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Travail social
par Sylphe • le 21 décembre 2020
Trash Psychiatrie – Partie 1- « Geôle et profit »
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2020
Ces lignes n’ont rien d’exhaustives, ne révèlent rien d’exceptionnel, elles dessinent le paysage psychiatrique nauséabond d’une réalité courante , dont le centre est partout et la circonférence nulle part, tant la santé mentale est devenue un marché juteux pour les laboratoires mais aussi pour certaines personnalités perverses qui exercent le contrôle de nombreux pôles de « soins ». J’ai bossé onze piges dans une « taule à soin » (un hôpital) avant de calter. J’en rapporte quelques éléments factuels bien cradingues. Excusez l’expression. En psychiatrie, la formule si commode « pôle de soin » prend factuellement une signification quasi-paradoxale, elle affirme ce qu’elle nie. On prétend soigner, mais c’est l’emprisonnement qui prévaut (et son alter-ego : le bénéfice financier pour l’hosto). Le point d’orgue du pôle n’est pas médical, ne jamais l’oublier : c’est une entité d’abord gestionnaire aux ordres d’un directeur financier. Cette novlangue médico-sociale aura brouillé bien des pistes de compréhension. L’hôpital général est regroupé par secteurs : diabétologie, oncologie, gériatrie, psychiatrie, etc… mais d’autres instances ont préféré nommer cela des « pôles ». Nul doute que des psycho-linguistes ont durement réfléchi sur l’architecture syntaxique du caractère neutre et innocent de ce signifiant (pour causer comme les chairs à divan). Pôle, c’est plus pratique à dire, plus usuel, l’odeur du fric ne suinte pas. Une société vraiment civilisée, si ses dirigeants en avaient eu le désir, aurait su bâtir un système de soins gratuits (vraiment gratuit) pour ceux qui n’ont pas un flèche. Mais non ! Le conte bleu garde sa force propulsive quand il s’agit d’artiche.
Donc, pour mémoire, rappelons qu’avant les années 2000, chaque hosto recevait une enveloppe globale annuelle sans (trop) d’obligation de résultats. Puis en 2009 l’ère barbare survînt (elle eût des antécédents dès 2004), la présidence du « gagner plus » sût imposer sa loi plus férocement encore. C’est là que le gentil Ministère de la santé a tout balayé. Dorénavant pour toucher sa maille, pour payer ses salariés, l’hôpital doit faire du chiffre, de la quantité. Les toubibs de tous poils doivent désormais produire de plus en plus d’actes médicaux, du plus stupide pansement au plus tragique mal incurable ! Comme cette pauvre femme d’un hôpital parisien, patiente condamnée mais dont le chirurgien sut convaincre la famille que l’opération était nécessaire. Nécessaire pourquoi ? Souffrances inutiles. Les obsèques eurent lieu deux mois après l’opération. « Bravo la démarche qualité »
Une collecte fut-elle versée pour couvrir les frais d’obsèques ? Macache. Une victoire se partage rarement en matière de biftons. Vous aurez saisi que « pôle » désigne ce vaste continent des administratifs enrégimentés, médecins collabos en herbe, comptables conscients de leur mission d’exécutants (il y a des exceptions, comme partout. Je tape sur la règle pas sur l’exception). Et inutile de penser aux syndicats ou au CHSCT [note] pour vous défendre si vous trimez à contre-courant (en vous scandalisant), inutile d’espérer vous sentir écouté. Non ! surtout pas. Il y a l’entretien d’évaluation annuel (épistémologiquement nul et le plus souvent humiliant), l’entretien disciplinaire, l’isolement (l’opprobre), la mise à pied et la porte si vous ne suivez pas le rythme. Se jeter sur les rails s’effectue en dehors du périmètre de l’hôpital. Les services, les soignants, bien que maltraités (moins que les patients, il va sans dire) n’en restent pas moins les bons soldats de la bureaucratie. Services frileux, geignards à qui on accorde de temps en, temps une petite grève, mais grève minuscule, qui ne sert à rien, ne révolutionne rien, ne casse rien. Car rien ne bouge dans le monde des statues.
