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par Graine d’anar • le 24 décembre 2018
Repenser l’antimilitarisme aujourd’hui
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article extrait du Monde libertaire n°1800 de décembre 2018
Aujourd’hui, la militarisation a bonne presse : les soldats patrouillent, les reportages chantent les louanges des soldats français en mission, les campagnes de publicité ont pignon sur rue. En 2016 87% des Français avaient encore une bonne opinion de l’armée, en faisant la deuxième institution la plus appréciée après l’hôpital. Pourtant qu’en sait-on réellement ? Les données sont dures à trouver du fait d’une interdiction de l’ethnographie ou des travaux qualitatifs, les scandales sont étouffés en interne et nous sommes donc condamnés à ingurgiter la vision officielle, celle qui défile sur les Champs-Élysées le 14 Juillet. Dans ces conditions la critique éclairée est devenue difficile.
Que reste-t-il alors de l’antimilitarisme ? Presque rien. Il est pourtant fondamental de lui ré-insuffler la vie.
Qu’est-ce que l’antimilitarisme ?
L’Encyclopédie anarchiste définit le militarisme de la façon suivante : « Le militarisme est un système qui consiste à avoir et entretenir des militaires, des armées. Son but essentiel et avoué est la préparation de la guerre. Le recrutement d’une armée permanente ; l’organisation des cadres d’une armée de réserve ; l’accumulation, la mise en service, le maintien en état de servir d’un matériel de guerre toujours plus moderne, plus perfectionné, bref, c’est l’organisation préalable de la guerre. Cette organisation colossale, mise à la disposition des gouvernements, leur permet de poursuivre un double but : pouvoir lutter contre les gouvernements étrangers en cas de conflit entre eux et avoir sous la main un appareil formidable de répression violente en cas de soulèvement populaire. Les gouvernements ont un absolu besoin de l’armée tant contre leurs ennemis de l’extérieur que contre ceux de l’intérieur ».
L’antimilitarisme est l’opposition au militarisme. L’armée , belliciste, impérialiste, hiérarchique et nationaliste est évidement une des faces du militarisme.
Décomposons ces termes. La dimension belliciste recouvre le fait que l’armée, au service d’un État, va systématiquement servir les intérêts du pouvoir, en menant par exemple des guerres coloniales, des guerres extérieures, ou en effectuant es opérations de maintien de l’ordre pour « maintenir l’ordre public ». Il n’est pas étonnant que l’armée soit utilisée dans plusieurs pays comme une arme politique, ce que les révolutions arabes ont tristement montré. La dimension impérialiste découle strictement de ce premier point : l’armée comme instrument de gouvernement est le moyen pour un État d’imposer son pouvoir à une population, et notamment aux populations qui n’ont pas les mêmes outils pour se faire entendre. Les guerres menées récemment par les États-Unis, comme la seconde guerre d’Irak, sont caractéristiques d’un impérialisme visant à défendre des intérêts américains à l’étranger. La France n’est évidemment pas en reste avec son opération en Libye ou au Mali. Le pendant de ces deux premiers éléments est la dimension nationaliste de l’armée : une armée défend un territoire national et met en avant la Nation, les frontières, et pourquoi pas l’esprit d’un peuple ou ses traditions. Tant d’éléments auxquels les anarchistes s’opposent. Enfin l’armée s’organise de façon hiérarchique, avec un commandement et des obéissants, elle reconduit une domination de l’homme (humain) par l’homme (humain).
On ne peut pour autant reprocher aux anarchistes de défendre la paix à tout prix : la lutte armée est nécessaire dans certaines conditions, notamment en cas de défense. Mais la conceptualisation libertaire de la lutte armée rompt avec les différents présupposés du militarisme actuel : elle est non-belliciste, anti-impérialiste, non-hiérarchique et internationaliste. Nous en avons quelques exemples historiques avec l’Ukraine makhnoviste et l’Espagne en 1936.
L’antimilitarisme s’oppose ainsi autant à l’usage guerrier de l’armée qu’à son esprit, autant à la guerre qu’au militarisme. Pourtant il nous faut distinguer les deux : si la guerre est absente, le militarisme se porte très bien.
Les formes du militarisme actuels
Il nous faut rappeler une fois de plus qu’être militaire c’est avant tout être au service d’un État. Il faut ainsi se défaire de la propagande médiatique et gouvernementale présentant l’armée sous la forme d’un nouveau développement personnel, permettant réalisation de soi, camaraderie et protection des civils. Au-delà de certaines compétences spécifiques triviales, comme le fait de se protéger d’une agression extérieure, ce qui n’est plus le cas pour les pays occidentaux depuis des années, le rôle de l’armée est irrémédiablement le même, maintenir l’ordre et gérer les populations. Il nous faut rappeler encore une fois que malgré les campagnes publicitaires qu’on retrouve des abris bus aux écoles, l’armée n’est pas ce choix de vie bénin qu’on essaye de nous faire avaler, une vocation comme une autre. C’est par les actions militaires que les États assoient leur impérialisme et leur pouvoir sur le territoire. Si la guerre ne fait plus parti de notre paysage immédiat, le militarisme se nourrit de la « nécessité » pour l’État de se défendre face à des ennemis extérieurs, Daesh par exemple, mais également face à des ennemis intérieurs : les terroristes, et plus largement certaines classes de populations soupçonnées de trahison envers leur patrie (les zadistes, certains écologistes radicaux, les musulmans pour certains, les juifs pour d’autres, et enfin tous ceux qui n’adhèrent pas au grand récit national, pour les plus nationalistes). L’armée est un outil de domination aussi bien physique qu’idéologique, amenant à la constitution d’une identité commune contre des déviances identifiées comme néfastes.
