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Chroniques du temps réel
par Bernard le 10 mars 2016

Révoltée !

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Quand elle était lancée, t’avais pas intérêt à te trouver en travers de sa route sinon gare au strike. Et là, elle est lancée. Ça fulmine grave sous la mise en plis et ça vibre de partout comme si un éclair suicidaire était venu se frotter à la Marie-Louise… Préférait qu’on l’appelle la Louise parce que la Marie, définitivement interdite de séjour depuis ce maudit jour où on l’avait traînée dans un hangar à prières pour qu’un sombre garde-champêtre lui passe la bague au doigt… Après, juste le temps de lui mettre un polichinelle dans l’tiroir et zou, parti acheter des allumettes et envolé avec les économies.

La Louise, tête baissée, shoote dans un cabot en train de poser des mines sur le trottoir. Devant elle, ça saute de côté, ça se la joue toréador. Les trop lents sont virés à grands coups du truc qui lui tient lieu de sac à main. Pas les moyens de faire autre chose que de rêver devant la vitrine du maroquinier.
Passage piéton avalé au milieu des coups de klaxon et des crissements de pneus.
« Toi, tu te pousses… C’est pas l’jour ! » Et le flic qui juge plus prudent de ne pas insister.

Son polichinelle une fois pondu, elle l’avait élevé toute seule sans jamais se plaindre, dure au mal depuis toute môme quand elle devait s’occuper de ses petits chieurs de frères et ses petites fières de sœurs. Charles qu’elle l’avait appelé. Elle aurait préféré Monique mais pour un petit gars, juste pas possible.

Elle aurait pu prendre le bus, le 21 avec changement Square Mozart pour prendre le 7 et descendre Rue du marché couvert. Mais dans le bus, z’auraient eu tout le temps de la reluquer des chaussures aux talons éculés jusqu’à la cime des cheveux. La reluquer et se moquer. Alors - elle se connaît depuis toute petite - elle y serait allée de quelques insultes bien senties, peut-être même de la tarte aux doigts et pour les plus crasses de ses interlocuteurs… une démonstration de genou Tchaïkovski….
Alors pour être sûre de pouvoir arriver, elle marche la Louise, elle marche. Parce qu’elle a intérêt à arriver vite. Pour son Charles.
Pour la première fois depuis son premier collier en nouilles de fête des mères, la Louise sourit. Sans le vouloir la petite voix dans sa tête a dit un truc presque drôle : « Dépêche-toi la vieille, Charles attend… »
Alors elle se dépêche en avalant son sourire histoire de redevenir terrorisante.
Voilà, reste à tourner au bout de la rue et hop, elle sera Rue du marché couvert. Pour l’instant le bus 7 la double en klaxonnant histoire d’espérer la remettre à sa place sur le trottoir…




Le Charles, un brave môme, studieux à l’école, jamais un mot pour se plaindre de l’absence du mec parti avant qu’il n’ait eu le temps de savoir dire « Papa »… Après, le parcours d’un brave jeune qui apprend vite un métier pour vite soulager sa mère. CAP de tourneur, la valse des petites annonces, le cousin qui le pistonne pour l’embauche à l’usine. Les collègues qui l’accueillent comme des camarades. Le panneau syndical, le délégué jamais trop loin et finalement l’adhésion.
« Dis la mère, ce soir je rentre plus tard, j’vais au syndicat. »
La Louise qu’est toute fière de son p’tit devenu grand.

Elle regarde sa montre, une vieille Lip du temps où ce que les chefaillons de cfdt ne s’étaient pas encore laissés mettre la main aux fesses par le patronat. Elle devrait être rentrée pour préparer le repas à temps.
La rue à traverser, klaxons, insultes, son majeur qui montre le ciel et le gars sur le perron avec sa carapace et sa sulfateuse sur le ventre qui n’a pas le temps de réagir. Se retrouve comme une tortue sur le dos, le cul dans la haie de berbéris pourpres. Et ça pique…
Une fois chez l’ennemi, comme une brebis au mitan du troupeau, elle reconnaît sans hésitation la voix du Charlie là-bas un peu plus loin.
« Pas la peine de vous déranger, je sais où j’vais ! »
Le policier de l’accueil la suit au cas où…
« Charlie ! Où est Charlie ? »
Elle s’engouffre dans un bureau.
« Alors c’est quoi cette histoire ? Paraît que vous avez arrêté mon Charlie ? »
Le Navarro sort des feuilles de l’imprimante, se la joue shérif des plates plaines, toise la Louise…
« Môssieur distribuait des tracts sans autorisation… »