Autre objectif des patrons de pôle ? « Pousser à la démission » lorsqu’un salarié se montre retors, critique ou trop véhément. C’est une spécialité managériale : produire du stress, désorganiser le travailleur. Et bon sang : « Il s’y connaissent en psychiatrie pour faire démissionner les récalcitrants ! » cette phrase chuchotée me fut glissée à l’oreille par un membre du CHSCT en 2020 dans un hôpital du Val d’Oise, le mien. Il est évident que ce qui est proféré oralement n’a aucune valeur juridique si vous souhaitez vous défendre en cas de harcèlement moral.
Reste le syndicat hospitalier, des clowns, mais si tristes ! ils ont tellement « jaunis » à force fréquenter les managers qu’ils en oublient que leur fonction consiste à défendre le salarié en souffrance, à établir un vrai rapport de force avec ce fichu pouvoir qui vient d’en haut. La bureaucratie a finalement remporté la bataille sur l’idéal du soin.
Cette terre « psychiatrique » peut sembler moins sinistre et brutale qu’autrefois, il n’en est rien. Ce court texte ne vise qu’à le démontrer. Il n’est pas sûr que j’y parvienne.
La psychiatrie a commencé il y a longtemps et se poursuivra longtemps encore. Ce sont les formes qui changent, je veux dire les formes qu’un mauvais plaisantin a cru bon de nommer « le soin ». Quand ? je l’ignore. Mais du soin en question, il y aurait à redire comme de la prison et tout système d’enfermement en général.
Je me permets d’écrire sur le sujet puisque que j’ai bossé quelques années en psychiatrie. Comme clinicien, un peu plus âgé que mes coreligionnaires. Ça la foutait mal, j’imagine, que mes chefs eussent le même âge que moi, mais quel pathétique danse de Saint Guy de les voir s’échiner à me donner des ordres absurdes ! Je me souviens de mon arrivée en 2009. Ma chef de l’époque me dit un jour sérieusement aux alentours de midi : « surtout, tu ne dois pas manger avec les infirmiers et je ne te dis pas ça sur le mode de la boutade. » J’écarquillais les yeux en anarchiste. C’était la première fois qu’on me disait avec qui j’avais le droit de crouter ! La Gorgone poursuivit sa démonstration : « tu comprends, en tant que clinicien, tu es détenteur d’un savoir et un savoir dans une institution, c’est comme un oignon (ça pique et ça fait pleurer ? me dis-je) : « il y a des couches successives, différenciées et il est important qu’elles le restent ! » Conclusion de Cléopâtre : surtout ne pas se mélanger aux moins payés (infirmiers, aides-soignants) bref, à tous ceux susceptibles de faire grève, de faire trembler les murs de l’édifice. Ce qui veut dire : tu casses la graine avec nous, médecins et psychologues ou on te met à l’index. Je n’ai pas tenu ma promesse, ça commençait mal. L’une des premières tâches qui m’était assignée dans cet hôpital aux couleurs de prison, consistait à faire passer aux jeunes patients suicidaires ou anti-sociaux, des tests « d’intelligence » (surtout ne pas rire). Les thuriféraires du quantitatif appellent cela le WISC [note] .
Un truc chiant comme la mort. Quand une jeune psychologue zélée tenta de m’expliquer comment et pourquoi c’était un outil passionnant pour « comprendre le sujet », je n’ai rien entravé. Il me semblait qu’on me faisait passer le test ! Rarement j’eus autant le sentiment d’une imposture théorique, épreuve opératoire, épuisante, cognitivement épuisante et si fastidieuse ! Au bout de quelques mois je demandais à changer de service, je sentais bien que je n’étais pas à ma place. Ce qui me passionnait, ce pour quoi j’avais entamé cette carrière, c’était pour être au contact des patients eux-mêmes, leur parler sans baratin, sans ses médiations assommantes contraphobiques [note] (pour le soignant) qui rajoutent toujours plus de distances entre le psy et le patient.