Plus que la guerre meurtrière - qui peut cela dit toujours revenir ! - (il y a moins de morts chaque année dans l’armée française que de dans l’industrie du bâtiment) c’est la militarisation de la société qui apparaît ici et maintenant problématique. Il faut ainsi réactualiser l’antimilitarisme en ne ciblant plus seulement la fonction impérialiste de la guerre comme aux XIXème et XXème siècles mais aussi la fonction sociale de l’armée par le biais de la militarisation de nos sociétés et de nos esprits.
A quoi sert l’armée ? Au-delà de la gestion des frontières et des flux de population, elle sert aussi à rassembler. Rassembler par une fiction commune, une identité nationale universaliste qui se voudrait méritocratique et inclusive. L’École, chancelante, ne parvenant pas à enrayer la reproduction sociale, l’armée a l’image d’une institution plus méritocratique et égalitaire, au sein de laquelle l’ascension sociale est possible. Plus encore, il s’agit d’une institution sociale privilégiée à l’époque où la mondialisation effrite les solidarités nationales : elle devient le lieu du recroquevillement nationaliste. Pas de surprise donc si les fascistes adulent l’armée comme une réalisation utopique de leur société rêvée : l’ordre, le commandement, l’organisation, la subordination et la hantise des différences y règnent. On peut illustrer cela clairement avec des épisodes d’humiliations homophobes ou sexistes. Difficile dans ce cadre de ne pas comprendre l’image positive actuelle de l’armée comme un signe d’une droitisation de la société. La militarisation est ainsi partout visible - patrouilles, surveillance, fichage - avec pour cela l’usage d’outils toujours plus perfectionnés. D’ailleurs, le capitalisme a lui aussi flairé le filon : de plus en plus d’armées sont des armées privées, de mercenaires, combattant pour le plus offrant.
Pourtant peut-on vraiment dire que l’armée est un modèle universaliste ? Regardons en effet la sociologie de l’armée. Qui s’engage comme simple soldat, qui est envoyé pour mourir dans des missions dépourvues de sens, qui paye le coût des décisions gouvernementales? Est-ce le patronat, les ministres, les patrons d’industrie ? Non, ce sont généralement des jeunes hommes et femmes issus de classes populaires et/ou de l’immigration. La chair à canon militaire, puisqu’au fond il s’agit de cela plus que d’une formation ou de l’apprentissage de compétences comme les spots télévisés nous le répètent inlassablement, est composée des pauvres, des démunis, qui voient dans l’armée une échappatoire positive à un système éducatif boiteux. Les jeunes gens diplômés, qui ont fait des études, qui viennent de familles plus aisées, ne sont pas soldats, mais officiers. Ici l’analyse de classe la plus caricaturale trouve hélas sa concrétisation : loin d’être la grande muette politique, l’armée reproduit et amplifie la domination de classe au service des intérêts étatiques. En réalité ce qu’on y observe c’est avant tout le broyage des individus dans une grande machine : elle les avale tout frais puis les recrache une fois usés. La grande muette se désintéresse de ses soldats une fois qu’ils sortent de l’institution : quels soutiens pour les traumas, les blessures, le retour à la vie civile ?
Réactualiser la critique
Il est donc important de réaffirmer et de réactualiser la position anarchiste de l’antimilitarisme. Il nous faut rappeler que l’esprit militaire est concomitant au nationalisme, à la discipline, à la domination de l’humain par l’humain, et qu’il est intrinsèquement un allié des conservateurs et des fascistes de tout poils (sans oublier bien sûr les industriels qui profitent très largement des opérations militaires).
Nous ne soutenons aucune armée, qu’il s’agisse de l’armée des soviets ou de l’armée de métier. Il nous semble au contraire important de souligner que la militarisation des esprits, l’habitude de la soumission à cette institution et la normalisation de la présence militaire sont dangereuses, néfastes et funestes. Dangereuses car elles habituent à la docilité, à la surveillance, à l’auto-contrôle ; néfastes car l’esprit militaire empêche toute liberté de pensée, il est que soumission ; funestes car nous pensons que rien de bien ne peut sortir de ces principes. En cela il est temps de prendre en compte le phénomène de militarisation de la société et des esprits, de réactualiser et réactiver la critique de cette utopie guerrière. Il n’y a pas de guerre juste, il n’y a pas d’armée saine. Guerre à la guerre, mais surtout mort aux Armées.
PAR : Graine d’anar
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