En juillet 2022, Typhaine D. accepte un entretien avec Ralph Müller sur la chaîne YouTube du média Le Crayon à propos de : « La langue française est-elle sexiste ?». Rappelons que Typhaine D. est autrice, comédienne, metteuse en Scène, Youtubeuse, créatrice de la Féminine Universelle, professeuse d’art dramatique. Le 12 juillet, la vidéo du débat est mise en ligne. Plus de 960 000 vues mais aussi énormément de commentaires postés en rafale, et « cela crée un effet d’opportunisme pour des cyberharceleurs masculinistes professionnels qui se sont dit : Ah super, il y a déjà un début de cyberharcèlement, très bien, on va s’en prendre à cette femme et ça va nous faire de la thune ».

Typhaine reçoit plus de 15 000 messages, dans cette période de 2022 et 2023. Des insultes misogynes, en veux-tu, en voilà, lesbophobes aussi, un peu antisémites : beaucoup d’incitation à ce qu’elle se suicide, « torturez-là de telle ou telle manière, assassinez-la de telle et telle manière », des incitations aux violences sexuelles et au viol. En public, en privé, sur l’ensemble des réseaux sociaux, où elle n’est pas. Certains cherchaient activement son adresse, voulaient menacer ses proches. Il y en a qui sont venus pour l’insulter au milieu d’un de ses spectacles. Lorsqu’elle sort dans la rue, et que des hommes la dévisagent, « Est-ce qu’il m’a reconnue ? Est-ce qu’il va m’insulter ? Me cracher dessus ? Me courser, comme c’est déjà arrivé ? Au bout de quelques semaines, une dizaine de jours, j’ai dû quitter Paris en catastrophe parce qu’il fallait que je me planque. Je me suis dit : Bon quoiqu’il arrive, je vais porter plainte. » Elle finit par un arrêt de travail de 10 jours, avec des atroces cauchemars et des insomnies.

En fait, une enquête extrêmement sérieuse est déclenchée et menée. Il y a ceux qui écrivent des menaces de tortures sexuelles plusieurs fois, et il y a ceux qui ont aussi été trouvés par les enquêtrices pour avoir écrit qu’une seule fois. A partir du moment qu’il s’agit d’un harcèlement massif, même si le message n’a été écrit qu’une seule fois, cela tombe pour harcèlement. Le profil des 11 prévenus repérés va de 18 à 46 ans, étant entendu que les deux harceleurs qui ont aujourd’hui 18 ans, étaient mineurs au moment des faits, ils seront convoqués devant une juridiction pour mineurs.

L’attente du procès réveille les cauchemars, provoque de nouvelles insomnies. Mais près de 150 personnes sont venues soutenir Typhaine le jour de l’audience, sur le parvis du Tribunal de Paris, ce 17 septembre 2025, avec pancartes et chant de l’Hymne des femmes. Toutes n’ont pu entrer dans la salle d’audience. Typhaine est avec deux parties civiles, Les Chiennes de Garde et le Collectif féministe contre le viol, chacune de ces associations disposant d’une avocate. Seuls 6 prévenus sont présents, deux en compagnie d’un avocat. Les messages de harcèlement sont rappelés par le Président. Ils proviennent d’Instagram et de Facebook.

Simplement odieux !!
J., gérant d’une salle de sport, a écrit : « Au bûcher, au bûcher, au bûcher, sorcière » en réaction à un extrait de la vidéo dans lequel Typhaine disait « Elle était une fois », en lieu et place de « Il était une fois », de quoi exulter sa haine ! V. absent, avait déjà été condamné pour cyberharcèlement sur son ex-conjointe. R. vomit : « Un conseil : une corde, un tabouret, suicide-toi, ferme ta gueule à tout jamais, salope, |…], petite bourgeoise de merde », lui qui exerce des excès de colère sur sa compagne, lui qui garde dans son téléphone des images de croix gammées et des photos d’extrême-droite, lui qui a cyberharcelé Morandini et Cohn-Bendit, et qui évoque son changement à 30 ans pour se construire un avenir, dans une formation de chauffeur poids-lourds. M. n’a vu qu’un extrait en 2023, un an après la publication de la vidéo, dont il ne se rappelle plus mais son post contient : « Putain, foutez-la sous un train qu’on en parle plus, bordel ». Le Président lui rappelle comment des messages appelant à tuer finissent dramatiquement parfois, en évoquant la mort de Samuel Paty. A la question « Vous travaillez, combien gagnez-vous par mois ? », M. répond « 4 500 à 5 000 € comme boulanger salarié», stupeur dans la salle. Le suivant, à la barre, s’est affilié à un neurchi (verlan de chineur) d’Européennes sous Prozac, « donc c’est un groupe sur des femmes européennes dépressives ? » résume le Président. Il s’agit du post : « Je ne crois pas qu’il y ait eu suffisamment de génocidation de la femme pour en arriver là », il est fier du mot inventé en réaction à l’extrait de la vidéo dans lequel Typhaine évoquait les féminicides. Il est rappelé, au cours de l’audience, qu’on peut comprendre qu’il n’y a pas eu assez de féminicides pour parler de génocide. Bah voyons ! Humour et fierté du gars !

A ce stade-là, je suis partie. Ecœurée par tout ce que j’avais entendu. La faute des algorithmes comme seule défense de ces masculinistes ! Sont-ils conscients qu’ils sont poursuivis pour harcèlement, et délit de provocation publique et directe non suivie d’effet, soit des appels au viol ou au meurtre ? Nous attendons la seconde audience pour les deux jeunes de 18 ans, et la décision du Tribunal. Des milliers d’autres cyberharceleurs restent toutefois anonymes et non poursuivis. Le backlash annoncé en 1991 par Susan Faludi doit toujours et encore être combattu !

Hélène Hernandez
Groupe Pierre Besnard