la question de la répartition et de la décision de la répartition du travail entre toutes les femmes et hommes, afin de remettre à plat cette répartition entre la classe bourgeoise et la classe salariée. Jamais il n’a été question de la répartition au sein d’une classe d’âge au détriment des autres.

« Nous (les anarchistes du passé) on se bat pour répartir le travail et moins travailler tout au long de la vie afin de vivre mieux et plus vieux. Il n’a jamais été question de concentrer le travail sur une tranche d’âge »

Imaginons une/une camarade anarchiste du début du XX siècle qui est téléporté à notre époque dans un pays européen : des gens qui massivement font des études jusqu’à 25 ans et d’autres qui dès 60 ans, en pleine forme physique et mentale (la forme à 35 ou 40 ans d’un ouvrier d’il y a un siècle et demi), ne vont plus participer à la sphère contrainte de la production… partant de son idéologie, il ou elle demanderait :
« Comme les bourgeois ne payent jamais rien fondamentalement, qui paie les études des uns et les retraites des autres ?
– Beh ce sont ceux qui travaillent !
– Un adulte travaille donc pour deux adultes en plus d’aider les enfants et bien sûr d’alimenter la bourgeoisie ?
– Oui mais tu comprends, les étudiants sont censés être des travailleurs plus tard et les retraités ont déjà travaillé.
– Bon d’accord, juste une remarque, les étudiants peuvent grâce à leurs études basculer du côté de la bourgeoisie ? Et si un travailleur qui a cotisé toute sa vie meurt juste avant la retraite, il a tout perdu ?
– Euh oui...
– C’est une sorte de loterie alors ? tout le monde cotise, mais certains n’en profitent pas ou seulement quelques années. Je parie en sus que ceux qui bossent le plus meurent plus tôt.
– Oui, il y jusqu’à 15 ans d’espérances de vie d’écart entre des professions différentes.
– Et vous trouvez ça bien comme principe ? Nous (les anarchistes du passé) on se bat pour répartir le travail et moins travailler tout au long de la vie afin de vivre mieux et plus vieux. Il n’a jamais été question de concentrer le travail sur une tranche d’âge. Bref cette idée que 30% de la population est retraitée (sans être des personnes dépendantes) et ne participe plus à la sphère de la production (selon ses capacités) aurait été incongrue… »

La démocratie anarchiste c’est fondamentalement la démocratie du travail, ou si vous voulez celle de l’utilité sociale. Mais cette utilité sociale n’est pas une chose qui s’auto-décrète. On ne peut pas choisir tout seul ce en quoi on est utile socialement, c’est forcément collectif. Le travail indépendant, entièrement autonome n’existe pas. Quelle que soit le mode de production et la civilisation où l’on est, il faut produire pour répartir des biens matériels ou des services dont la nature dépend du choix de la civilisation.
La répartition du travail et de la production chez les socialistes au véritable sens du terme, c’est chacun selon ses moyens et chacun selon ses besoins, cela n’a jamais été chacun selon ses envies ou son bon vouloir pour travailler et chacun selon ses désirs pour consommer.

Si par un coup de baguette magique nous supprimions le mode capitaliste, par exemple sur la grande distribution, nous gagnerions moins de 2% de pouvoir d’achat. Les bourgeois sont riches parce que peu nombreux et l’argent, les actions ne se mangent pas... Et paradoxe, notre abondance matérielle et de services, vient de deux choses, l’industrialisation (c’est à dire l’organisation la plus rationnelle possible pour obtenir le plus de choses avec le moins de travail possible) et l’endettement (ou le pillage) des autres peuples et des futures générations.

Nous avons largement dépassé l’idéal des socialistes de la fin du XIX siècle sur le travail, avec 2h ou 4h par jour pour produire ci ou ça, et la France, puisque nous y vivons, a la meilleure productivité horaire au monde… sauf que c’est mal réparti.
Il y a bien sûr les demandeurs d’emplois et de nombreuses personnes en situation de handicap (qui ne le seraient pas dans une autre société). Nous pouvons considérer aussi qu’un nombre important de salariés est affecté à des emplois qui n’existent que de par la complexité de la société et prennent une part de la productivité des travaux les plus difficiles. Et j’ai été heureux de lire à peu près la même idée chez Graeber dans son « bureaucratie ».
Je ne prends que deux exemples. Dans l’aide à domicile, les salaires des intervenants pour les soins d’hygiène et le ménage chez les personnes âgées dépendantes n’augmentent pas car la complexité administrative augmente le travail de supervision, gestion, mise aux normes, formation. Pour un même secteur il y a beaucoup plus de salariés face à une richesse identique. Les ouvriers bossent plus et voient arriver de plus en plus de personnes des classes moyennes au-dessus d’eux qui s’inventent des emplois et vivent sur le dos des ouvriers. L’agriculture est également un exemple flagrant, avec plus de salariés dans l’administratif que dans la production.
Et bien sûr, c’est le sujet de cet article, les 30% de retraités en rajoutent…
Alors le passage à une société anarchiste, c’est d’abord accepter de travailler plus, pour beaucoup d’entre nous, afin de mieux répartir le travail au sein de la classe « ouvrière », par opposition à la bourgeoisie.

Le problème actuel, c’est que la bourgeoisie ne veut surtout pas casser l’idée de la retraite et des congés payés, puisqu’elle vend du loisir, du spectacle, des voyages, qu’elle vend des assurances vieillesses. La retraite est un formidable outil de soumission et on joue avec la peur de sa disparition. Ce que veut la bourgeoisie c’est prendre sa part sur l’immense richesse de la retraite par répartition et se l’approprier. Plus les gens cotiseront à titre personnel, plus ils se soumettront aux conditions de travail tout au long de leur vie.
Plus que jamais, la question centrale est celle de la démocratie du travail tout au long de la vie. Avec bien sûr l’idée de moduler ce temps de travail, en fonction de ses envies et possibilités, voyages, études, famille, fatigue, maladie et trouver un équilibre entre ce que veut et peut tel ou tel individu et ce qu’a besoin le groupe.
Travailler moins, tous et autrement !

Cyrille Gallion

PAR : Cyrille Gallion
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