C’est à peu près là que j’ai commencé à me faire massacrer, c’est-à-dire au tout début d’un parcours fléché vers la porte ou le suicide. La dépression offerte gratuitement.
Et pourtant j’essayais d’en voir des patients ! De leur parler, de les aider en bricolant quelque chose, une parole, un geste, et de ne jamais les juger (entre les patients et moi, pas vraiment de différence pour être franc). Cela plaisait d’autant moins à mes chefs. Établir des différences structurales entre le normal et le pathologique est une condition implicite pour exercer son pouvoir.
Ce qui me paraissait par ailleurs incompréhensible (ou orwellien) c’est que l’unité où j’étais censé exécuter les ordres s’appelait : « Unité Férenczi ». Pour ceux qui ne connaissent pas, Ferenczi, fut un psychanalyste hérétique à son époque (1873-1933). Précurseur de Winnicott pour certains, il fit, du temps de Freud, d’incroyables bonds en avant théoriques. C’est Ferenczi qui théorisa dans la pratique l’idée que les deux axes directeurs du soin doivent être « le tact et l’empathie ». Il fit bien d’autres choses encore, des erreurs comme tout le monde, mais c’est à lui que l’on refilait les « incurables », ceux que plus tard les médecins nommèrent les « borderlines ».
En rivalité avec Freud et avec Jones, il fut déclaré longtemps, personna non grata. Pensez : jamais Férenczi n’abandonna l’hypothèse du facteur traumatique sexuel (entre l’adulte et l’enfant) dans l’étiopathogénie du symptôme hystérique adulte mais aussi, de bien d’autres mise sous terreurs précoces. Sacrilège pour l’orthodoxie qui depuis 1897 y avait renoncé au profit du fantasme (le fameux abandon de la « neurotica »). Le conflit entre les orthodoxes et les adeptes de l’empathie n’a d’ailleurs jamais cessé.
En tout cas, une chose demeure : dans ce service où dépression, enfermement, maltraitance et éventuellement suicide riment ensemble, il n’est surtout pas question ni de tact, ni d’empathie.
J’ai donc vite appris à manger seul après mon premier entretien disciplinaire. La chef de pôle me cria dans les esgourdes que « j’étais devenu l’homme à abattre » (une sorte de Mackie-le-surineur) et que je m’étais mis à dos « tous les services » (j’en avais fait deux à l’époque, adultes et adolescents).
Il faut dire qu’une tendance obscure me poussait à aggraver mon cas : je posais trop de questions sur le fonctionnement du pôle. Sur les conduites coercitives notamment.
Ainsi après m’être fait démolir verbalement durant une semaine de juin, j’appris par le psychiatre responsable de mon unité que j’étais viré (à l’époque je marchais au CDD). Pas vraiment d’explication. Un peu échaudé j’ai été m’adresser à une collègue, LA collègue, celle qui balance, intouchable. Nouvelle erreur de ma part. Nous prenions le même train, direction Paris, choqué et furieux du sort qui m’était réservé, je m’épanchais en critiques sans voir que j’emboitais avec elle, la ligne de métro, au final, nous descendîmes à la même station, me rendant compte (trop tard) que j’étais à l’exacte opposé de ma turne.
La discussion n’a rien donné, je veux dire : rien de bon, ni d’éclairant pour moi, à chacune de mes questions « mais qu’est-ce que j’ai fait exactement pour me faire ainsi jeter ? » Je recevais la même invariable réponse : « pose toi la question ! »
Puis j’ai repris le métro dans l’autre sens, perplexe, ne pigeant absolument rien.
Le lendemain, une surprise m’attendait : la « chef psychologue » (on l’appelait « coordinatrice ») alla trouver à peu près tout le service pour colporter que je l’avais suivie dans le métro et que désormais elle « avait peur ».
Convoqué une nouvelle fois par la chef de pôle (coupante comme une guillotine), j’appris que ma présence n’était plus souhaitée dans le service psychiatrie, qu’il fallait que je décarre, que j’étais un assassin en puissance. Je venais de gagner mes premiers galons de psychotique (ça va vite), une réputation qui ne vous lâche pas.
PAR : Sylphe
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