« [… ]Durant la perquisition, Elodie tente de savoir ce qu’ils cherchent exactement. Les gendarmes évoquent alors la COP21, et une possible manifestation, arguant que tout rassemblement est interdit depuis l’état d’urgence, puis en viennent à parler d’une manifestation à laquelle les deux maraîchers auraient participé il y a trois ans. "Distribution de tracts au péage de Mussidan contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes,  ça vous dit quelque chose ?" auraient demandé l’un des gendarmes au couple un peu sonné. […] » Pauline Ben Ali – France Bleu Périgord 26 novembre 2015 (trouvé sur le site de France bleu).

« Et la liberté d’express… » Le shérif ne laisse pas au militant alpagué la moindre chance de finir sa phrase. Et ça, c’est juste le genre de truc qui peut foutre la Louise en pétard. Mais pour l’instant, elle se récite tous ses mantras de grande gueule qui se retient… « Pas donner dans l’outrage à connard sinon y a risque de 6 mois d’emprisonnement ferme et de 7 500 euros d’amende… » La Louise serre les poings, pas aggraver la situation du p’tiot…

En 2010 ça ferraille contre la réforme des retraites de Sarkozy. Le secrétaire général de l’Union départementale CGT du Rhône - Pierre Coquan - avait organisé une simple distribution de tracts à une barrière de péage de l’autoroute A6. Action somme toute assez courante… Répartis en petits groupes sur les différentes files de passage, une centaine de militants distribuaient des tracts politiques contre la réforme aux usagers de l’autoroute. Pan sur les doigts, Pierre Coquan et Michel Catelin, membre de l’Union locale de Villefranche-sur-Saône, sont poursuivis par l’ajustice, pour ne pas avoir préalablement déclaré cette distribution de tracts en Préfecture. Novembre 2012, le tribunal correctionnel de Villefranche relaxe les deux militants syndicaux, itou la Cour d’appel de Lyon fin janvier 2014. Le 9 février dernier, la Cour de cassation juge qu’une distribution de tracts à plusieurs est assimilable à une manifestation, donc sujette à déclaration préalable, casse la décision de la cour d’appel de Lyon et renvoie les deux militants devant la justice…

« De plus, vous n’aviez aucun papier sur vous… » Le shérif jubile, il va pouvoir afficher un militant à son tableau de chasse, accrocher sa tête dans son salon, arroser l’exploit avec ses collègues, écrire ses mémoires…
« Faudrait peut-être pas vous foutre de nous, vous dites qu’il distribuait des tracts et après vous l’accusez de ne pas avoir de papiers… » La Louise jubile, elle va pouvoir afficher un flic à son tableau de chasse, accrocher sa tête dans son salon à défaut de tête de garde-champêtre, boire un coup avec les frangines du club de bricolage.
Mais faut pas vendre la peau du lourd avant de l’avoir tué. Le poulet se dresse sur ses ergots.
« Vous, la mère, je vous conseille de ne pas vous énerver ! »
La Louise fonce sur le bureau, pose ses mains de bosseuse sans se soucier de tout ce qu’elles froissent…
« Vous, le flic, je vous conseille de ne pas faire de faute de français… Je ne m’énerve pas, VOUS m’énervez ! »
Un ange passe sans que personne ne songe à le plumer…
« Et c’était juste de la liberté d’expr… » Commence à dire le fiston avant un tonitruant « Si tu savais ce que j’en ai à foutre de la liberté d’expression ! »
Le shérif se cale dans son siège, tire le clavier vers lui et laisse parler le professionnel qui sait se contenir.
« Bon, on ne va pas y passer la nuit… Nom, prénom ? »
Alors le distributeur de tracts lève la tête, lit un truc photocopié qu’on a agrafé derrière le flic et le lit, mort de rire…
« Je suis Charlie ! »
PAR : Bernard
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